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26 octobre 2020 1 26 /10 /octobre /2020 10:59

Jamais encore je n’avais vu la construction « Avec X, nous… », « Avec X, on… », etc., aussi fréquemment employée dans un livre.

Écrit par Davide Morosinotto et paru en italien en 2017, ce roman pour jeunes lecteurs a été traduit en français par Marc Lesage et publié par l’École des loisirs, sous le titre : L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges. Conformément à un usage de plus en plus répandu, le roman possède un sous-titre : L’affaire des cahiers de Viktor et Nadia.

La narration est assurée tantôt par un narrateur (Viktor), tantôt par une narratrice (Nadia, sœur jumelle de Viktor). Chacun écrit, entre juin et novembre 1941, dans une série de cahiers, le récit de son aventure. Le frère et la sœur, âgés de douze ans lorsque commence le roman, écrivent d’abord alternativement dans le même cahier, puis, lorsqu’ils se trouvent séparés par la force des choses, chacun continue son récit de son côté, avec l’espoir de faire lire à l’autre, plus tard, les cahiers racontant ce qu’il aura vécu. Les pages de Viktor sont imprimées en rouge vif (parce que ce personnage écrit au crayon rouge et qu’il se veut bon communiste…), tandis que les pages de Nadia sont imprimées en bleu (parce qu’elle écrit au stylo-plume).

Le colonel Smirnov, du M.V.D. (ex-N.K.V.D.), est un troisième narrateur. Il prend la parole en décembre 1946, soit plusieurs années après les faits, mais les pages où il intervient se placent entre les cahiers alternés des deux adolescents, et ses annotations (transcrites en cursive d’imprimerie) s’introduisent dans les marges du récit bleu et du récit rouge. Son encre à lui est de teinte grenat, ou sang séché. Il est chargé d’étudier les cahiers afin de recenser les actes délictueux dont se sont rendus coupables, au cours de leur périple, Nadia et Viktor, et de décider si les deux adolescents doivent être exécutés ou avoir la vie sauve. À certains moments, son commentaire reflète la situation des lecteurs que nous sommes : les exploits accomplis par Viktor ou par Nadia sont-ils vraisemblables ? Les deux narrateurs auraient-ils enjolivé certains faits ? Quelles sont les preuves de ce qu’ils affirment ?

Comme souvent dans la littérature actuelle, c’est un roman dans lequel la plupart des personnages ne sont jamais décrits mais se réduisent à un nom, à la mention de leur âge et aux paroles qu’ils prononcent. Le texte ne m’ayant pas fourni la moindre image mentale pouvant être associée aux personnages principaux – Viktor, Nadia et les camarades qui se joignent à eux au cours de leurs aventures –, j’ai parfois confondu tel enfant avec tel autre : notamment Anna avec Klara, vers la fin du roman. Les moyens de locomotion qu’empruntent les personnages (trains, camions…) ne sont pas décrits non plus. Quant aux villes et aux villages, aux maisons et aux bâtiments, leur aspect est le plus souvent représenté par un plan ou par un schéma insérés dans le livre. Lorsque Viktor parvient devant le siège de l’état-major de l’armée, les notations visant à éveiller notre imagination se limitent à : « énorme bâtiment », « silencieux et sombre », « grande arche monumentale » (p. 486). L’atmosphère des lieux est à peine suggérée.

Toutefois, le roman est prenant, réaliste sans misérabilisme, et honnête quant à la vérité historique. Y sont évoquées la surveillance constante dont les citoyens soviétiques sont l’objet, la stalinolâtrie des fonctionnaires (y compris les parents des deux héros), ainsi que la coopération économique, industrielle et technologique qui s’était établie entre l’Union soviétique et l’Allemagne hitlérienne avant 1941. En outre, les effets de la famine dans Leningrad assiégé sont puissamment dépeints. Nous avons affaire à un très bon roman, qui mérite largement d’être mis entre les mains des jeunes lecteurs.

On ne peut que rendre hommage à ces qualités, mais on se désole de rencontrer dans le texte certaine construction syntaxique relâchée, qu’il est pénible de subir à l’oral et dont il est encore plus irritant de voir foisonner les occurrences à l’écrit.

« Aujourd’hui, c’est dimanche, et, avec Viktor, nous sommes allés au musée. » (Marc Lesage traduisant Davide Morosinotto, L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, l’École des loisirs, collection Médium, 2019, p. 17.) Il faut lire les paragraphes suivants du texte pour comprendre que ce nous précédé d’avec ne désigne que deux personnes : Nadia Nikolaïevna Danilova et son frère Viktor Nikolaïevitch Danilov (jumeaux nés en 1928).

En français correct et logique, c’est : « avec Viktor, je suis allée », ou bien : « Viktor et moi, nous sommes allés », ou encore : « Viktor et moi sommes allés » ; voire : « moi et Viktor », si on tient à faire en sorte que le narrateur écrive comme les enfants parlent. Mais on devrait éviter un tour pléonastique, par lequel la notion d’accompagnement ou de simultanéité se voit exprimée doublement. Dans le français d’autrefois, on pouvait exprimer familièrement la même idée d’union et de proximité en disant : nous deux X et moi (sans virgule). Balzac, dans Le colonel Chabert, faisait ainsi dire à un vieillard : « Nous étions, nous deux Hyacinthe et moi, sur le bord de la route. » (La phrase, qui figure dans l’épilogue du roman, est prononcée par un pensionnaire de l’hospice de Bicêtre. Quant au dénommé Hyacinthe, il n’est autre que le colonel Chabert, privé de son patronyme et de son rang.) Cette construction était moins négligée que l’actuelle.

« Car hier, on était le 21 juin, le [sic] jour de la fête du solstice d’été […]. Avec Viktor, on a passé la journée au parc avec nos amis des Jeunes Pionniers, on a mangé assis dans l’herbe, on a joué au ballon et au tir à la corde. » (L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, p. 18.) Il est pour le moins maladroit de rattacher au même verbe deux compléments introduits par avec lorsque leur rôle est différent, l’un étant pléonastique et l’autre non. Comment un traducteur peut-il manquer d’oreille au point de laisser passer ça ?

Solution (autorisée par le contexte) : « Viktor et moi, on a passé la journée au parc avec nos amis des Jeunes Pionniers ». Mais, puisque ces jeunes gens ont passé ensemble la journée entière, l’action de manger dans l’herbe et celle de jouer au ballon et au tir à la corde ont vraisemblablement été faites par tous ; il faudrait donc, en outre, déplacer le complément qui mentionne les amis : « Viktor et moi, avec nos amis des Jeunes Pionniers, on a passé la journée au parc, on a mangé », etc.

En critiquant cette construction dans Les noces du français courant et du parler enfantin, j’avais peut-être espéré que les agrégés et les normaliens me liraient.

Le traducteur a-t-il usé et abusé de cette construction (« avec X, nous… ») pour se tenir au plus près d’une prose qui comporterait des négligences et des incorrections, et reflétant la façon d’écrire des adolescents, ou a-t-il de lui-même abaissé le niveau de langue utilisé par l’auteur ? Pour le savoir, je me suis procuré l’édition italienne du roman.

 

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8 décembre 2019 7 08 /12 /décembre /2019 19:13

 

Remarque 1 : sur le groupe nominal au singulier

Nous parlons dans cet article de la liaison ou de la non-liaison du s et du x de pluriel. Mais un groupe nominal au singulier peut aussi comporter, en son cœur, un s ou un x placé devant une initiale vocalique. La prononciation d’un tel s ou x obéit aux principes suivants.

On ne fait pas la liaison si le nom au singulier précède l’adjectif : dans un héros étonnant, un corps étranger, un cas intéressant, par exemple ; ni lorsque le nom au singulier est coordonné à un autre nom : le corps et l’esprit. Littré considérait que le s de cas devait se lier (« un kâ-z étrange », écrivait-il) mais que celui de corps ne se liait pas (« dites : un cor animé »), tout en ajoutant : « cependant plusieurs prononcent l’s dans ce cas : un cor-z animé ». Bien sûr, le p de corps est purement graphique.

Je pense néanmoins qu’il est sage de s’abstenir de lier le s au singulier : « un propo étrange, des propos z-étranges ». Ne pas faire la liaison au singulier, tandis qu’on la fait au pluriel, est conforme à la logique de notre langue ; car nous avons l’habitude de ne pas confondre un s final graphique, jadis introduit dans le mot pour rappeler son étymon latin, ou apparu pour mieux unir le nom aux autres mots de sa famille, et un s marqueur de nombre. Si le groupe a pour noyau le nom corps, on prendra soin d’opposer « un cor athlétique » à « des cor z-athlétiques ». En parlant de quelqu’un qui se dévoue corps et âme, on prononcera : « cor et âme ». C’est pourquoi on peut légitimement oublier le s de cas au singulier. On ne fera donc entendre ce s ni dans la locution le cas échéant, ni dans la locution conjonctive au cas où.

Au pluriel, le s du nom vers se prononce parfois devant un adjectif : des vers admirables, « z-admirables ». Au singulier, un vers insipide, un vers irrégulier, etc., ce s n’est jamais prononcé.

Lorsqu’on utilise la locution mois après mois, construite sur le même modèle que jour après jour, il vaut mieux la prononcer : « moi après moi » que « mois z-après mois » : le nom mois y étant au singulier. Bien que Littré ait affirmé que le s de mois se lie même au singulier, il est préférable de ne faire cette liaison qu’au pluriel (« un moi entier », « des mois z-entiers »).

Appliquons ce raisonnement au nom temps. L’expression depuis un temps immémorial se dira : « depuis z-un tem himmémorial » (ou « depui un tem himmémorial ») ; tandis que depuis des temps immémoriaux, ou dans les temps anciens, cela se dira : « temps z-immémoriaux », « temps z-anciens ». Pour articuler correctement Pas de temps à perdre, ou Vous serez averti en temps utile, il suffit de savoir que le nom temps y est au singulier : « Pas de tem hà perdre », « en tem hutile ».

Lorsqu’on parle du mouvement révolutionnaire, survenu en 2010, qui a abouti à des changements politiques dans plusieurs pays arabes : « un printem harabe », « des printemps z-arabes ».

Quelques noms sont terminés par un x dès le singulier : prix, perdrix, crucifix, flux. Prononçons : « un flu abondant », « des flu z-abondants », « un pri élevé », « des pri z-élevés », etc.

On peut faire de même avec les participes passés. Il a été mis en confiance : « Il a été mi en confiance ». Ils ont été mis en confiance : « Ils z-ont t-été mis z-en confiance ». Il n’est pas absurde de privilégier la liaison du s de pluriel par rapport à celle d’un s de singulier, ce dernier étant essentiellement graphique.

Quant aux adjectifs terminés par s ou x qui, dans le parler courant ou avec une intention stylistique, se placent avant le nom, ils se lient avec toute initiale vocalique : le mauvais exemple, un heureux événement, un prodigieux écrivain, un dangereux agitateur, un sérieux opposant, un doux espoir, un gros inconvénient… sauf lorsqu’il y a un r avant le s, comme dans tiers état (ou, par personnification : Tiers-État, Tiers État).

Le bon usage est de ne pas prononcer un s qui est séparé de la voyelle précédente par un r. C’est ainsi que l’expression était couramment prononcée « tier-état », au moins par le petit peuple – car on sait qu’il se moquait parfois de ses députés en les désignant par le sobriquet Fier-État. De même, quoique la configuration syntaxique soit différente, on ne doit pas prononcer : « Toujours z-est-il que… », mais : « Toujour est-il… ». Citons l’une des chansons écrites par Jacques Demy et Michel Legrand pour le film Les demoiselles de Rochefort, où le chanteur s’est bien gardé de prononcer ce s de toujours : Marins, amis, amants ou maris / Les marins sont toujours absents : nous entendons clairement « sont toujour absents ».

Le s de l’adverbe alors ne se lie pas non plus, comme chacun sait, ni celui des prépositions vers et envers : « Je m’avançai ver eux », « ver elle », ou « Nous avons manqué de confiance enver elle » – et non pas : « ver-z-eux », « ver-z-elle », « enver-z-elle ». Si les consonnes finales rs sont prononcées toutes les deux, c’est qu’on a affaire à un groupe nominal au pluriel : en plusieurs étapes, divers individus, ces divers éléments… Quant au s de jamais, n’étant pas précédé d’un r, il se lie : « Untel n’a jamais z-été », « jamais z-on n’a vu », « jamais z-encore ».

 

Remarque 2 : sur les irrégularités de prononciation dans le groupe nominal au pluriel

Mes amis et moi ; Les uns et les autres ; Ils se parlent les uns aux autres : on entendra « mes z-ami et moi », « les z-un et les z-autres », « les z-un aux z-autres ». Comme je l’ai dit plus haut, il n’est guère concevable d’articuler : « zozotr » (ni « zamizémoi »). Il y a donc des cas où, au sein d’un groupe comportant des noms ou des pronoms, la liaison ne se fait entendre qu’une fois.

Or on a raison d’articuler « petites z-et moyennes z-entreprises », en laissant les deux adjectifs lier leur marque de pluriel à l’initiale vocalique des mots qui les suivent ; car il n’y a aucune raison valable d’amputer oralement de sa marque de pluriel un seul des deux adjectifs coordonnés. De même, dans un énoncé comme les étranges aventures des habitants de l’Olympe, on est bien obligé de faire entendre toutes les liaisons : « les z-étranges z-aventures des z-habitants de l’Olympe » (ou « les z-étranj’ z-aventur’ des z-habitants »).

Pour savoir combien de fois la liaison se fait entendre dans un groupe où sont coordonnés des noms ou des pronoms, il est peut-être nécessaire d’observer la position de l’adjectif. Des enfants adorables : la prononciation correcte de ce groupe semble être : « des z-enfan hadorables » ; on dit pourtant : « d’adorables z-enfants ». On n’a jamais fait la liaison dans : des propos oiseux, des raisonnements oiseux, des paroles oiseuses, – alors qu’on dit sans problème : « de beaux z-oiseaux », ou « de gros z-oiseaux » ; ce n’est donc pas la présence d’une semi-consonne qui fait obstacle à la liaison.

Dans un cas le nom suit l’adjectif, dans l’autre il le précède. Faut-il en conclure que la liaison est moins fréquente lorsque l’adjectif est placé après le nom ? Même en français soigné, la liaison est rarement pratiquée entre le nom et l’adjectif dans des groupes tels que : des propos étranges, des travaux admirables, mes raisonnements abscons… On ne saurait omettre la liaison dans d’insipides alexandrins, alors qu’elle n’est presque jamais faite dans des vers insipides.

Citons les Émirats arabes unis ; c’est un syntagme dans la prononciation duquel personne ne rend audibles toutes les liaisons. Les sonorités qui résulteraient de ce choix (« les z-Émirats z-arabes z-unis ») auraient un effet dépréciatif… Nous prononçons spontanément : « les z-Émira’ arab’ unis », et rarement : « les z-Émira z-arab’ unis » ; peut-être parce que les adjectifs sont situés après le nom. De même, dans Les émeutes urbaines ont déjà fait l’objet de nombreux travaux, il suffit peut-être de faire entendre une seule fois le pluriel : « Les z-émeut’ urbain’ ont fait ».

Quand Littré affirme que le s du nom vers ne se prononce jamais, pas même au pluriel : « au pluriel, l’s ne se lie pas : des vêr harmonieux » ; tout en admettant que « cependant quelques-uns la lient : des vêr-z harmonieux » (« la lient », parce que Littré disait : une s) ; – le grand lexicographe ne semble pas s’être avisé que cette non-prononciation majoritaire du s pouvait s’expliquer par l’ordre des mots.

J’ai affirmé plus haut qu’on prononce : « des temps z-anciens », « des printemps z-arabes », « des prix z-élevés ». Ne serait-ce que pour éviter la succession de deux sons vocaliques identiques, la liaison faite dans temps anciens semble être, en français soigné, la seule prononciation possible de ce groupe nominal. Mais peut-être la liaison n’est-elle pas indispensable dans les deux autres groupes cités.

S’il est vrai que nous sommes parfois contraints de donner priorité à notre oreille ou à notre goût, cette liaison entre un nom et l’adjectif qui le suit, lorsque celui-ci est à initiale vocalique, n’a pas toujours été omise : le nom États-Unis est toujours là pour le prouver. Cette liaison reflète la prononciation qui était en usage à l’époque où parut la première traduction française de la Déclaration d’indépendance des États-Unis, publiée dans Le Courrier de l’Europe en 1776. (Rappelons que le trait d’union ne sert pas à signaler l’existence d’une liaison qui serait exceptionnelle, mais à « excuser » la majuscule mise à un adjectif placé après le nom.)

La liaison ne serait donc pas indispensable non plus dans le pluriel idiots utiles, alors qu’elle le demeure dans l’expression à toutes fins utiles.

Mon oreille réclame la liaison dans les groupes suivants, bien que l’adjectif y suive le nom : jeux olympiques, émeutes urbaines, portes ouvertes, listes électorales, affaires étrangères, particules élémentaires, bases aériennes, puissances hostiles, carences alimentaires, et arbres immenses, et circonstances atténuantes… La liaison faite dans jeux olympiques et dans fins utiles est vraisemblablement, comme dans États-Unis, un héritage. Dans les autres groupes cités, la liaison pourrait s’analyser comme une façon de compenser l’omission, couramment pratiquée, du e caduc.

Bien sûr, en oralisant de la poésie métrique, on fera entendre des liaisons qu’on n’entendrait pas dans le parler ordinaire ou dans l’oralisation d’un texte en prose.

 

Remarque 3 : sur la faisabilité de l’articulation

Il y a des liaisons qui sont techniquement irréalisables, ou qui seraient par trop pénibles à entendre.

S’il est possible de dire : « les émotions z-et les affects », il est techniquement impossible d’articuler : « les affects z-et les émotions ». Pour ne pas perdre en route le t, on ne peut que prononcer : « les affect et les… ». Et lorsqu’on dit : Les valeurs sont des concepts abstraits, il est difficile voire impossible de faire la liaison du s de concepts.

De même, un groupe comme les arcs étroits s’avère presque inarticulable (« les arcs z-étroits ») et se résout en : « les arc étroits ». C’est pour une raison similaire qu’on ne prononce pas le s dans le pluriel du mot arc-en-ciel. Comme le précisent plusieurs dictionnaires, des arcs-en-ciel se prononce « des arc-en-ciel ». En 1834, sans doute conscient que le trio de consonnes ne pouvait être articulé correctement, le grammairien et lexicographe Napoléon Landais demandait qu’on prononçât au pluriel : « des ar-zan-ciel ». La prononciation du s lui paraissait plus nécessaire que celle du c.

Mais ici encore, on a affaire à un adjectif situé après le nom (arcs étroits) et à un nom suivi d’une préposition (arcs-en-ciel). Chacune de ces raisons est suffisante pour justifier la non-prononciation du s. Un Napoléon Landais n’avait pas pensé à cela.

 

Remarque 4 : sur l’apposition

Les manchots empereurs : le nom empereurs étant apposé au nom manchots, on ne fait pas la liaison.

Chers amis auditeurs : doit-on dire « Chers z-amis z-auditeurs » ou « Chers z-ami auditeurs » ? Amis auditeurs, bonjour. « Amis z-auditeurs » ou « Ami auditeurs » ? Le nom auditeurs est apposé. La deuxième prononciation est donc préférable.

De même, la liaison est à déconseiller dans une expression telle que : les rapports hommes-femmes, parce que le groupe qui suit rapports comporte une ellipse (par réduction de l’énoncé : rapports entre les hommes et les femmes). L’ellipse est analogue à l’apposition.

Dans le même ordre d’idées, rappelons que la liaison ne se fait jamais lorsque l’adjectif est attribut du C.O.D.

 

Remarque 5

À force d’oublier de prononcer le s antévocalique, on oublie qu’il y a parfois une différence entre tout (adverbe) et toutes (adjectif), comme dans la phrase suivante :

« [J]e risque de laisser échapper mon crayon parce que mes mains sont toutes écorchées. » (Marc Lesage traduisant de l’italien Davide Morosinotto, L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, roman pour jeunes lecteurs, éditions l’École des loisirs, 2019, p. 115.) Cette absurdité ne peut signifier que ceci : toutes mes mains (!) sont écorchées.

Le traducteur récidive à la page 385 : « Elles [= une vieille radio russe et une radio allemande hors d’usage] étaient toutes ouvertes, à moitié démontées, avec des fils qui couraient de l’une à l’autre. »

Bien sûr il fallait écrire : « mes mains sont tout écorchées », et, à propos des deux radios : « Elles étaient tout ouvertes ».

 

Remarque 6

J’ai parlé plus haut de la prononciation du mot héros (on dit bien : le héros, ce héros ; tout comme : ce handicapé, et non pas « cet handicapé »). Mais il faut préciser que héros est l’exception au sein de sa propre famille : héroïne, héroïsme, héroïque ont un h muet.

Chacun sait qu’on prononce : les z’héroïnes de bande dessinée, etc. On pourrait décider d’harmoniser les prononciations. Pourquoi, en effet, ne dirions-nous pas, sans faire entendre le s : les héroïnes = lé héroïnes. Hélas, il faudrait alors aussi prononcer : « la héroïne ». Personne n’a plus entendu ça depuis un siècle – cela se disait parfois au XIXe. La seule prononciation correcte de ces mots est : le héros, l’héroïne, l’héroïsme, les exploits z’héroïques de nos ancêtres ; c’est incohérent mais on ne peut rien y faire.

La clé trop méconnue de cette énigme est facile à trouver : c’est qu’à l’origine le h de héros n’était pas aspiré. Le Trésor de la langue française nous apprend qu’au masculin l’aspiration, non étymologique, a été introduite dans la langue pour empêcher la liaison et éviter le calembour : les héros/les zéros ; et que cette aspiration remonte à l’apparition du mot zéro dans la langue (XVe s.).

 

Remarque 7 : dans la conjugaison

Je pense que la liaison est facultative dans Nous partons ensemble ou dans Nous partîmes ensemble. Selon l’humeur, selon le contexte, je dirai soit : « Nous partons z-ensemble », soit : « Nous parton hensemble. » Peut-être est-ce la solennité du passé simple qui incite à prononcer : « Nous partîmes z-ensemble », ou « Nous vînmes z-ensemble » ; mais il est permis de dire : « Nous partîme ensemble », « Nous vînme ensemble ». (Pour oraliser de la poésie métrique, nous ferons la liaison ou nous introduirons une micropause.)

Je prononce : « Nous sommes parti ensemble », plutôt que : « Nous sommes partis z-ensemble ». De même, je dis : « Nous sommes z-arrivé ensemble », plutôt que : « Nous sommes z-arrivés z-ensemble. »

En liant les éléments rythmiques les uns aux autres en une longue guirlande incompréhensible, on brouille le sens de la phrase, affirmait Jean-Louis Barrault (pour chasser la redite, que vous aurez tous notée, parlons de guirlande sonore plutôt que de guirlande incompréhensible). Le groupe rythmique du vers racinien correspond assez bien à notre groupe syntaxique. Cette observation de Jean-Louis Barrault nous ramène à trois exemples cités dans la partie précédente, pour lesquels je préconise les prononciations que voici : « Nous sommes z-arrivé à temps » ; « Nous sommes parvenu à fuir » ; « Nous nous sommes perdu en route ».

Au singulier, on dit certes : « Tu es z-attendu », mais : « Tu arriv’ au bon moment. » Si on peut encore dire : « Tu prends z-un train », on dit depuis fort longtemps (depuis toujours ?) : « Tu plant’ un arbre », « Tu fauch’ un pré ». En général, la deuxième personne du présent d’avoir et d’être, qui sont nos verbes fondamentaux, se lie encore avec une initiale vocalique : « Tu as z-encore fait des bêtises », « Tu es z-irresponsable ». Pour les verbes du deuxième et la plupart de ceux du troisième groupe, la liaison entre la deuxième personne du singulier et une initiale vocalique, bien qu’elle ait tendance à se raréfier, demeure possible. C’est au présent des verbes du premier groupe que le s de la deuxième personne du singulier reste muet… sauf dans la poésie métrique. (Par exemple dans ces alexandrins d’Hugo : « Ah ! tu portes en toi, reptile, un exemplaire / D’idéal qu’il [= Dieu] eût dû copier pour te plaire ! » ; ne pas négliger la diérèse : co-pi-yer. Ou dans cet autre alexandrin, qui est de Banville : « Toujours maître de toi, tu luttes en héros ». Mais on peut préférer la micropause.)

 

Remarque 8

La liaison est très utile à l’intérieur d’un groupe nominal au pluriel, avons-nous dit en conclusion. Or le groupe nominal, c’est aussi l’adjectif numéral suivi d’un substantif. On prononce donc le s dans : neuf cents euros (« neuf cents z-euros »), trente-trois objets (« trente-trois z-objets »), etc.

 

Remarque 9

Dans la première partie de cet article, en parlant du préambule de la chanson Quelque chose de Tennessee, j’ai rappelé que la dernière syllabe d’une expression mise en apostrophe ne se lie jamais avec les mots qui la suivent.

L’usage a pourtant consacré la prononciation « Allons, z-enfants » (de la patrie), qui est incorrecte, comme le signale Jean-Michel Fraulini sur son excellent site Les médias me rendent malade (voir les leçons 961, 962 et 963 ; la page se trouve à l’adresse : http://lesmediasmerendentmalade.fr/Courriels-a-l-elysee-et-autres-guitares-40.html).

 

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9 août 2019 5 09 /08 /août /2019 19:39

Rappelons que nous ne parlons dans cet article que de la liaison ou de la non-liaison du s et du x de pluriel.

 

Il y a vingt ans, lorsque quelqu’un prononçait une phrase comme celle-ci : Les objectifs fixés sont difficiles à atteindre, nous entendions assez souvent : « sont difficiles z-à atteindre », et pas uniquement : « sont difficil’ à atteindre ».

J’ai parlé plus haut des minutes heureuses chères à Baudelaire. La fin de ma phrase peut se prononcer : « chèr’ à Baudelaire » (la liaison faite dans minutes heureuses signalant déjà le pluriel), mais je crois qu’elle peut aussi être prononcée : « chèr-z-à Baudelaire ».

Îles à la dérive est le titre d’un roman posthume d’Hemingway. Oublions un instant que cette traduction prend le contrepied du titre original (Islands in the Stream : littéralement Îles au milieu du courant, donc stables au milieu du courant, mais aussi : Îles dans le Gulf Stream), et remarquons qu’on ne ferait que saboter l’harmonie de ce titre français en le prononçant « Îl’ à la dérive », au lieu de « Îl-z-à la dérive ». Non seulement on rendrait alors inaudible le pluriel, ce qui altérerait la signification du titre, mais l’omission du z de liaison priverait le mot îles de son poids et de sa densité, et l’empêcherait de contraster efficacement avec le mot situé à l’autre extrémité de l’énoncé : dérive.

Parlant de vêtements lavés et repassés, ne peut-on dire qu’ils sont « prêts z-à l’emploi » ?

De baroudeurs ou de candidats, qu’ils sont « prêts z-à tout » ?

La liaison en z est moins absurde que la liaison en t aujourd’hui pratiquée par tant de locuteurs, ceux qui transforment les petits États en « les petitétats ». Les baroudeurs et les candidats cités plus haut sont « prêts z-à tout » ou plus couramment « prê à tou », mais il ne faudrait pas les qualifier de « prêts-t-à tout » !

Quand sont évoquées les pattes arrière ou les pattes avant d’un animal, je reconnais n’avoir jamais entendu la prononciation « patt’ z-avant » ou « patt’ z-arrière » – alors qu’elle semble tout à fait légitime…

Et je reconnais qu’il est impossible de dire : « Des brosseu-z-à dents » ; on est obligé de dire : « Des bross’ à dents ». Le pluriel de brosse se prononce ici comme celui d’autres monosyllabes graphiques ou phonétiques qui forment avec leur complément prépositionnel une locution figée : des sacs à main, des sacs à vin (ivrognes), des faces-à-main (ou lorgnons à manche)…

Dira-t-on vraiment : « Des armes z-à feu » (ou « arm’ z-à feu ») ? Telle est, à la 85e minute de La règle du jeu, tourné en 1939, la prononciation adoptée par Dalio, qui incarne un marquis à l’élocution soignée : « Alors vous voyez, Schumacher (Chü-ma-chèr), j’suis z-obligé d’vous mettre à la porte. Ça m’fend l’cœur, mais je n’peux pas laisser mes invités sous la m’nace constante de vos arm’ z-à feu. Ils ont p’têt’ tort mais hils tienn’ t-à leur vie. » Il est certes probable que les spectateurs aient jugé maniéré, même en son temps, le fait que l’acteur rende audible le s du syntagme armes à feu.

Dira-t-on : « Des crêpes z-au chocolat » ? « Des tartes z-aux quetsches » ? Et, pour quitter la série des monosyllabes : « Des machines z-à sous » ?

Avoir les nerfs à vif : cela peut-il se prononcer « z-à vif » ?

Dira-t-on plutôt : « avoir des comptes z-à rendre » ou « avoir des compt’ à rendre » ? Dira-t-on qu’il y a « des maisons z-à vendre » et « des appartements z-à louer », ou : « des maison hà vendre » et « des appartemen hà louer » ?

Et dira-t-on : « Il leva les mains z-au ciel », ou : « Il leva les main hau ciel » ?

De fait, il y a des s antévocaliques qui sont vraiment imprononçables, notamment devant certains compléments introduits par à.

Mais ces groupes introduits par à jouent des rôles syntaxiques différents : ils complètent soit un adjectif, soit un nom, soit un verbe. À la lecture de ces exemples, on se demande si la liaison n’est pas plus spontanément pratiquée avec le complément d’un adjectif (difficiles à atteindre) qu’avec le complément d’un nom (croissants au beurre). Encore une fois, précisons qu’il ne faudrait surtout pas dire : « des croissantaubeurre ».

 

Pour le cas où le groupe introduit par à est complément d’un verbe, les certitudes s’éloignent. Il faut prendre plus d’exemples. Nous sommes arrivés à temps ; Nous sommes parvenus/parvenues à fuir ; Nous nous sommes perdus/perdues en route. Comment prononce-t-on cela, en français soigné ? Est-ce qu’on dit aussi bien « sommes z-arrivés z-à temps » que « sommes z-arrivé à temps » ? Aussi bien « sommes parvenus z-à fuir » que « sommes parvenu à fuir » ? Aussi bien « sommes perdus z-en route » que « sommes perdu en route » ? Le choix de marquer ou d’omettre la liaison semble lié à l’anticipation, par le locuteur, du caractère euphonique ou cacophonique de l’énoncé.

Mais peut-être, outre le degré d’euphonie, le locuteur prend-il en considération le degré de rattachement au verbe du complément introduit par à. Comparons deux phrases qui seront presque identiques. Je crois qu’on fera plus volontiers la liaison entre levions et au ciel dans : « Nous levions au ciel nos yeux baignés de larmes », qu’entre yeux et au ciel dans : « Nous levions les yeux au ciel. » Dans la première phrase, le complément circonstanciel est proche du verbe, dans la deuxième ce même complément circonstanciel est séparé du verbe par le complément d’objet (direct).

La comparaison entre « Laissons nos soucis à la maison » et « Laissons à la maison nos soucis » (comme entre « Laissons nos chevaux à l’écurie » et « Laissons à l’écurie nos chevaux ») conduit à la même constatation : liaison interdite dans le premier cas, liaison possible, voire souhaitable, dans le second.

Histoire de France des origines à nos jours, cela se prononce sans problème : « des origines z-à nos jours ». Lorsqu’un complément circonstanciel est construit au moyen de deux prépositions corrélées, chacune introduisant un terme, et les deux étant situées sur le même plan, il est naturel de faire entendre la liaison entre les deux segments qui le constituent.

Corollairement, lorsque les éléments ne sont pas solidaires l’un de l’autre, la liaison est évitée. Victor Hugo écrit, dans « La conscience » : « Et, le soir, on lançait des flèches aux étoiles. » Je doute que cet alexandrin puisse se lire : « Et, le soir, on lançait des flèches z-aux z-étoiles. » Je suis sûr que, depuis qu’il est écrit, ce vers exige d’être prononcé ainsi : « Et, le soir, on lançait des flècheu aux z-étoiles » (l’accent tonique est sur le è du nom flèches, certainement pas sur le son que j’ai noté eu). Bien sûr, ni la diction lyrique et poétique, qui veut que toutes les liaisons facultatives soient prononcées, ni le souci d’une articulation soignée n’autorisent à dire : « des flèchaux z-étoiles »…

On ne peut omettre le e final de flèches, situé devant consonne, si l’on veut que l’alexandrin ait ses douze syllabes, mais la liaison entre les mots flèches et aux semble irréalisable. Autant la liaison serait nécessaire entre le verbe et son premier complément d’objet si celui-ci commençait par une voyelle (ce serait le cas si le vers se présentait ainsi : « Et, le soir, on lançait une flèche aux étoiles ») ; autant il serait saugrenu de faire entendre une liaison entre un complément d’objet direct et un complément d’objet second.

Une chanson de Serge Lama, sortie en 1986 et intitulée Je vous salue, Marie, comporte les alexandrins que voici : « Et s’ils lèvent encor leurs mains jointes au ciel, / Le Capital de Marx est leur nouveau missel. » (Ils = les prêtres catholiques français. Et le subordonnant si exprime la concession.)

Le chanteur prononce clairement : « Et s’ils lèveu t-encor leurs mains jointeu z-au ciel », et cette façon d’articuler le vers, qui paraît élégante, est en réalité maladroite. Les mains ne sont pas « jointes au ciel » ; elles sont jointes ensemble – et levées au ciel.

La prononciation « levées z-au ciel » serait permise (le complément se rattachant étroitement au verbe). Quant à jointes ensemble, cela se prononce sans difficulté : « jointes z-ensemble ».

Et c’est pourquoi il faudrait dire : « Il leva les main hau ciel », plutôt que : « Il leva les mains z-au ciel. »

Cela me rappelle deux vers d’Aragon : « C’était un temps déraisonnable / On avait mis les morts à table »… Léo Ferré a mis en musique et chanté, en 1961, une partie du long poème dont ces vers sont extraits (sous le titre : Est-ce ainsi que les hommes vivent ?). Nous pouvons être reconnaissants au Léo Ferré des années 1960 de n’avoir négligé ni les e muets ni les liaisons. Mais il fait, du moins dans son interprétation originale de cette chanson, une liaison de trop, en articulant : « On avait mis les morts z-à table », au lieu de faire entendre : « On avait mis les mor’ à table » ; en effet, le complément de lieu à table se rattache au verbe avait mis et non au C.O.D. (les morts) de ce verbe.

Donc Serge Lama aurait dû articuler : « Et s’ils lèveu t-encor leurs mains jointeu hau ciel »… Pas si facile. Ça fonctionne parce qu’il y a le mètre et la diction poétique ! Si nous avions affaire à de la prose, la non-prononciation de ce s entraînerait l’effacement du e (« jointau ciel ») et ferait entendre le singulier au lieu du pluriel. Certes, en prose, on écrirait : Et s’ils lèvent encore au ciel leurs mains jointes

En résumé, la liaison renforce la cohésion interne d’un groupe syntaxique (nom + adjectif au pluriel), et peut aider à souder ensemble deux groupes syntaxiques distincts lorsqu’ils sont étroitement liés l’un à l’autre par le sens. Cette liaison entre groupes syntaxiques distincts liés par le sens n’est pas un principe inviolable : dans Nous parlions aux autres, ou dans Ces ministères sont subordonnés les uns aux autres, il n’est guère concevable d’articuler : « zozotr ».

 

Je reviens à : « jointeu hau ciel ». Le respect du mètre impose, au moment de l’oralisation, une micro-pause. Cette micro-pause (que symbolise la graphie eu non porteuse d’accent tonique) est requise tout autant par la métrique que par le besoin d’épargner à l’auditeur une mésinterprétation du sens. D’autres cas existent où une micro-pause est préférable à une liaison. Par exemple : « [L]orsque Buffon âgé de quarante-deux ans publia en 1749 les premiers volumes de son Histoire naturelle, malgré les dix années qu’il avait mises à la préparer, il avait beaucoup à apprendre : il n’était nullement botaniste, il n’était point anatomiste ; […]. » (Sainte-Beuve, article consacré aux Œuvres complètes de Buffon ; repris dans Causeries du lundi, tome X, 1855.)

On doit éviter la prononciation suivante : « années qu’il avait mi-z-à la préparer », car cette liaison, en quelque sorte tronquée, donne à entendre un accord au masculin pluriel là où grammaticalement l’accord se fait au féminin pluriel. On pourrait adopter cette prononciation-ci : « années qu’il avait miseu z-à la préparer », mais le résultat s’avère plutôt cacophonique… La moins mauvaise prononciation requiert une micropause : « années qu’il avait mise hà la préparer ».

On devrait dire, de même : « Les chansons qu’Untel a apprise havec sa mère », plutôt que : « Les chansons qu’il a appri-z-avec sa mère ». La micropause permet de sauvegarder cet accord au féminin pluriel, en lui conservant sa différence avec l’accord au masculin pluriel (que nous ferait entendre un énoncé tel que : « les dix ans qu’il avait mi-z-à préparer son livre »), et elle est un moyen de ne pas infliger à l’auditeur une pesante et pédante insistance sur la désinence elle-même.

Lorsqu’on a affaire non à des participes passés mais à des substantifs, on n’imposera jamais des prononciations insolites : « des brosseu hà dents », même en mettant bien l’accent tonique sur le o. Lorsqu’il s’agit de prononcer une phrase comme : Des mises à jour sont disponibles pour votre ordinateur, personne n’ira renoncer à l’habitude de dire « des mi-z-à jour ». Il est possible de préserver l’intégrité d’une forme verbale composée ; il est impensable de vouloir préserver à tout prix l’intégrité d’un nom ou d’un adjectif suivi d’un complément prépositionnel à initiale vocalique.

 

Bien qu’elle soit indispensable entre les pronoms personnels du pluriel et le verbe (Elles utilisent, Ils arrivent, On les a…), la liaison ne se fait pas entre le s ou le x final d’un nom (ou groupe nominal) au pluriel et l’initiale vocalique du verbe qui le suit : Les Germains adoptèrent les coutumes de la Gaule. Le nom Germains ne se lie pas au verbe adoptèrent. Cette règle se vérifie même au singulier, et avec n’importe quelle consonne. On dit bien : « C’est son dernier r-enfant », mais on ne dira pas : « Ce dernier r-est-arrivé ».

Les émeutes urbaines ont déjà fait l’objet de nombreux travaux. On fait entendre le s antévocalique situé entre émeutes et urbaines mais en aucun cas celui qui précède l’auxiliaire ont : « Les z-émeut(e)z-urbain’ ont fait » (« urbènonfè »).

L’étiquetage des bagages est obligatoire. Personne ne dira jamais : « L’étiquetage des bagages z-est obligatoire. »

Les légionnaires attaquent : ni liaison, ni micropause.

Les aigles attaquentLes hommes ont péri : aucune liaison, mais la micropause est possible (pour faire mieux entendre le monosyllabe).

On s’autorise en poésie des liaisons qui n’existent pas en prose. Tous ceux qui interprètent Le Temps des cerises (Cora Vaucaire, Trenet, Montant, Ogeret, Ibañez, Mouloudji, Le Forestier, Cantat) en prononcent ainsi le quatrième vers : « Les belles z-auront la folie en tête »…

Toutefois, dans ce vers d’Hugo (tiré de « Montfaucon ») : « Tous les cultes sanglants ont là leurs souvenirs », je ne crois pas qu’on ait jamais fait la liaison du s avec l’auxiliaire ont : « Tous les cultes sanglants z-ont là leurs souvenirs »… Il me semble que ce vers ne peut se prononcer qu’ainsi : « Tous les culteu sanglan hont là leurs souveunirs » (j’ai lourdement noté « eu » les e qu’il faut faire entendre à l’oral, pour que le vers ait ses douze syllabes ; je rappelle que ces e sont prononcés mais qu’ils ne portent pas d’accent tonique).

Quant à cet autre vers d’Hugo : « Les astres émaillaient le ciel profond et sombre » (« Booz endormi »), je suis sûr qu’il doit être prononcé : « Les z-astreu émaillaient leu ciel profond t-é sombr’ » (l’accent tonique étant sur le a du mot astres, certainement pas sur le son que j’ai noté eu), et qu’il n’a jamais été prononcé : « Les z-astreu z-émaillaient… ».

Si le texte était en prose, cela se lirait : « Les z-astr’ émaillaient… ».

Un poème des Fleurs du mal de Baudelaire, intitulé « Une martyre », décrit longuement une jeune femme assassinée, et décapitée. Son corps se vide de son sang sur un lit luxueux, sa tête est posée sur la table de nuit. Voici la sixième strophe du poème (où alternent l’alexandrin et l’octosyllabe) : « Sur le lit, le tronc nu sans scrupules étale / Dans le plus complet abandon / La secrète splendeur et la beauté fatale / Dont la nature lui fit don ».

Pour ne pas ôter de sa force au premier vers de cette strophe, il est nécessaire d’adopter le même principe de prononciation : « Sur le lit, le tronc nu sans scrupuleu étale » – un accent tonique étant sur le deuxième u de scrupules et une micropause séparant les deux derniers mots. Ce serait détruire l’harmonie du vers que de prononcer : « sans scrupuleu-z-étale ».

Certes, on entend Jean Ferrat prononcer, dans un enregistrement daté de 1994 : « Les z-herbes z-ont poussé dans les fossés […] » (« Épilogue », poème d’Aragon en vers de dix-huit, dix-neuf ou vingt syllabes, mis en musique et chanté par Jean Ferrat, sur l’album Ferrat 95). La liaison faite par Ferrat entre herbes et ont poussé est maladroite. Il aurait pu articuler : « Les z-herbeu ont poussé ». Mais la chanson entière atteint une telle perfection qu’on ne fait guère attention à ce menu défaut, fruit d’un excès de zèle.

De même, les constructions du type Certains évitaient… n’ont probablement jamais été prononcées « z-évitaient ».

De même pour : Les autres étaient…, Les autres avaient…, Les autres arrivèrent, Les autres oublièrent, Nous vîmes les autres arriver.

On prononcera toujours : « Les z-autr’ étaient », « Les z-autr’ avaient », « Nous vîmes les z-autr’ arriver », etc. Quant aux poètes d’autrefois, je crois qu’ils évitaient spontanément, dans les vers, de mettre après « les autres » un verbe commençant par une voyelle.

Dans la phrase : Il les a vus arriver, je ne ferais pas non plus de liaison entre vus et arriver. Cela se prononce : « Il les z-a vu arriver. »

Sinon, pourquoi ne pas faire ce genre de liaison dans : Il les a entendus approcher, ce qui transformerait pratiquement la phrase en une autre : « Il les a entendus s’approcher »… On évite cette liaison pour empêcher une mécompréhension. D’autre part, on n’a pas jugé utile de lier une désinence de verbe conjugué (« a entendus ») avec l’initiale du verbe noyau d’une proposition infinitive (« les… approcher »), parce qu’il y a entre les deux verbes une césure syntaxique.

De même, la liaison ne se fait pas lorsque la construction met l’adjectif en position d’attribut du C.O.D. : Ils ont jugé ses propos étranges (= Ils ont jugé que ses propos étaient étranges). On parle d’une journée « portes z-ouvertes », mais la liaison ne se fait pas dans : Ils laisseront les portes ouvertes, et on prononce : « Ils laisseront les port’ houvertes », si possible avec une micropause. Le participe ouvertes est attribut du C.O.D. les portes ; il n’est pas inclus dans le groupe nominal. De même, Je déclare les jeux ouverts se prononce : « Je déclare les jeu houverts. »

Enfin, qu’en est-il de la liaison entre les pronoms personnels disjoints et un adverbe ? La liaison est indispensable dans Elles aussi, mais semble ne pas (ou ne plus) l’être dans : Vous aussi, Eux aussi, Nous aussi… Bien évidemment, si on omettait la liaison dans Elles aussi, l’auditeur se méprendrait sur le nombre.

 

À mon sens, la seule règle qui s’applique à ces différents cas de figure est celle-ci : Il ne faut pas vouloir faire TOUTES les liaisons possibles, mais il faut faire celles qui sont réellement UTILES. La liaison est très utile à l’intérieur d’un syntagme nominal au pluriel, pouvant comporter un et ou un ou. Elle est parfois utile entre le groupe nominal et un complément introduit par une préposition à initiale vocalique.

 

 

Note

Voici la liste des précédents billets que j’ai consacrés aux liaisons et aux élisions :

n° 5 - Liaisons et élisions : le grand renoncement ;

n° 6 - Liaisons et élisions : le grand renoncement (suite) ;

n° 25 - Dangereuses déliaisons.

 

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7 août 2019 3 07 /08 /août /2019 09:45

Bienvenue dans une France où les jeux olympiques, naguère « jeuzolympiques », sont devenus des « jeu olympiques ».

La liaison du x et plus généralement du s de pluriel avec l’initiale du mot suivant, quand celui-ci commence par une voyelle ou par un h muet, n’est plus pratiquée. La non-liaison, à l’oral, devient la norme. On fait entendre le singulier, là où un lecteur voit le pluriel.

Dans bien des cas, une information manque si ce « z » de liaison n’est pas prononcé. Dans une phrase où figure : « elles utilisent », il faut que nous l’entendions entre « elles » et « utilisent ». Sinon, nous allons supposer que l’auteur du texte a écrit : elle utilise.

Nous sommes arrivés ? Cela se disait : « Nous somm’-z-arrivés », c’est devenu : « Nous sommarrivés. » Pour le coup, on sait qu’il s’agit du pluriel : mais il y a là une inélégance, qui devrait être évitée. (Si les êtres désignés par ce nous sont tous de sexe féminin, on accorde le participe passé en conséquence. Pour savoir ce que je pense des graphies du type « Nous sommes arrivé∙e∙s », on peut se reporter à un billet de 2011 : Échantillons de français futuriste.)

Il ne faut pas vouloir faire TOUTES les liaisons possibles et imaginables, mais certaines liaisons sont réellement UTILES.

À l’intérieur d’une expression au pluriel comportant un nom suivi d’un adjectif ou un adjectif suivi d’un nom, et où le deuxième mot commence par une voyelle, les Français ont longtemps fait entendre le s ou le x antévocalique. Le syntagme au pluriel peut comporter plus d’un adjectif ou plus d’un nom, liés entre eux par une conjonction de coordination : des années de bons et loyaux services ; dans les prairies et les forêts ; les personnes riches ou pauvres… Il est bon de lier le s ou le x de pluriel avec la conjonction et, comme avec la conjonction ou.

Est-ce seulement parce que telle expression (jeux olympiques, émeutes urbaines, etc.) risquait d’être entendue comme étant au singulier (jeu olympique, émeute urbaine) ? Mais il suffisait que ladite expression fût précédée d’un article, défini ou indéfini, ou de n’importe quel autre déterminant faisant entendre le nombre, pour que tout auditeur sût que l’expression entière était au pluriel. Un linguiste professionnel nous ferait remarquer que l’article les ou des, le déterminant quelques ou certains devant un mot à initiale vocalique, rendent audible la mise au pluriel de l’ensemble du syntagme. Dès lors, nous dirait-il, pourquoi vouloir faire entendre, en plus du déterminant, une liaison intérieure qui, de toute manière, ne se réalise que si le deuxième mot commence par une voyelle ? Au locuteur qui tiendrait à faire entendre ce x ou ce s antévocalique, le linguiste serait capable de reprocher une redondance sémantique…

Pour ma part, je refuse de voir une redondance dans ce qui n’est que le résultat d’une élocution claire. Du moment qu’il est possible d’employer sans la faire précéder d’un article une expression du type que nous avons défini (exemple : un titre comme Splendeurs et misères des courtisanes), il est naturel de considérer que cette liaison intérieure devrait être réalisée en toute circonstance. Il n’y a pas de raison qu’un même syntagme au pluriel, du type nom + adjectif à initiale vocalique, ou adjectif + nom à initiale vocalique, soit prononcé de deux manières différentes selon qu’il aura été ou non précédé d’un déterminant.

Du reste, le raisonnement du linguiste indulgent se voit infliger un démenti de plus en plus flagrant. L’hebdomadaire Valeurs actuelles (« Valeurs z-actuelles ») est aujourd’hui appelé « Valeuractuelles » par ses propres journalistes et par ceux qui le lisent, bien que son nom ne soit précédé d’aucun déterminant. Quant au titre Splendeurs et misères des courtisanes, il est de moins en moins souvent prononcé « Splendeurs z-et misères… », les étudiants comme leurs professeurs l’ayant transformé en cette pauvre formule au singulier : « Splendeurémisère des courtisanes ».

De même, une journée portes ouvertes est devenue une « journée portouvertes », donc « porte ouverte ». Aucun indice n’est là pour rappeler à ceux qui entendent l’expression qu’elle s’écrit au pluriel, et beaucoup de ceux qui l’auront entendue sous cette forme tronquée croiront devoir l’écrire au singulier.

De belles oranges (« bell’z-oranges ») sont devenues « de belloranges » (et, plus couramment encore : « des belloranges »). Le ministère des Affaires étrangères (« z-étrangères ») est devenu ministère des « Affairétrangères ». Les petites et moyennes entreprises (« petit’-z-et moyenn’-z-entreprises ») sont devenues des « petitémoyennentreprises ». On n’incite plus les Français à s’inscrire sur les « listeu-z-électorales », mais sur les « listélectorales ».

Dans le tramway de Strasbourg, une voix de synthèse s’adresse aux passagers en prononçant : « Médamémessieurs », au lieu de : « Mesdames z-et Messieurs ».

Chaque groupe politique accuse ses adversaires d’être les idiots utiles de quelque chose, mais dans toutes les bouches nous n’entendons parler que d’« idio hutiles ». De même, l’expression à toutes fins utiles, qui s’emploie presque toujours au pluriel (et où le mot fins est synonyme de finalités, buts), est maintenant prononcée : « à toute fin utile ». Ce n’est pas qu’on ait décidé d’employer désormais cette expression au singulier, mais c’est qu’on ne veut plus faire entendre le s antévocalique.

Pourtant, rappelez-vous l’époque où venait de paraître le roman Les particules élémentaires, chez Flammarion, en 1998. Aucun journaliste n’aurait alors songé à massacrer ce titre en le rebaptisant : « Les particul’ élémentaires » (sauf, il est vrai, en 2001, dans Vivement dimanche, un certain Michel Drucker).

Essayez de vous rappeler la manière dont vous prononciez autrefois : Beaucoup d’autres exemples… ; est-ce que vous disiez déjà : « Beaucoup d’autr’ exemples » ? Quand quelqu’un vous parlait des autres élèves (du lycée que vous fréquentiez), ceux-ci étaient-ils déjà devenus les « autrélèves » ?

Les autres habitants, cela doit se dire : « les z-autres z-habitants ». Le h du nom habitants étant muet, la marque du pluriel de l’adjectif autres est bien un s antévocalique, qui se lie avec la voyelle a.

Il est vrai qu’en 1984 Jean-Jacques Goldman chantait déjà : « Envole-moi / Loin de cette fatalité qui colle à ma peau / Envole-moi / Remplis ma tête d’autr’ horizons, d’autres mots… » Or, le h du nom horizon étant muet, la marque du pluriel de l’adjectif autres est bien un s antévocalique, qui aurait dû se lier avec la voyelle o.

Les êtres humains (« êtres z-humains ») sont devenus des « êtrumains ». Les minutes heureuses chères à Baudelaire (« minut’-z-heureuses ») ne sont plus que des « minuteureuses ».

Dans les hautes herbes, cela risque de se dire bientôt : dans les « hauterbes ».

Bertrand Cantat chantait, en 1989 : « Aux sombr’ héros de l’amer / Qui ont su traverser les océans du vide… » L’élision est presque identique à celle que pratiquait Goldman, à une différence près : elle est faite devant un h aspiré. Les « sombr’ héros » sont là pour faire penser au sombrero, symbole de la révolution mexicaine, mais c’est un jeu de mots forcé, parce que la seule bonne manière de prononcer ce groupe nominal est : « sombreu héros ». Le nom héros commençant par un h aspiré, le s final de sombres ne se lie pas. Mais la syllabe finale de cet adjectif, qui contient ce s, ne peut être élidée.

Non moins absurdement, la liaison qu’on fait peut n’être pas la bonne. Un ancien ministre a parlé de « plusieurs petitétats » (oui, « petits t-états »), – comme si la prononciation du s de pluriel était non seulement facultative, mais d’importance secondaire par rapport à la prononciation de la consonne qui le précède.

« Certains grantartiste ont tenté de représenter le rêve. » (Entendu à la radio.) Il n’y a pas de liaison à faire entre artistes et ont, mais il y avait un s à faire entendre entre l’adjectif et le nom. Les grands oubliés de l’histoire : on entend de plus en plus souvent « les grantoubliés » (tandis que le refus assez général de l’invariabilité de grand employé comme adverbe aboutit à une liaison en z toujours très audible : « les yeux granzouverts », là où une liaison en t aurait été parfaite…).

Certes, le phénomène n’aboutit pas toujours à une liaison en t. Je viens d’entendre quelqu’un affirmer que les zoos sont « les derniérendroits » où les animaux sont protégés (précisons qu’il n’y a pas de liaison à faire entre endroits et ). Cette fois, le phénomène a abouti à une liaison en r. Il existe, publiée sur le réseau YouTube, une vidéo consacrée à des albums Spirou et Fantasio qui ont été dessinés et scénarisés par des auteurs « invités ». On peut y entendre ceci : « Ils ont [= l’éditeur a] refait la maquette des trois premiéralbums. » Ailleurs, dans je ne sais plus quelle émission radiophonique, les gens qui sont considérés comme les meilleurs amis du monde deviennent « les meilleuramis du monde ».

On consent à une liaison entre l’adjectif et le nom, à condition de sacrifier la marque du pluriel. Je suppose qu’articuler ce son « z » heurterait l’ouïe du locuteur, ou lui fatiguerait la langue.

Le phénomène touche aussi certains déterminants. Une narration historique comportait la phrase suivante : Il faudra attendre plusieurs heures pour que le marquis de Sombreuil et sa fille soient libérés. (Cette façon qu’ils ont tous de remplacer le présent de narration par le futur…) Eh bien j’ai entendu la narratrice prononcer : « plusieureures ».

 

Il ne faut pas avoir peur non plus de la succession de deux consonnes sifflantes.

« J’aurai de l’or : je serai oisif et brutal. Les femmes soignent ces féroces infirmes retour des pays chauds. » (Arthur Rimbaud, Une saison en enfer, « Mauvais sang ».) Il n’y a qu’une bonne façon de prononcer féroces infirmes, c’est : « féroceuzinfirmes ». Quant au e caduc qui se trouve à la fin d’infirmes, il vaut mieux éviter de le faire entendre puisque le poème est en prose. La fin de la phrase se lit donc ainsi : « ces féroceuzinfirm’ retour des pays chauds ».

Dans Jean-Michel Charlier, un réacteur sous la plume, documentaire filmé qui a été réalisé en 1988 par le Centre national de la bande dessinée et de l’image d’Angoulême, le scénariste des aventures de Buck Danny et de Tanguy et Laverdure déclare s’être documenté avant tout en allant « sur des bases aériennes aux États-Unis et en France », et il prononce nettement : « bases z-aériennes ».

Depuis de nombreuses années, croyez-vous que cela se soit dit : « Depuis de nombreuzannées » ?

Quand était évoquée, à propos de telle ou telle entreprise, la gestion des ressources humaines (anglicisme), nous entendions encore, dans les années 1990 : « ressources z-humaines », et non comme aujourd’hui : « ressourçumaines ».

Les puissances hostiles (« puissanss’ z-hostiles ») n’étaient pas encore devenues des « puissançostiles ». Et les carences alimentaires (carenss’ z-alimentaires ») ne devenaient pas dans toutes les bouches des « carençalimentaires ».

 

Sur les premières mesures de la chanson Quelque chose de Tennessee (écrite par Michel Berger, interprétée par Johnny Hallyday), un court texte de Tennessee Williams, extrait de La chatte sur un toit brûlant, est lu par Nathalie Baye. L’enregistrement date de 1985. La comédienne prononce : « Ah, vous autr’, homm’ faibl’ et merveilleux, qui mettez tant de grâce à vous retirer du jeu. Il faut qu’une main, posée sur votre épaule, vous pousse vers la vie. Cette main tendre et légère… » L’élision de la syllabe finale du mot autres est ici parfaitement légitime : l’expression « vous autres » est entre virgules, en apostrophe. La dernière syllabe d’une expression mise en apostrophe ne se lie jamais avec les mots qui la suivent, même lorsque ces mots forment (comme ici) une autre expression en apostrophe.

En revanche, Nathalie Baye a tort d’omettre, entre l’adjectif faibles et la conjonction et, une liaison utile. Comme le montre l’exemple des petites et moyennes entreprises, cité plus haut, la liaison du s ou du x avec la voyelle de la conjonction et n’est pas facultative.

De même, je regrette que Bertrand Louis, dans sa belle mise en chanson – ou mise en rock – du poème « Futur éternel de substitution », de Philippe Muray (extrait du recueil Minimum respect, éditions Belles Lettres, 2003), n’ait pas tenu compte des s antévocaliques qu’il y a dans la première strophe : « Nous aurons des journées nationales et mondiales / Nous aurons des journées régionales et fatales / Nous aurons des années locales et conviviales / Nous aurons des conneries quinquennales et florales »…

Bertrand Louis prononce : « national’ et mondiales », « régional’ et fatales », etc.

Certes, il a raison de ne pas prononcer les e caducs. Muray écrivait en alexandrins modernes : ils riment plus ou moins, et font leurs douze syllabes à condition qu’on oublie la plupart des e qu’ils renferment. Mais Bertrand Louis aurait dû maintenir les liaisons avec la conjonction et : « Nous aurons des journées national-z-et mondiales / […] régional-z-et fatales / […] local-z-et conviviales / Nous aurons des conn’ries quinquennal-z-et florales »… Non seulement ces liaisons ne troublent pas l’euphonie des vers, mais elles confèrent au texte une plénitude syntaxique qui en augmente la verdeur satirique.

 

Dans les Fnac, pendant des décennies, nous avons entendu une voix féminine faire au micro des annonces qui commençaient par la formule : Chers clients, chers adhérents (« chers z-adhérents »). Cette formule est toujours utilisée, mais jamais plus on n’y entend le s antévocalique, alors qu’il n’a probablement pas cessé de figurer dans le texte que lisent les employés (aujourd’hui hommes ou femmes) chargés de faire ces annonces. On entend donc : « Cher client, cher adhérent », ou dans ce nouvel ordre : « Cher adhérent, cher client ». Le soir, par exemple : « Cher adhérent, cher client, nous vous informons que votre magasin va fermer ses portes. Nous vous prions de terminer vos achats et vos demandes de renseignements… » Il est difficile de croire qu’une telle annonce s’adresse à un seul client ou adhérent-client.

Chers professionnels de la communication, quand vous voulez dire Chers auditeurs, Chers adhérents ou Chers amis, faites en sorte que nous entendions « Cherzauditeurs », « Cherzadhérents », « Cherzamis ». Si vous ne faites pas entendre le pluriel, nous entendons le singulier.

Je l’ai signalé plus haut : lorsqu’une journée portes ouvertes se transforme en « journée portouvertes », pour l’auditeur le pluriel est frauduleusement remplacé par le singulier. Si naguère chacun prenait soin de faire ce type de liaisons, c’était pour ne ne pas faire entendre à son interlocuteur ou à son auditoire une information erronée, ou pour que l’interlocuteur ou l’auditoire n’entendît pas autre chose que ce qui était écrit. Il n’y avait pas d’affectation à faire entendre le pluriel.

 

Précisons encore une chose. C’est à l’intérieur d’un groupe nominal que se fait la liaison avec et (ou avec ou) : Ils tranchaient les viandes et les volailles (« z-et les volailles »). On ne fait pas cette liaison si ce et (si ce ou) coordonne deux propositions : Ils tranchaient les viandes et découpaient les volailles. Prononcer : « les viand’ et découpaient… ».

 

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10 mai 2019 5 10 /05 /mai /2019 09:58

Vous résistez à l’hiatus partout où celui-ci est admis par la langue mais vous l’imposez dans des expressions et des constructions où il était resté inconcevable pendant plusieurs siècles.

Vous êtes généralement soucieux de mettre un l’ dans « si on… » et dans « pourquoi on… ». Cela peut s’avérer lourd (« Si l’on savait vraiment pourquoi l’on est aimé ! »), mais c’est correct.

Malheureusement, toujours pour esquiver l’hiatus, vous dites : « un norjeu », pour : un hors-jeu. Ne vous a-t-on jamais appris que ce h est aspiré, comme dans haricot ? De même, vous dites « les z-andicapés », au lieu de dire : « lé handicapés ». Vous savez pourtant qu’on dit : le handicap. S’il fallait dire « les z-andicapés », on dirait aussi « l’handicap » ! Soyez un peu cohérents…

La plupart d’entre vous arrivent encore à prononcer correctement Nous hurlons (sans liaison), mais on entend très souvent Ils hurlent prononcé « ils z-urlent ». Chez les jeunes (et chez les vieux qui les imitent), le harcèlement est devenu « l’harcèlement »…

Vous parlez maintenant de « pseudo-z-intellectuels ». Enfin, introduisant une consonne épenthétique là où il n’en faut pas, vous êtes de plus en plus nombreux à dire : « Il faudra-t-alors », « On devra-t-alors », « On sera-t-alors », « Il sera-t-également », « Rien ne sera-t-épargné », « La mesure va-t-être effective », « Le film dont il va-t-être question », « Cette décision vise-t-à créer » ; et même : « X était devenu-t-un fardeau », « Ce qui aurait pu-t-être un simple intermède », « Il s’est-avéré-t-être un adversaire redoutable » (ou encore : « Il s’è avéré-t-être… »).

Il existe un groupe d’amateurs de cinéma qui, sous le nom de « Monsieur Bobine », publie de passionnantes analyses de films sur YouTube. Un petit personnage animé, qui a la forme d’une boîte de bobine de film, dotée d’une paire d’yeux et d’une bouche, commente un film particulier ou toute l’œuvre d’un réalisateur, d’un scénariste, d’un producteur, tandis que de brefs extraits des œuvres mentionnées sont diffusés à l’arrière-plan. Dans une vidéo intitulée Quentin Tarantino le mercenaire, M. Bobine évoque les différents scénaristes qui ont collaboré à l’écriture du film The Rock de Michael Bay (1996), film qui est sorti en France sous un titre que je me permets de juger absurde (Rock, au lieu de Roc). Au milieu de son commentaire, M. Bobine dit ceci : « On pourrait s’attendre à ce que Sorkin ai [sic] été-t-engagé pour donner de l’épaisseur au personnage du général rénégat [sic, pour renégat] campé par Ed Harris. Manque de pot, Simpson et Bruckheimer [producteurs du film] lui ont seulement demandé d’écrire des scènes de comédie, ce qui n’est pas spécialement son point fort [sic, pour : n’est pas spécialement son fort]. » Aaron Sorkin, alors dramaturge et scénariste débutant.

Comme presque tous nos contemporains omettent la liaison du t final de « est » ou de « ait » avec tout participe passé commençant par une voyelle, on a l’impression que c’est ce t omis ici qui ressurgit là. On constate ce phénomène dans l’exemple précédent, où j’en ai signalé l’amorce par un sic, mais aussi dans une construction pléonastique citée plus haut, Il s’est avéré être…, dont la prononciation fautive est désormais : « Il s’è avéré-t-être… »

Autre exemple [ajout de 2023] : « La légende raconte qu’il [Tim Berners-Lee] travaillait depuis le bureau n° 404, et qu’il n’était pas souvent présent. D’où la blague du “404”, “Not found”, pour indiquer qu’une page ne peut pas-t-être trouvée. » (Vidéo courte signée V2F, intitulée « D’où vient le 404 de l’erreur 404 ? », publiée en 2023 sur Youtube. Tim Berners-Lee, informatricien britannique, est le principal inventeur du Web.) Je suppose que c’est le t final de « peut » que le dénommé V2F a rendu audible devant la première initiale vocalique disponible, au détriment du s de « pas » qui aurait dû donner lieu à une liaison en z.

Croyez-vous ainsi faire preuve d’élégance dans l’élocution ?

Et contradictoirement à ce système, ô modernes, en ne faisant plus aucune des liaisons utiles de l’oral, vous créez des hiatus à tort et à travers : « le premié enfant » (pour : le premier enfant) ; « donner le mauvè exemple » (pour : donner le mauvais exemple) ; « le secon hintervenant » (pour : le second intervenant) ; « nos cen hinvités » (pour : nos cent invités) ; « accueillir quelqu’un à bra ouverts » ; « un gran harbre » ; « ils son hen train de manger » ; « on è arrivés »… Vous en inventez tous les jours.

Pour prononcer un gros album, vous direz : « un gro album », alors que parallèlement vous continuerez à parler, comme il se doit, du « gro-z-orteil ». Le gros intestin n’a pas eu la même chance que le gros orteil, puisqu’on vous entend de plus en plus souvent parler du « gro intestin ».

Avoir l’impression de ne plus exister ; un abus qui est censé ne plus exister… Cela se prononce (sans hiatus) : « ne plu-z-exister », mais vous avez tendance à le prononcer (avec hiatus) : « ne plu exister ».

Après avoir évoqué telle question, cela se disait : « Aprè-z-avoir… », c’est devenu : « Aprè avoir… »

Sans aller jusque-là… La prononciation, qui devrait être : « sans z-aller », est devenue : « s’en hallé ».

Sans aucun doute : on entend parfois cette expression prononcée « s’en haucun doute » !

Joyeux anniversaire ! est un anglicisme qui s’est substitué à la formule traditionnelle Bon anniversaire ! (dont la prononciation correcte est : « bonn’anniversaire »). Je me demande combien de temps il faudra pour que ce joyeux anniversaire qu’on souhaite à quelqu’un, et qui se dit encore : « joyeu-z-anniversaire », devienne : « joyeu anniversaire ».

N’ai-je pas entendu parler à la radio d’un enfant mort « en bahage » ? Or l’expression en bas âge ne peut se prononcer autrement que : « en bazage ».

À l’écrit, vous en venez à croire que le trait d’union sert à indiquer une liaison à faire (comme dans peut-être, dont la prononciation est maintenant différente de celle de « peut être »). Le principe de la liaison s’est perdu, au point que les rares liaisons persistantes vous semblent devoir être transcrites soit par l’ajout d’un trait d’union intempestif, soit par la mise au féminin de tel adjectif qualificatif précédant un nom masculin, comme dans cette phrase (lue sur http://www.prejuges.com/) : « Construites dans les années 60, ces cités périphériques étaient plutôt bienvenues. Elles accueillaient une population cosmopolite dans une ambiance bonne enfant. »

Certes, vous ne tarderez pas à prononcer cette même locution ainsi : « une ambiance bon henfant »…

Franchement, je ne vous comprends plus. Ces nouvelles manières de prononcer, qui consistent à créer de faux hiatus par refus des liaisons, ou à empêcher l’hiatus véritable en l’encombrant d’une consonne superflue, caractérisent l’enfant qui acquiert le langage, l’étranger qui apprend notre langue, mais sont indignes de gens qui ont été scolarisés, qui ont obtenu des diplômes, des légions d’honneur, des prix littéraires.

N’inventons pas des liaisons inexistantes ; n’omettons pas les liaisons utiles ou nécessaires. Bref, sachons prononcer clairement, mais sans affectation : « il devra alors » et « un mystérieuzaccident ».

 

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8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 21:50

 

132 - L’épithète et le court-circuit sémantique

133 - La mutation sémantique du verbe « initier »

134 - La mutation sémantique du verbe « dédier »

135 - L’école des massacreurs de dialogues

136 - Houellebecq et les incises du dialogue

137 - Kundera et les incises du dialogue

138 - La fin du singulier distributif

139 - La fin du singulier distributif, et autres usages erronés du pluriel

140 - La fin du singulier distributif, et autres usages erronés du pluriel (suite)

141 - « Un de ces » : erreurs graphiques et incohérences logiques (1)

142 - « Un de ces » : erreurs graphiques et incohérences logiques (2)

143 - « Un de ces » : erreurs graphiques et incohérences logiques (3)

144 - « Un de ces » : erreurs graphiques et incohérences logiques (4)

145 - « Le fait est c’est que… »

146 - Expansions du nom : attention aux excès de poids

147 - Autres remarques sur les expansions du nom

148 - Attention aux excès de poids : le cas des relatives

149 - Qui veut remplacer « une femme » par « une personne » ?

150 - On mutile la syntaxe (3) : la question des fourchettes

151 - On mutile la syntaxe (3) : la question des fourchettes (suite)

152 - On mutile la syntaxe (3) : la question des fourchettes (suite et fin)

153 - Français langue trouée : quand sont escamotés le pronom relatif et le verbe « être » (1)

154 - Français langue trouée : quand sont escamotés le pronom relatif et le verbe « être » (2)

155 - Français langue trouée : quand sont escamotés le pronom relatif et le verbe « être » (3)

156 - Français langue trouée : les équivalents du verbe « être »

157 - Français langue trouée : quand sont escamotés le pronom relatif et le verbe « avoir »

158 - Français langue trouée : autres verbes omis

159 - Français langue trouée : doit-on introduire la subordination relative ou un participe passé ?

160 - Français langue trouée : carambolage de prépositions et compléments flottants

161 - Français langue trouée : exercice

162 - Prononciation nouvelle du « e » situé en milieu de mot

163 - Encore des trous

164 - Le destin du « ne » explétif

165 - Le destin du « ne » explétif (suite)

166 - Complément sur « avant que »

167 - « Moi qui… », « toi qui… » et l’accord du verbe

168 - « Moi qui… », « toi qui… » et l’accord du verbe (suite)

169 - « Moi qui… », « toi qui… » et l’accord du verbe (on n’en finit pas)

170 - Archéologie : les répliques du discours direct réduites aux points de suspension

171 - Interlude champêtre

172 - Comment s’écrit le subjonctif présent du verbe « voir » ?

173 - Déterminative ou explicative : nouveaux exemples

174 - Quel accord choisir après une locution au singulier qui est suivie d’un nom au pluriel ?

175 - « Nombre de… » et « seul un nombre » : il y a du shimmy dans les accords

176 - Du shimmy dans les accords ? Essai d’explication

177 - Du shimmy dans les accords : autres exemples (1)

178 - Du shimmy dans les accords : autres exemples (2)

179 - Du shimmy dans les accords : autres exemples (3)

180 - Du shimmy dans les accords : autres exemples (4)

181 - Le mot « couple » unit-il encore les individus qui composent ce qu’il désigne ?

182 - De même, le mot « peuple » ou « population »

183 - Les Mémoires ont mauvais genre

 

Consultez aussi :

131 - Première table des matières

202 - Troisième table des matières

 

Enfin, on examinera avec profit notre…

194 - Tentative de résumé général

 

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8 avril 2019 1 08 /04 /avril /2019 00:53

L’une des beautés de la langue française est qu’il y existe un genre masculin et un genre féminin des noms. Piment de la chose, la division entre noms féminins et noms masculins n’a rien de mécanique, et la présence d’une finale « féminine » (pour utiliser un terme de versification) ne garantit nullement que le nom appartient au genre féminin.

Bien sûr, nous sommes entrés dans une époque où les gens cultivés féminisent les mots cerne, termite, éloge, trille, opprobre, haltère, amalgame, dithyrambe, tentacule, testicule, et où une célèbre psychanalyste peut parler sur France Culture d’une ovule… Mais parallèlement on masculinise anagramme, on masculinise échappatoire, et même les agrégés de lettres, allez comprendre ! se sont mis à parler d’un épithète et d’un hypallage. (L’hypallage, nom féminin, est une figure de style qu’on nous enseignait au lycée en citant : « Ils allaient obscurs dans la nuit solitaire. »)

Ce sont souvent les mêmes qui féminisent l’éloge et qui masculinisent l’anagramme. Ennemis du dictionnaire, ils se fient à leur « instinct » de la langue. Est-ce que ça sonne bien ou est-ce que ça sonne mal ? se demandent-ils, sûrs de posséder un sens infaillible du correct et de l’incorrect.

Nos contemporains ont tendance à l’oublier, mais le mot mémoires (désignant un écrit) a toujours été du masculin, comme peuvent nous le rappeler certains titres d’ouvrages : Mémoires improvisés de Paul Claudel (« recueillis par Jean Amrouche », Gallimard, 1954) ; Mémoires intérieurs (1959) et surtout Nouveaux Mémoires intérieurs (1965) de François Mauriac ; Mémoires particuliers de Mme Rolland ; Mémoires de Louise Michel écrits par elle-même (1886) ; Mémoires inédits d’Alfred de Vigny, parus chez Gallimard en 1958 ; Mémoires écrits dans un souterrain, de Dostoïevski, selon ses traducteurs de 1926 Henri Mongault et Marc Laval ; les Mémoires secrets (dits de Bachaumont) pour servir à l’histoire de la République des Lettres en France, trente-six volumes parus entre 1777 et 1789. Que les mémoires ou Mémoires (le mot est parfois écrit avec majuscule) soient un texte réellement autobiographique, un roman à la première personne ou la compilation chronologique de documents de provenance diverse, le mot est masculin : un mémoire, des mémoires. Or nos journalistes, nos professeurs, nos académiciens, tout le monde veut maintenant que ce soit un nom féminin pluriel.

Anne Wiazemsky a publié chez Gallimard, dans la collection NRF, un livre où elle raconte ses souvenirs de l’année 1968, qu’elle traversa aux côtés de Jean-Luc Godard. L’auteur fait commencer son récit un an après son mariage ; d’où le titre : Un an après. Le qualifiant de « faux journal intime », Emmanuelle Maffesoli écrit à propos de ce livre, dans le numéro 56 de La Revue littéraire : « Anne Wiazemsky a écrit un “journal intime”, quarante ans après. Le passé est revécu au présent. L’inverse des mémoires, en somme, caractérisées par le double “je” : le narrateur – celui qui se remémore les événements – et le “je” du passé – celui qui vit l’histoire. Ici, aucun recul de ce genre ; l’auteur n’analyse pas la vie de la jeune fille d’antan, ne se morigène pas ni n’exprime de nostalgie. » (La Revue littéraire, février-mars 2015, éditions Léo Scheer, p. 109, section des notes critiques consacrées à la « rentrée de janvier ».) Ce mélange de science et d’ignorance peut décourager.

Un article de Jean-Pierre Salgas, « Tel Quel “en tant que tel” (1960-1982) », paru dans le nº 113 (hiver 2011) de la revue trimestrielle L’Infini, contient beaucoup de coquilles et de fautes. Le verbe déployer, employé au présent de l’indicatif, à la troisième personne du singulier, est écrit « déploit » (p. 107 de ce numéro) ; l’auteur intervertit ou et (dans les pages 119 et 122) ; croyant pouvoir mettre un s au pronom moi, il conteste au nom du dogme bourdieusien ce qu’il nomme le « dogme proustien des “deux mois” » (p. 122) ; et nous lisons aussi à la page 107 : « Bien avant ses récentes Mémoires, on trouve dans ses livres [= les livres de Philippe Sollers] d’innombrables versions et variations “autobiographiques”, autour [sic] de la bourgeoisie de Bordeaux, de l’île de Ré, de Venise… »

(Lesdits mémoires de Philippe Sollers, qui s’intitulent Un vrai roman : mémoires, sont parus aux éditions Plon, en 2007, puis dans la collection Folio de Gallimard, en 2009.)

D’autres mentionnent des mémorialistes prestigieux, toujours les mêmes, et ce qu’ils en disent contient l’aveu qu’ils ne les ont pas vraiment lus : « Mais qui se cache vraiment derrière la personnalité complexe de François Fillon ? À l’âge de 14 ans, le futur Premier ministre de Nicolas Sarkozy dévore les mémoires du Général [sic] de Gaulle et celles de Chateaubriand. » (Jérôme Besnard, La droite imaginaire : De Chateaubriand à François Fillon ; éditions du Cerf, 2018, p. 173.) La graphie « Premier ministre », avec majuscule à l’adjectif et pas au substantif, est une autre aberration du français journalistique actuel.

Sur la quatrième de couverture d’une édition en un seul volume des Mémoires (de guerre et d’espoir) de Charles de Gaulle, parue en juin 2016 aux éditions Plon (l’éditeur historique du Général !), nous lisons avec consternation :

« Les MÉMOIRES DE GUERRE sont un compte rendu de l’action du Général entre 1940 et 1946. Ses MÉMOIRES D’ESPOIR, dont la rédaction a été interrompue par sa mort, couvrent son retour aux affaires politiques en 1958 et sont complétées par les conférences de presse, allocutions, discours et messages sélectionnés par son fils, l’amiral Philippe de Gaulle. »

Le néologisme Antimémoires, créé par Malraux, n’est pas d’un genre autre que le mot mémoires, et pourtant : « En 1964, Jackie Kennedy se réinstalle à New York dans son appartement qu’elle loue depuis des années au Carlyle juste au-dessus des Meyer [= le banquier André Meyer et sa femme, que fréquentait Madeleine Malraux]. […] La plus célèbre veuve des États-Unis ne cesse de répéter “Il faut que j’en parle à André [Meyer]” et descend plusieurs fois par jour au trente-troisième étage. Elle y retrouve Madeleine et ne se lasse pas d’accuser en français Malraux d’avoir été un mari “dégoûtant”, et de raconter qu’elle s’est fait un plaisir de ne pas le remercier des Antimémoires qu’il lui a dédicacées. » (Aude Terray, Madame Malraux, biographie, éditions Grasset, 2013, p. 283. Faute non corrigée dans la réédition au Livre de Poche, p. 299, pourtant parue deux ans et demi plus tard.)

Hélas, en 1977 déjà, et sous la plume d’un futur prix Nobel de littérature :

« Et j’ai conservé jusqu’à maintenant ceux [= les livres] qu’elle eut la gentillesse de m’offrir : le Larousse du XXe siècle en six volumes, le dictionnaire Littré, l’Histoire naturelle de Buffon dans une très vieille et très belle édition illustrée, et enfin les Mémoires de Bülow, reliées d’un maroquin vert pâle. » (Patrick Modiano, Livret de famille, chapitre XII, éditions Gallimard, NRF, 1977, p. 146 ; texte identique dans le volume de la collection Folio, p. 175 ; et dans le volume Romans de Patrick Modiano, collection Quarto, Gallimard, 2013, p. 308.)

La reporter et photographe Laurence Deonna a publié un livre intitulé Mémoires ébouriffées : Ma vie, mes reportages (éditions Gingko et éditions de l’Aire, 2014). Née en 1937, Laurence Deonna devrait connaître le genre du mot mémoires.

Claude Lorius a écrit, en collaboration avec Djamel Tahi, Mémoires sauvées des glaces : autobiographie (éditions Arthaud, 2016). Claude Lorius est glaciologue. Étant né en 1932, il devrait lui aussi connaître le genre du mot mémoires

Il est encore plus surprenant de voir le grand médiéviste Jacques Heers, vers la fin de sa vie, dans un essai par ailleurs admirable, commettre la même faute. Évoquant les mémorialistes de toutes époques, ces écrivains et ces graphomanes que les historiens ont longtemps considérés comme les meilleurs témoins de leur temps, Jacques Heers écrit ceci : « Ces “mémoires”, le plus souvent d’une grande richesse, furent publiées, traduites en parler moderne, bien annotées par des érudits qui avaient pris le soin de tout identifier, personnages et lieux de l’action. On les trouvait rassemblées dans de grandes collections, disponibles dans toutes les bibliothèques. L’étude en était aisée […]. » (Jacques Heers, L’histoire assassinée : Les pièges de la mémoire ; éditions de Paris, 2006, p. 12.)

L’anglais distingue memories et memoirs, comme nous distinguons souvenirs et mémoires. Sans doute est-ce l’existence du mot anglais memories qui a faussé la distinction entre la mémoire et les mémoires dans l’esprit des Français. Un titre anglais de livre ou de film qui commence par Memories of… doit être traduit par Souvenirs de…, comme nous avons en français Souvenirs d’une petite fille, de Gyp, ou la série des Souvenirs d’enfance de Pagnol (La gloire de mon père, Le château de ma mère, etc.).

Comment se fait-il que nos intellectuels ne fassent pas le lien entre le mémoire que compose un étudiant pour être jugé digne de tel ou tel grade universitaire, et les mémoires d’un écrivain, d’un témoin, etc. ? Les étudiants diront-ils bientôt qu’ils ont une mémoire à rédiger ?

 

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30 mars 2019 6 30 /03 /mars /2019 13:13

Le texte qui défile sur l’écran au début de Vera Cruz de Robert Aldrich (1954) comporte le passage que voici : « The Mexican people were struggling to rid themselves of their foreign Emperor – Maximilian. / Into this fight rode a handful of Americans – ex-soldiers, adventurers, criminals – all bent on gain. » Dans le sous-titrage français de 2001, cette phrase est traduite de la façon suivante (par la société londonienne Visiontext) : « Le peuple mexicain peine [sic] à se débarrasser de leur empereur étranger, Maximilien. Des Américains participent à leur lutte… Soldats, aventuriers, criminels attirés par l’argent. »

Cette horreur semble s’être diffusée sous l’influence de l’anglais people, qui requiert toujours la mise au pluriel du verbe et se traduit couramment par « les gens ».

« Ouverte à tous, une MJC offre à la population qui l’entoure la possibilité de prendre conscience de leurs aptitudes, de développer leur personnalité, de se préparer à devenir les citoyens actifs et responsables d’une démocratie vivante. » (Site Internet de la Fédération régionale des Maisons des Jeunes et de la Culture de Lorraine ; page intitulée : « Projets et valeurs d’éducation [sic] populaire ».)

 

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25 mars 2019 1 25 /03 /mars /2019 19:02

Je traiterai ici de couple, nom masculin, qui désigne deux personnes ou deux êtres liés par un sentiment, par le travail ou par un intérêt commun, et non de couple, nom féminin, très rarement employé, qui désigne deux choses ou deux animaux réunis occasionnellement ou réunis accidentellement (une couple de colombes, une couple d’œufs). Pour que nous ne confondions pas les deux notions, Jacques Laurent nous propose dans Le français en cage (éditions Grasset, 1988) de retenir cet exemple : « Un couple d’amants dédaigne pour se regarder une couple de perdrix aux choux. »

Le nom masculin couple exige le verbe au singulier, tandis que le nom féminin couple exige le pluriel : « Un couple de pigeons est suffisant pour peupler une volière ; une couple de pigeons ne sont pas suffisants pour le dîner de six personnes. » (Exemple forgé au XVIIIe siècle par le grammairien Nicolas Beauzée.) « Une couple d’amis sont deux individus pris dans la généralité des hommes qui méritent ce titre [= ce titre d’amis] : en nommant Harmodius et Pilade, je cite une couple d’amis. » (Louis-Nicolas Bescherelle, Grammaire nationale, 1835. Les italiques sont de l’auteur.) Harmodius ou Harmodios : personnage historique mort en - 514 ; Pilade ou Pylade, personnage de la mythologie. Ils ont chacun eu un ami : Aristogiton pour le premier, Oreste pour le second ; mais eux-mêmes n’ont pu se connaître.

Or un des phénomènes irritants qui se manifestent dans les conversations ou dans les romans actuels est que le nom masculin couple, toujours très usité, et qui a toujours fait dominer la notion d’unité sur celle de pluralité, est de plus en plus fréquemment repris par un pronom personnel ou un adjectif possessif au pluriel.

Tous les matins, c’est aux commandes d’un petit bateau à moteur que Bob, le narrateur, se rend à son école, accompagné de sa petite sœur. « On aborda aussi près de l’école que possible et, après avoir solidement attaché le Marlin [tel est le nom que porte leur bateau], on partit en courant sur un chemin privé. En voyant un couple prenant leur petit déjeuner dans leur patio, on ralentit le pas. Ils nous dirent bonjour, et on leur répondit […]. » (Benjamin Legrand traduisant Gregory Hughes, Pour toi je décrocherai la lune, éditions du Seuil, 2013, p. 49.)

Quelle syntaxe pénible à lire, même si l’on considère que le narrateur parle ici comme l’enfant de douze ans qu’il était au moment où s’est déroulée son aventure. Il aurait suffi d’écrire par exemple : « un couple de jeunes amoureux », pour que la reprise du syntagme nominal par leur ne posât pas le moindre problème (dans la phrase apparaît d’abord l’adjectif possessif leur, puis le pronom personnel leur). Autre défaut de ce passage : l’alliance du passé simple et du pronom on substitué au nous. Associer un temps verbal caractéristique de la littérature et un trait de la langue populaire donne à la prose un aspect hétéroclite.

« Nous nous trouvions derrière le couple vedette, à leur gauche, donc à droite sur la photo. » (Patrick Besson, Belle-sœur, éditions Fayard, 2007 ; collection Points, p. 176.) À leur gauche = à la gauche de l’homme et de la femme qui formaient le « couple vedette », à savoir un acteur de cinéma et sa compagne.

« Les derniers baigneurs revenaient, une serviette à la main. À quelques mètres du rivage, enlacés dans l’eau tiède, un couple faisait l’amour. » (Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, 2001 ; collection J’ai lu, p. 308.) Il faudrait dire : « Enlacés, un homme et une femme faisaient… » (Je n’ai pas le temps de me replonger dans le roman pour savoir si le contexte autorise : « Enlacés, deux hommes » ; en tout cas, l’accord du participe passé nous interdit de supposer qu’il puisse s’agir de deux femmes.) Mieux respecter la grammaire aurait obligé l’écrivain à ne pas oublier les éléments qui permettent au lecteur d’imaginer la scène, même lorsque cette scène est à peine décrite.

« [Serge Le Chenadec] but une bière au Longchamp, rue de l’Arbre Sec [sic : trait d’union omis]. Un couple américain, parents de deux petites filles, était assis à la table d’à côté ; à leurs pieds reposait un grand sac Le Louvre d’où dépassait un rouleau en carton protégeant la reproduction d’une toile de maître. Le couple s’embrassait, enchanté de son séjour dans la capitale française […]. » (Patrice Jean, L’homme surnuméraire, roman, éditions Rue Fromentin, 2017, p. 44.)

Cette fois encore, une plus grande attention portée à la langue aurait permis d’améliorer le texte. Par exemple ainsi : « Un couple américain, accompagné de deux petites filles, était assis à la table d’à côté ; aux pieds de l’homme et de la femme reposait un grand sac Le Louvre, d’où dépassait un rouleau en carton protégeant la reproduction d’une toile de maître. L’homme et la femme s’embrassaient, enchantés de leur séjour… » De fait, pourquoi préciser que les deux Américains sont les parents des fillettes ? La scène est vue par les yeux d’un personnage, Serge Le Chenadec, et celui-ci ne sait rien des quatre Américains qu’il observe. L’écrivain peut éviter de donner au lecteur un renseignement que son héros-observateur ne possède pas. La grammaire serait respectée, et l’expérience romanesque proposée au lecteur serait plus stimulante.

« [Olga et Jed] pouvaient s’attendre de la part des hôteliers à un accueil privilégié : jeune couple urbain riche sans enfants, esthétiquement très décoratif, encore dans la première phase de leur amouret de ce fait prompts à s’émerveiller de tout, dans l’espoir de se constituer une réserve de beaux souvenirs qui leur serviraient au moment d’aborder les années difficiles, qui leur permettraient peut-être même de surmonter une crise dans leur couple – ils représentaient, pour tout professionnel de l’hôtellerie-restauration, l’archétype des clients idéaux. » (Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, 2010 ; collection J’ai lu, p. 92-93. Les italiques sont de l’auteur.)

Certes, couple n’est peut-être qu’apposé au pronom ils, qui surgit dans le dernier membre de la phrase. Mais il suffirait d’expliciter un simple élément, devant l’adverbe encore, pour que la phrase soit parfaitement ciselée. Il suffirait d’écrire : « jeune couple urbain riche sans enfants, esthétiquement très décoratif, homme et femme encore dans la première phase de leur amour »…

« Quelques mois après notre rencontre, Sylvie me présenta Édouard. Elle annonça sobrement : “C’est l’homme de ma vie.” […] Ils formaient l’un de ces couples improbables dont personne ne peut réellement saisir les points communs. » (David Foenkinos, Je vais mieux, roman, éditions Gallimard, NRF, 2013, p. 14.) Il vaudrait mieux dire : « l’un de ces couples improbables dont les membres sont unis par des points communs que personne ne peut réellement saisir ».

Notre oubli de la nuance sémantique dont couple était porteur a des effets non seulement sur la reprise pronominale mais aussi sur l’accord du verbe. Couple en vient à entraîner la mise au pluriel du verbe. Lu sur un site répertoriant des blagues : « C’est un couple qui sont en train de faire l’amour », etc. La dualité des individus qui composent le couple n’est plus surmontée.

Pris dans un de ses sens habituels, le mot ménage donne lieu aux mêmes difficultés. Ce nom ajoute à la notion d’union entre deux personnes l’idée que ces personnes habitent ensemble. Léo Malet se tire habilement de la difficulté en faisant dire à l’un de ses personnages : « – […] Là-bas [à Saint-Rémy-lès-Chevreuse], un vieux ménage de paysans qui l’ont connue gamine s’occupe d’elle. » (Léo Malet, Les rats de Montsouris, éditions Robert Laffont, 1955, chapitre X ; reparu aux éditions des Autres, 1979, p. 94. Le locuteur est un peintre et le pronom elle renvoie à la femme de celui-ci.) La subordonnée relative complète le nom paysans (au pluriel), tandis que la principale respecte l’accord (au singulier) imposé par le nom couple.

Je ferai une autre observation : nos contemporains mettent le verbe au singulier lorsque le groupe sujet commence par « la plupart des… » ou par « la majorité des… », alors qu’il y faut le pluriel, et ils accordent le verbe au pluriel avec le nom couple, alors qu’il y faut le singulier. Ces tendances sont irrépressibles, et semblent devenir dominantes. Pourquoi cette inversion des logiques de notre langue ?

 

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8 août 2018 3 08 /08 /août /2018 00:01

Chez un classique pleinement maître de sa langue, même le syntagme « un troupeau de… » peut entraîner la mise au pluriel du verbe, comme le montre ce splendide passage de Chateaubriand, où sont fustigés les révolutionnaires devenus louis-philippards :

« Quoi ! l’Europe bouleversée, les trônes croulant les uns sur les autres, les générations précipitées à la fosse le glaive dans le sein, le monde en travail pendant un demi-siècle, tout cela pour enfanter la quasi-légitimité ! On concevrait une grande République émergeant de ce cataclysme social ; du moins serait-elle habile à hériter des conquêtes de la Révolution, à savoir, la liberté politique, la liberté et la publicité de la pensée, le nivellement des rangs, l’admission à tous les emplois, l’égalité de tous devant la loi, l’élection et la souveraineté populaire. Mais comment supposer qu’un troupeau de sordides médiocrités, sauvées du naufrage, puissent employer ces principes ? À quelle proportion ne les ont-elles pas déjà réduits ! elles les détestent et ne soupirent qu’après les lois d’exception […]. » (F.-R. de Chateaubriand, Mémoires d’outre-tombe, livre XXXIV, chapitre XIII ; extrait d’une lettre adressée à la duchesse de Berry.) « Ces principes » : la liberté politique, la liberté et la publicité de la pensée, etc.

Troupeau fait habituellement prédominer l’idée d’unité sur celle de pluralité, mais le pluriel suggère ici que le mot signifie : troupe désordonnée, désunie.

 

Mais comment voulez-vous que le syntagme « un groupe de… » puisse être légitimement suivi d’un verbe au pluriel ? L’auteur qu’on va lire, et qui appartient au XXIe siècle, n’est pas bon grammairien.

Août 1982 : « Au Liban, la Force multinationale, composée de soldats français, américains et italiens, se déploie à la fin du mois d’août. Un détachement de légionnaires du 2e REP [= régiment étranger de parachutistes] a été envoyé quelques jours auparavant en éclaireur pour sécuriser l’évacuation des quinze mille combattants palestiniens. Un groupe de tireurs d’élite du GIGN, arrivés par avion spécial via Nicosie, complètent le dispositif. Ils sont notamment chargés de “nettoyer” les abords du port de Beyrouth, devenu un véritable traquenard, avant l’exfiltration de Yasser Arafat, que les Syriens et les Israéliens considèrent comme un ennemi à abattre. » (Vincent Nouzille, Les tueurs de la République : Assassinats et opérations spéciales des services secrets ; éditions Fayard, 2015, p. 104.)

« Groupe de tireurs » est traité comme signifiant la pluralité, alors que, juste avant, « détachement de légionnaires » a été traité comme une notion massive. Pour ma part, si j’avais été correcteur pour Fayard, j’aurais proposé : « Un groupe de tireurs d’élite du G.I.G.N., arrivés par avion spécial via Nicosie, complète le dispositif. Ces hommes sont notamment chargés », etc.

 

On peut aller plus loin, et trouver qu’il est absurde de dire : « Un groupe de chevaux s’est échappé » ; « Une forte concentration de particules fines s’est répandue dans l’air » ; en effet, dès lors que les particules se sont diffusées dans l’air, elles ne forment plus une « concentration » ; et je ne suis pas sûr que des chevaux qui s’échappent restent longtemps en groupe. Il faudrait dire : des particules fines se sont répandues dans l’air, des chevaux se sont échappés, quinze chevaux se sont échappés, etc.

Gardons à l’esprit le principe suivant. Si nous constatons, en nous relisant, que la structure nom + complément du nom a produit un énoncé confus, nous avons tout intérêt à refaire la phrase en évitant cette structure.

Simple habitude à prendre.

 

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