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31 août 2024 6 31 /08 /août /2024 13:21

La non-répétition de la préposition à ou de est autorisée dans le cas d’une énumération de noms de ville ou de village, surtout s’il y en a plus de deux.

Chez les écrivains du passé, le phénomène était rare et répondait à une intention stylistique précise : « Les morts se lèvent de leurs sillons ; ils accourent des tragiques plateaux, de Borny, Gravelotte, Saint-Privat, Servigny, Peltre et Ladonchamp… On les accueille avec vénération. » (Maurice Barrès, Colette Baudoche, 1908 ; texte consulté dans l’édition du Livre de Poche, 1968, p. 131. Pour traduire l’émotion avec laquelle on suivait la messe annuelle du 7 septembre en l’honneur des soldats français morts pendant le siège de Metz, l’auteur-narrateur les fait apparaître à nos yeux. Quelques années plus tard, le nom Ladonchamp se verra graphié : Ladonchamps.)

Partout ailleurs, dans le même texte, la préposition est répétée : « [L]es collines […] ont leurs têtes aplanies : c’est qu’elles sont devenues les forts de Plappeville, de Saint-Quentin, de Saint-Blaise et de Sommy. » (Colette Baudoche, le Livre de Poche, p. 14.) « Et sur l’autre rive, en face, derrière les deux énormes taupinières de Sommy et de Saint-Blaise, on voit se perdre à l’infini l’austère plaine de la Seille. » (P. 111.)

La phrase de Barrès que j’ai citée en premier, celle qui contient : « de Borny, Gravelotte, Saint-Privat, Servigny, Peltre et Ladonchamp », nous fournit le modèle suivi par Pierre Michon dans le passage suivant :

« [L’abbé Bandy] ne se départit jamais non plus, pour la messe, de la précision sonore des mots, de l’ampleur déclamatoire de prélat et du décorum gestuel hautement sobre, que j’ai dits ; sa diction trop belle, émaillée de mots incompréhensibles, résonna dix ans sous les voûtes aux saints frustes, guérisseurs de bestiaux, d’Arrènes, Saint-Goussaud, Mourioux ; et j’imagine sa rage secrète, lorsqu’il débitait ses pompeux sermons à des paysans respectueux qui n’y comprenaient goutte […]. » (« Vie de Georges Bandy », dans Vies minuscules de Pierre Michon, éditions Gallimard, 1984, collection NRF, p. 155, et Folio, p. 187-188.)

Pourtant, les phrases suivantes sont incorrectes : « Inconditionnelles / Kae Tempest // La mise en scène de Dorothée Munyaneza sera à Strasbourg, Le Creusot, Namur, Bruxelles, Lyon et Paris. // Déjà en librairie ! » (Extrait de la lettre d’information électronique des éditions l’Arche, août 2024.) « Le Poudlard Express entre en gare de Paris, Rouen et le Havre le [sic] 28 et 29 août » (titre d’un article paru sur le site Paris-Normandie.fr vendredi 27 août 2021).

Il faut dire : « La mise en scène de Dorothée Munyaneza sera à Strasbourg, au Creusot, à Namur, à Bruxelles, à Lyon et à Paris. » « Le Poudlard Express entre en gare de Paris, de Rouen et du Havre les 28 et 29 août ». Comme l’article défini masculin qui précède un nom de ville fusionne obligatoirement avec la préposition à ou de (ce qui ne se produit pas pour les noms propres de personne où figure un article défini, tel Le Dantec, Le Fanu, Le Clézio, Le Drian, etc.), il convient de répéter ladite préposition à ou de devant chaque nom d’une suite de noms propres de ville coordonnés – du moins lorsqu’on y trouve un ou plusieurs noms précédés de l’article défini masculin, voire de l’article défini pluriel. La non-répétition de la préposition n’est acceptable dans une suite de noms de ville que si aucun des deux articles définis n’y figure ; voir la phrase de Barrès citée plus haut.

Dès lors qu’on a remis les noms sur le rail de la préposition qui convient à tous, on peut s’abstenir de répéter à ou de : « Il y a dans le département 5 tribunaux de 1re instance : à Évreux (2 chambres), aux Andelys, à Bernay, Louviers, Pont-Audemer, et 4 tribunaux de commerce, à Évreux, Bernay, Louviers et Pont-Audemer. » (Abel Hugo, France pittoresque, tome second, 1835, p. 15, « Département de l’Eure ». Abel Hugo était le frère de Victor Hugo. L’écriture des nombres en chiffres et l’abréviation de l’ordinal sont de l’auteur.)

Il suffit donc de modifier légèrement la phrase tirée de l’infolettre de l’Arche pour qu’elle cesse d’être incorrecte : « La mise en scène de Dorothée Munyaneza sera à Strasbourg, au Creusot, à Namur, Bruxelles, Lyon et Paris. » La préposition à placée avant Namur reste nécessaire. Le seul problème de cet usage est qu’il suggère que les quatre dernières étapes de la tournée se succéderont à un rythme accéléré…

Que dans une suite de noms propres de personne il y en ait un qui comporte un article défini ne change rien au fait qu’il est permis de dire « à Pierre, Paul ou Jacques » ou « de Pierre, Paul et Jacques » ; l’article, dans les noms tels que Le Dantec, Le Fanu, Le Clézio, etc., ne fusionnant jamais avec la préposition. En revanche, l’article le qui précède un surnom fusionne toujours. Exemples de surnom : le Balafré, le Tigre, le Teigneux, le Raptor, mais aussi le Caravage, le Pérugin, le Corrège, etc. Attention : lorsqu’il est élidé avant un surnom commençant par une voyelle, l’article défini masculin ne fusionne pas avec de ou à. Exemple : La lecture de Machiavel, de l’Arioste et de Dante…

Si un seul surnom figure dans une suite de noms de personne, il convient de faire précéder chaque nom de la préposition : Le musée des Offices réunit un grand nombre d’œuvres de Botticelli, de Léonard de Vinci, de Titien et du Caravage.

C’est plus élégant que : Le musée des Offices réunit un grand nombre d’œuvres de Botticelli, Léonard de Vinci, Titien et du Caravage. La phrase à éviter absolument étant : « Le musée des Offices réunit un grand nombre d’œuvres de Botticelli, Léonard de Vinci, Titien et le Caravage » !

 

Comme je l’avais un jour signalé (dans Un sketch de les Nuls) : nos contemporains ont la fâcheuse tendance de ne pas répéter une préposition alors que la présence d’un article défini rendait cette répétition nécessaire.

« Les supporters de Paris et Le Havre pourront suivre la rencontre de Ligue 1 en direct texte [sic] sur notre site. » (Article publié sur le site Ouest-France.fr samedi 27 avril 2024.) Les supporters de Paris et du Havre…

« Joseph-Marie Guérin, lors de son voyage à Paris et Le Havre de deux mois en 1782, numérote même ses lettres à son épouse pour qu’elle soit sûre qu’aucune ne s’est perdue. » (Serge Chassagne, « Les réseaux d’affaires des marchands lyonnais au XVIIIe siècle », dans Autour [sic] des Van Loo : Peinture, commerce des tissus et espionnage en Europe (1250-1830), sous la direction de Christine Rolland, éditions Publications des universités de Rouen et du Havre, 2012, p. 151.) Lors de son voyage à Paris et au Havre de deux mois en 1782.

 

Le phénomène ne concerne pas seulement les noms de ville. Mais pour les noms de pays (Il voyagea en Espagne, au Portugal, au Maroc, en Iran, au Honduras…), c’est chaque nom qui est précédé d’une préposition : en pour les noms qui sont du féminin ou qui commencent par une voyelle ; au (à + le) pour ceux qui sont du masculin ou qui commencent par une consonne ; aux (à + les) pour ceux qui s’emploient au pluriel. Il semble difficile, en français moderne, de dire : « Il voyagea en France, Allemagne, Espagne… »

Le titre d’article que voici : « La figure du chef en France, Allemagne, Union soviétique et aux États-Unis de 1890 à 1940 » (publié par Yves Cohen, le 13 janvier 2023, sur le site Politika.io), apparaît comme une exception dans notre prose.

 

Bien d’autres noms de lieu exigent la présence d’un article défini, susceptible de fusionner avec à ou de. Qu’on songe à ceux des monuments historiques.

Un ministre du gouvernement français révèle les exigences d’un groupe de terroristes tapasambaliens, qui ont détourné un avion de ligne et pris en otage tout un groupe de vacanciers (dont les parents d’Achille Talon) :

« Pour se développer, le Tapasambal a choisi le tourisme. Or, il n’y a chez eux strictement rien à voir. Des cactus et des cailloux… […] / Voilà pourquoi, Messieurs, le Tapasambal ne nous rendra les otages que contre livraison de LA TOUR EIFFEL, LE TOMBEAU DE LÉNINE, LA STATUE DE LA LIBERTÉ, LA TOUR DE LONDRES, LE TAJ-MAHAL ET LE MANNEKEN-PIS ! » (Greg, Viva papa ! ; vingtième album de la série Achille Talon, éditions Dargaud, 1978, planche 10.)

J’aurais pu insérer cet extrait dans un précédent billet, Quand cesserez-vous d’engendrer des « de le » et des « de les » ?...

Bien sûr, la construction la plus correcte et la plus élégante eût été : « […] le Tapasambal ne nous rendra les otages que contre livraison de LA TOUR EIFFEL, DU TOMBEAU DE LÉNINE, DE LA STATUE DE LA LIBERTÉ, DE LA TOUR DE LONDRES, DU TAJ-MAHAL ET DU MANNEKEN-PIS ! »

Celui qui trouve qu’un tel énoncé contient trop souvent la préposition de pourrait en retrancher au mieux deux occurrences, à condition de remanier le texte et de faire dire au personnage : « le Tapasambal ne nous rendra les otages que contre livraison de LA TOUR EIFFEL, LA TOUR DE LONDRES, LA STATUE DE LA LIBERTÉ, DU TOMBEAU DE LÉNINE, DU TAJ-MAHAL ET DU MANNEKEN-PIS » (nous allons ainsi du proche au lointain, en finissant par le tout proche – enfin, tout proche pour un Français d’origine belge comme l’était Greg).

Il n’y a eu à déplacer dans la liste que la statue de la Liberté pour conserver le rapprochement, sans doute voulu par l’auteur, entre le monument emblématique des États-Unis et celui de l’Union soviétique. Et il n’a pas fallu ajouter un seul mot à l’énoncé initial.

 

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commentaires

L
Entendu dans le TGV le conducteur annoncer : « Nous allons entrer de gare de Le Mans. »
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F
Prochaine étape : faire un sort aux envahissants abus de la locution « autour de ». J’y travaille.<br /> Merci pour votre visite !<br /> Je continue de recommander votre site, toujours précis, complet, impartial (et, à la différence du mien, agréablement illustré de documents photographiés).