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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 21:40

Le tour n’avoir de cesse a toujours été d’un maniement délicat. Il exprime l’effort, les tentatives successives, voire infructueuses, en vue d’atteindre un but lointain ; de sorte qu’il est bien venu dans la phrase suivante : « Accablé sous le poids d’une faute morale, Lord Jim n’a de cesse de se racheter. » Malheureusement, la phrase contient une malfaçon qui en amoindrit la précision et la vigueur. Son auteur aurait dû écrire, respectant la forme qu’avait conservée cette tournure pendant plusieurs siècles : « Lord Jim n’a de cesse qu’il ne se soit racheté ».

Dans mon Petit Larousse de l’an 2000, on ne trouvait encore que la construction classique : « n’avoir de cesse que… ne… », mais on me dit que le Larousse dernière mouture accepte la tournure litigieuse et la donne même pour correcte. Or la construction récente a le grave défaut de ne plus nous laisser percevoir que cesse y signifie « répit ».

« N’a de cesse qu’il ne se soit racheté » = « n’a de répit qu’il (c’est-à-dire : avant qu’il) ne se soit racheté », et on notera la présence du passé résultatif. À ce propos, une phrase que Renaud Camus propose à titre d’exemple, dans son remarquable Répertoire des délicatesses du français contemporain (éditions P.O.L, 2000, p. 91), pour illustrer sa propre définition de n’avoir de cesse, me semble irrecevable : « Elle n’a pas de cesse qu’il ne la remarque. » Il faudrait dire : « qu’il ne l’ait remarquée ».

La phrase suivante est due à Pierre Jourde : « Incapables de professer ou de se consacrer à la recherche fondamentale, mais doués pour la bureaucratie, soumis à la hiérarchie et pleins de zèle envers la religion pédagogique, ils n’ont eu de cesse qu’ils se faufilent dans les ISFP [= instituts supérieurs de formation pédagogique] lorsque le Système les a créés. » (Jourde, Festins secrets, chapitre IX, éditions l’Esprit des péninsules, 2005, p. 187 ; édité en poche dans la collection Pocket en 2007, p. 171.) Au lieu de : « ils n’ont eu de cesse qu’ils ne se soient faufilés ». Cela paraîtra lourd à certains, mais au moins c’est grammatical.

Certes, il semble qu’on puisse supprimer l’adverbe ne, donc la phrase : « ils n’ont eu de cesse qu’ils se soient faufilés » ne serait pas incorrecte.

Mais en employant n’avoir de cesse avec la préposition de, on commet l’erreur consistant à croire qu’un nom d’action est toujours suivi de la même préposition que celle avec laquelle se construit le verbe correspondant. En l’occurrence, ce n’est pas parce que cesser se construit avec un complément introduit par de, que le nom dérivé du verbe peut se construire de la même façon.

Lorsque les écrivains emploient « n’avoir de cesse de » comme un synonyme, qu’ils croient raffiné, du verbe courant « ne pas cesser de », leur gaucherie est sans excuse. « La Campagne de France était un journal, l’auteur n’a eu de cesse de le rappeler », écrit ainsi Renaud Camus dans Du sens (essai paru en 2002, éditions P.O.L, p. 39). Cette tournure n’offre pas la plus légère nuance de sens par rapport à la formulation la plus simple, la plus ordinaire, qui serait : « l’auteur n’a cessé de le rappeler ». La gaucherie est la même dans : « Il n’aura de cesse de clamer son innocence » (anonyme) ; ou dans : « [Le critique] n’ignore pas que l’obsessionnel [Julien Gracq] n’a de cesse d’augmenter son isolement – quitte à le tempérer par d’opportunes interviews » (Angelo Rinaldi, article écrit en 1992, repris dans Service de presse, Plon, 1999, p. 407).

Le comble de la maladresse d’expression me semble avoir été atteint par cet extrait d’une notice consacrée à la vie d’Émile Zola, que j’ai trouvée dans un manuel scolaire de français pour la classe de troisième : « Poursuivi et condamné pour diffamation, il n’aura de cesse de continuer son action jusqu’à sa mort, en 1902, survenue dans des circonstances troublantes : il est intoxiqué par les émanations de son poêle […]. » (Français 3e, livre unique, sous la direction de Françoise Colmez ; éditions Bordas, 2003, p. 223 ; la notice a été rédigée par un professeur.) Que peut bien vouloir dire : « n’avoir de cesse de continuer… » ? C’est un pléonasme ou un non-sens.

Assez récemment, comme l’atteste Grevisse, nous avons vu apparaître « n’avoir de cesse que de » (+ infinitif). Faut-il y voir le témoignage d’un louable embarras éprouvé devant « de cesse de » ? Car il s’agit visiblement d’un compromis entre la tournure classique et la nouvelle ; mais le compromis se révèle insatisfaisant comme cette dernière, parce qu’il méconnaît la faute que constitue le choix de la préposition de après le nom cesse. Cette formule bizarre, « n’avoir de cesse que de », est employée à plusieurs reprises dans Chaque pas doit être un but, de Jacques Chirac et Jean-Luc Barré (éditions NiL, 2009). On la trouvait déjà dans Nancy Huston, Journal de la création (Seuil, 1990, p. 185, et Actes Sud, coll. Babel, p. 236) : « [E]ux n’ont eu de cesse que de la rabattre sur son personnage » ; alors qu’il était possible d’écrire : eux (Bataille et Leiris) n’ont eu de cesse qu’ils ne l’aient rabattue (Colette Peignot) sur son personnage (de Laure) ; ou, en français d’aujourd’hui : n’ont cessé de vouloir la rabattre, se sont obstinés à la rabattre sur son personnage.

Est tout à fait correcte, en revanche, la tournure « n’avoir de cesse que lorsque… », le mot cesse y ayant bien le sens de « répit ». On peut la trouver dans Les Rats de Bernard Frank (la Table Ronde, 1953 ; réédition Flammarion, 2009, p. 135) : « Tu n’auras de cesse que lorsque ce pays ne sera plus qu’une immense lézarde. »

Cette construction est à retenir. Elle mériterait d’être utilisée beaucoup plus couramment, puisqu’elle permet de conserver le « n’avoir de cesse » qui semble tant séduire l’oreille de nos contemporains et qu’elle ne porte pas atteinte à la signification exacte du nom cesse. Militons en sa faveur.

 

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28 février 2010 7 28 /02 /février /2010 14:58

Claude Duneton a écrit, pour le Figaro littéraire du jeudi 11 décembre 2008 :

 

« L’une des contraintes scolaires qui furent jetées aux orties dans le courant des années 1960, <ce> dont nous voyons les retombées, est la pratique de la traduction des langues étrangères enseignées. […]

« Ce changement se fit en dehors de toute réflexion sur ses conséquences dans l’apprentissage du français lui-même. Personne ne prit garde que la langue française n’a été enseignée pendant deux ou trois siècles que par le seul biais de la traduction, et que même plus tard la traduction fut sur le devant de la scène pédagogique – la version latine en l’occurrence. Avec le latin, nul besoin de grands plats de grammaire puisque celle-ci est consubstantielle des langues à flexion.

« Mais il y a aussi le choix des mots, des nuances, la construction des phrases et leur couleur, leur niveau, qui font de la traduction d’une langue vivante le plus puissant outil d’enseignement de la langue maternelle. »

 

Note : Comme pourront le constater les lecteurs qui aiment vérifier les sources, j’ai corrigé le début de cet extrait. Duneton avait curieusement écrit : « L’une des contraintes scolaires qui furent jetées aux orties dans le courant des années 1960, et dont nous voyons les retombées »…

 

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27 février 2010 6 27 /02 /février /2010 10:11

Un nouvel usage, lourd et cacophonique, est en train de s’imposer partout, même sous la plume de nos écrivains les plus talentueux. J’imagine que cet usage doit passer pour élégant. Il suffit pourtant d’avoir un peu d’oreille pour en percevoir le caractère inesthétique et pour comprendre à quel point l’ajout est presque toujours superflu. Je veux parler du « que l’on » substitué, de plus en plus machinalement, à un simple « qu’on ».

Il faut être dénué du sens élémentaire des proportions pour percevoir dans la succession de ces deux derniers mots, sur lesquels l’accent ne porte jamais, une syllabe malsonnante. On ne devrait être remplacé par l’on que lorsque la syllabe « qu’on » est elle-même suivie d’un verbe commençant par con- ou par com- ; ce qu’illustre le célèbre alexandrin de Boileau : « Ce que l’on conçoit bien s’énonce clairement ». Pourtant, lorsque j’écris : « C’est plutôt l’inverse qu’on constate », mon oreille n’est pas heurtée ; de sorte que j’en viens à me demander si ce ne sont pas les simples exigences de la métrique qui ont conduit Boileau au choix qu’il a fait.

Bien sûr, notre « que l’on » rend moins abrupte la clausule de phrases comme celle-ci : « Pour éclairer les diverses facettes de l’œuvre et comprendre l’homme, il faut remonter aux sources : embrasser l’enfance d’un garçon modeste ; suivre les premiers succès d’un très jeune écrivain encouragé par Simenon ; […] puis revenir sur la naissance du commissaire San-Antonio en 1949 et la consécration de ce personnage emblématique de la saga trépidante que l’on sait. » (Quatrième de couverture de Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio, par François Rivière, Fleuve Noir, 1999 ; « Nouvelle édition revue et augmentée », collection Pocket, 2010.) Le « que l’on sait » est parfois situé au milieu d’une phrase : « Ayant connu la fortune que l’on sait, le complexe d’Œdipe », etc.

Pourtant, même dans ces phrases-là, je ne suis pas sûr que la transformation du on en l’on soit aussi nécessaire que d’aucuns l’affirment. Je ne vois rien de choquant à lire les formulations : « la saga trépidante qu’on sait », « la fortune qu’on sait ». Elles aussi ont de sérieuses cautions dans la littérature.

Ayant rendu compte de ces points litigieux, je peux citer de multiples exemples où l’emploi du « que l’on » gâte le style.

« Ce que l’on sait de Mme Kacew exclut absolument cette hypothèse délirante. » (Jean-Marie Catonné, Romain Gary, éditions Solin et Actes Sud, 2010, p. 227.) « Il n’y a de mauvaise polémique que celle que l’on accepte d’engager. » (Frédéric Schiffter, Délectations moroses, éditions du Dilettante, 2009, p. 31.)

« On te le fera payer un maximum dans cette France où, pendant que l’on lance un rideau de fumigènes en discutant islam et identité nationale, adoption gay et décroissance soutenable, on détruit à l’arme lourde le code du travail et on a cinq millions de chômeurs. » (Jérôme Leroy, Physiologie des lunettes noires, éditions Mille et une nuits, 2010, p. 13-14.) Cette Physiologie des lunettes noires est un récit-essai jubilatoire et Jérôme Leroy un écrivain qu’il faut lire et qu’il faut suivre. Mais il a adopté le « que l’on », comme la plupart de ses confrères.

Songeons aussi à une expression ancienne, « le moins qu’on puisse dire », désormais remplacée par : « le moins que l’on puisse dire ».

L’actuelle inflation du « que l’on » me semble particulièrement fâcheuse dans la pièce Incendies de Wajdi Mouawad (éditions Actes Sud, collection Papiers, 2003-2009), p. 30 : « [I]l y a des choses que l’on a envie de dire au moment de la mort. Des choses que l’on aimerait dire aux gens que l’on a aimés », etc.

Certes, on trouve parfois ces trois mots dans la prose soignée des grands écrivains du passé : « Je fus élevé par la charité publique et recueilli par M. Jansiré, que l’on appelait par abréviation maître Jean, professeur de musique et organiste de la cathédrale de Clermont. » (George Sand, Contes d’une grand-mère, « L’Orgue du Titan », 1873.)

Cette faiblesse se manifeste même chez l’un des prosateurs que je préfère, André Malraux, qui, dans La Corde et les Souris, IVe partie (texte de 1976, repris dans Œuvres complètes, volume III, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, p. 583), fait dire à de Gaulle : « Comme il est étrange que l’on doive se battre à ce point, pour arracher de soi ce que l’on veut écrire ! Alors qu’il est presque facile de le faire quand on parle. » Notez que, dans la première édition de ce texte, parue sous le titre Les chênes qu’on abat… (Gallimard, collection NRF, 1971, p. 34), c’était pire. La deuxième de ces phrases s’y présentait ainsi : « Alors qu’il est presque facile de tirer de soi ce que l’on veut dire, quand on parle. »

Enfin, le « que l’on » me gâche le titre d’un essai de Pierre Bayard, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus ? (éditions de Minuit, 2007) ; et surtout le titre d’un excellent roman de Joël Egloff : L’homme que l’on prenait pour un autre (éditions Buchet-Chastel, 2008). 

Neuf fois sur dix, le banal et classique « qu’on » est préférable au moderne (et emphatique) « que l’on ». D’autre part, il arrive que le pronom on ne soit que le substitut familier d’un nous. Si nous avions plus souvent le réflexe de remplacer on par nous, la tentation du « que l’on » serait moins fréquente.

 

L’affreux « lorsque l’on » est devenu tout aussi courant.

« Respecter la totalité d’un texte, c’est bien plutôt s’attendre toujours à juger trop hâtive la façon dont nous avons rapproché ou disjoint certains éléments ; c’est surtout ne pas se contenter de ces disjonctions ou de ces rapprochements tant que tout le texte ne rentre pas dans l’interprétation ou qu’un seul morceau est négligé lorsque l’on a fait apparaître la structure d’ensemble de l’œuvre. » (François Roustang, Feuilles oubliées, feuilles retrouvées, éditions Payot, 2009, p. 13.)

« Permettez-moi, à partir de là, de généraliser et de formuler un dernier principe de la lecture : la construction d’un texte apparaît lorsque l’on a réussi à passer du point d’horreur au point de rire. » (François Roustang, Feuilles oubliées, feuilles retrouvées, p. 27 ; c’est l’auteur qui souligne et moi qui mets en gras.)

« Freud nous avait pourtant montré la voie dans les psychanalyses dont il rend compte. Sa passion théorique lui a fait négliger une part importante des informations dont il disposait, comme on peut le constater lorsque l’on compare le compte rendu des séances de son analyse de l’homme aux rats et ce qu’il en a gardé lors de la publication. » (François Roustang, Feuilles oubliées, feuilles retrouvées, p. 111.)

Il est fréquent de trouver « lorsque l’on » et « que l’on » rassemblés dans la même phrase : « [Hergé] avait un côté ombre que l’on retrouve dans son œuvre, lorsque l’on lit entre les lignes. » (Michael Farr, L’Express, hors-série nº 5, déc. 2009-janv. 2010, p. 19.)

C’est encore pire quand un on est mis pour un nous : la séquence « lorsque l’on » réalise alors l’alliage du langage familier et d’un trait de préciosité.

 

Même effet désastreux avec « puisque l’on » ou « parce que l’on » :

« On s’écrivait des mails où l’on réinventait l’orthographe parce que l’on venait de relire Des fleurs pour Algernon peu de temps avant de s’être rencontrés. » (Physiologie des lunettes noires, p. 105.)

Voici un nous et un on clairement distingués, mais la phrase n’est pas pour autant préservée de toute cacophonie : « La biologie nous en fournit un modèle, puisque l’on sait aujourd’hui que chaque cellule d’un être humain le spécifie comme individu et que cette spécification le fait en même temps appartenir à l’espèce. » (François Roustang, Feuilles oubliées, feuilles retrouvées, p. 100.)

Citons encore : « Cette doctrine donnait la certitude de pénétrer au cœur de toutes les disciplines, c’est-à-dire de savoir tout, puisque l’on s’introduisait dans le défaut de chacune d’elles » (François Roustang, Feuilles oubliées, feuilles retrouvées, p. 147).

 

Le cas de « si l’on » appelle un jugement plus nuancé. L’on est presque toujours acceptable après le subordonnant si. Mais lorsque le verbe qui suit l’on commence par le son l, il vaudra mieux écrire « si on » que de s’imposer un « si l’on » devenu cacophonique. Écrire, par exemple, « si on loue », plutôt que « si l’on loue ».

On fera des observations similaires à propos des séquences phonétiques « où l’on », « où on ». Voici la définition du paradis que donne un des héros du dernier roman de Yasmina Khadra, L’Olympe des infortunes : « Je suppose que c’est un bled chouette où l’on se la coule douce aux frais du Seigneur. » (Éditions Julliard, 2010, p. 128.) L’ajout du « l’ » devant « on » engendre une allitération en l qui n’apporte rien et manque de grâce, et cela d’autant plus qu’elle succède à l’expression malheureuse de « bled chouette ».

 

Note d’octobre 2010 :

L’usage du « que l’on » passe pour une élégance littéraire. Les jeunes écrivains, qui fuient tous les autres raffinements de style, révèrent celui-là.

Fabienne Jacob est l’auteur de quelques courts romans. Le plus récent, paru en septembre 2010 aux éditions Buchet-Chastel, est sobrement (ou chichement) intitulé Corps. Son titre aurait aussi bien pu être Corps des femmes, puisque les personnages masculins de l’histoire n’y sont dépeints qu’indirectement, et qu’un seul d’entre eux, le cousin Jan, semble posséder un corps au sens le plus riche du terme.

Dans ce roman, je l’ai vérifié, Fabienne Jacob prend soin d’écrire « qu’on » et « lorsqu’on ». Certes, à ce « lorsqu’on » qu’elle doit juger trop littéraire, Fabienne Jacob préfère généralement un « quand on » de bon aloi, qui peut sembler plus modeste. Mais ce qu’elle a évité de manière systématique, c’est notre « que l’on » et notre « lorsque l’on ». Le lecteur ne prend pas vraiment conscience qu’il y a dans ce refus un choix volontaire, avant d’être parvenu à l’endroit du texte où Fabienne Jacob fait dire à la narratrice du roman, qui évoque son enfance paysanne :

« Comme toujours Else [= la sœur aînée de la narratrice] retourne à la commode, ouvre un autre tiroir que celui des bas et de la combinaison, en retire un foulard de mousseline qu’elle attache en capeline à son cou. Elle fait le tour de la chambre comme ça avec son étole et ses souliers perchés. Elle attrape aussi une autre démarche quand elle se déhanche, elle exagère je trouve. Personne ne marche comme ça à la ferme. Les dix centimètres de talon lui donnent le droit, avec l’autre vision du monde vient une autre langue où on ne dit plus “on” mais “l’on”. “Il faut que l’on songe à s’en aller.” On peut quitter la ferme grâce à une simple apostrophe. Que ses pieds ne remplissent pas les chaussures, qu’elles bâillent à l’arrière et sur le côté, Else s’en fiche, du moment qu’elle dit “l’on songe”, elle croit que ça compense. » (Corps, éditions Buchet-Chastel, 2010, p. 132-133.)

On aura aussi noté l’absence du pronom en dans la quatrième phrase de ce passage : Fabienne Jacob s’est efforcée de créer l’illusion d’une langue orale et populaire, qui s’arrache douloureusement à la banalité et dans laquelle se glissent, outre des mots et des tournures très familières, quelques incorrections. Pour renforcer l’aspect de langue parlée que présente son style, l’auteur s’est montrée avare de ses points et plus encore de ses virgules.

Pour en revenir au sujet qui nous occupe, il est amusant de constater que Fabienne Jacob, partout ailleurs que dans ce passage, n’emploie « qu’on » que par fidélité à une idée reçue que prennent à leur compte les deux fillettes : prononcer « que l’on », ce serait s’embourgeoiser !

Pour cela, il faudrait qu’elles commencent par dire : « que nous »…

 

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