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13 avril 2010 2 13 /04 /avril /2010 20:37

Dans toutes les bouches, et sous presque toutes les plumes, s’opère aujourd’hui un véritable télescopage des niveaux de langue. Ou bien doit-on dire « registres » de langue ? Cette dernière expression figure même dans Le bon usage (édition de 1988, § 13). Grevisse et Goosse la définissent en ces termes : « Les registres sont en rapport avec les circonstances de la communication, un même individu utilisant les divers registres selon la situation où il se trouve. » Dont acte.

Toutefois, qu’il s’agisse de registres ou de niveaux, leur mélange a pris des proportions inédites. Les faits sont là : on voit et on entend partout le parler familier, et même enfantin, s’insinuer dans le français courant et dans le français soutenu.

C’est ainsi que nous assistons chaque jour au remplacement de « son père » par « son papa », de « sa mère » par « sa maman », et de « son enfant » par « sa puce », quand il s’agit d’une fille, ou par « son bout de chou », quand c’est un garçon. Même en dehors du cercle familial, et même dans des circonstances solennelles. Notez que l’expression « mon (petit) bout de chou » se réduit parfois à celle de « petit bout », dont les sous-entendus doivent intéresser nos amis freudiens.

 

Les journalistes qui commentent l’actualité, et ceux qui assurent le doublage des interviews, remplacent de plus en plus couramment « beaucoup » par « plein ». Plein de n’est plus perçu comme appartenant au langage familier. Lu dans les pages techniques d’Over-Blog : « Cette offre (Premium) donne aussi la possibilité de protéger l’accès de son blog par un mot de passe et plein d’autres avantages certains [sic]. »

Dans un charmant et irrésistible petit livre signé du nom de Madame L., un roman écrit et dessiné portant le titre d’Organigramme, paru aux éditions P.O.L en 2010, nous lisons à la page 18 : « Le patron de Madame L. a décroché la subvention de ses rêves ; il va pouvoir embaucher du personnel et donner à Madame L. des rivales, plein de rivales, tout un harem de rivales. » La gradation serait plus expressive si plein de était remplacé par beaucoup de. Il y a comme une dissonance au cœur de la gradation, qui distrait l’attention du lecteur et affaiblit le surgissement du plaisant harem.

« Choisir 100 [sic] films incontournables [sic] est un exercice d’admiration très frustrant et d’une totale subjectivité. / […] / Mais cela n’empêche pas la frustration d’avoir à en écarter plein, en particulier parmi ceux réalisés les vingt dernières années. » (Emmanuelle Le Roy Poncet, dans l’avant-propos de 100 films incontournables, éditions J’ai lu, collection Librio, 2010, p. 5.) Mais toute la phrase est à revoir. Il ne serait pas mauvais d’écrire : « d’avoir eu à en écarter… », c’est-à-dire : « cela ne m’empêche pas d’éprouver un sentiment de frustration causé par le fait d’avoir dû en écarter… ».

 

Évoquons le remplacement de l’article indéfini de par l’article des, qui se produit très fréquemment dans le français d’aujourd’hui. C’est un phénomène qu’on avait aperçu dans la langue familière : « Je vais pouvoir t’envoyer des petits mandats pour faire ton garçon au camp de Châlons. » (Anouilh, Colombe, acte III.) Si « des petits mandats » relève du parler enfantin (laissons pour l’instant de côté pour faire au lieu de : pour que tu fasses), il sort ici de la bouche du personnage de Colombe, jeune femme d’origine modeste, qui s’adresse ici à son mari Julien comme à un enfant irresponsable, pour ne pas devoir lui avouer qu’elle ne l’aime plus.

À l’intérieur d’un roman, ce trait de la langue enfantine et populaire peut se justifier dans les paroles des personnages, mais il se révèle souvent gauche et inharmonieux dans les parties narratives :

« On racontait qu’ils avaient été des riches colons en Angola » (Olivier Maulin, En attendant le Roi du Monde, l’Esprit des péninsules, 2006, p. 28), alors que la formulation simple et correcte serait : « de riches colons ». De la même manière, dans son roman Quelqu’un d’autre, Tonino Benacquista écrit : « Brigitte avait des faux airs de veuve », puis : « cette méfiance avait des faux airs de dédain » (Quelqu’un d’autre, Gallimard, collection NRF, 2002 ; collection Folio, p. 306 et p. 310). Là où, quelques années auparavant, la plupart des écrivains auraient préféré mettre : « de faux airs ».

« De retour à Paris j’ai trouvé une lettre émanant de l’association d’anciens élèves de mon école d’ingénieurs ; elle me proposait d’acheter des bonnes bouteilles et du foie gras à un tarif exceptionnel pour les fêtes. » (Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, éditions Maurice Nadeau, 1994 ; réédité dans la collection J’ai lu, p. 123.) En bonne syntaxe : « de bonnes bouteilles ».

Mais déjà en 1977 : « Je la vis entrer [= Flo Nardus] et je sus tout de suite que c’était elle. Je me levai et lui fis un signe de la main. Elle portait un turban rose, un corsage de la même couleur, un pantalon et des vieilles espadrilles. » (Patrick Modiano, Livret de famille, chapitre XIV, éditions Gallimard, NRF, 1977, p. 170, et en Folio, p. 204.) Le des mis pour de s’harmonise fort peu avec l’emploi du passé simple comme temps principal du récit.

Enfin, dans un livre plus récent mais au milieu d’un dialogue censé avoir eu lieu au XVIIIe siècle : « – Écoute-moi. Ce soir, des citoyens de ton bord… / – Évitez ici le mot citoyen, c’est une insulte. / – Des jeunes crétins cravatés jusqu’au nez, si tu préfères, ont voulu inscrire sur leur cahier un homme qui se meurt. » (Patrick Rambaud, Le chat botté, roman, Grasset, 2006, p. 214.).

 

Il faut mentionner le mot dico, si puéril, qui achève de supplanter dictionnaire dans presque toutes les bouches et dans n’importe quel contexte. Les éditeurs ne se lassent pas de ce vocable, bien utile pour former des titres de documentaires pour la jeunesse : Dico de mathématiques (le Seuil), Le dico des symboles chrétiens dans l’art et Le dico des héros de la Bible dans l’art (Bayard), Le dico des filles (Fleurus) et Le dico des garçons (Hachette), Le dico rigolo des expressions (Albin Michel), Le dico de l’info et Le dico de la philo (J’ai lu), etc. On ne le trouve pas seulement dans les titres de livres pour la jeunesse, comme le montrent les exemples suivants : Dico-atlas des menaces et conflits (Belin), Le dico incorrect de la finance (Timée), Le dico des mots de la pub (De Vecchi), etc.

 

« Il pleut, ce vendredi soir 19 mars, quand Lucas, 15 ans, croise une bande de gars armés de battes de base-ball. » (Isabelle Barré, Le Canard enchaîné, mercredi 7 avril 2010.) Passons sur les âges systématiquement écrits en chiffres dans le corps d’une phrase. Notons surtout la présence, dans un article de presse, du mot familier gars, considéré depuis peu comme un synonyme correct de « jeunes gens », de « jeunes garçons ».

 

« La Chine est très remontée contre les États-Unis », entend-on souvent dans les bulletins d’informations, y compris sur France Culture. D’où sort cet adjectif ?

Avant d’avoir pris son sens familier actuel et de s’être substitué à la locution courante en colère, l’adjectif remonté a parfois voulu dire : « débordant de gaieté, de vitalité ».

Telle est la signification qu’a ce mot dans un roman de Jean Dutourd paru en 1983 : « Au dîner, j’étais remonté comme une machine. Ces états-là sont à la fois charmants et pénibles. Charmants parce qu’on a le sentiment qu’une force inépuisable vous habite, qu’on est un arbre au printemps, ivre de sève, quasiment intoxiqué par cet excès de vie. Pénibles parce qu’il n’y a pas moyen de se modérer. […] Bref, on ne se rend pas compte qu’on n’est rien d’autre qu’un casse-pieds. Donc j’étais remonté. » (Jean Dutourd, Henri ou l’éducation nationale, éditions Flammarion, 1983, p. 143.) De là provient sans doute l’expression familière être remonté comme une pendule, qui me semble très récente.

Pour expliquer le sot emploi de l’adjectif remonté dans la phrase citée plus haut : « La Chine est très remontée contre les États-Unis », je propose d’y voir le fruit d’une confusion entre remonté, tel que l’a employé Dutourd, et l’expression être monté contre quelqu’un, qui est assez ancienne : « Quand l’Empereur fut visiter Amsterdam, la population, dit-il, était très montée contre lui » (Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène) ; « [Il] m’avoue qu’il n’osait pas venir me voir, parce qu’il me savait très monté contre lui » (Journal des Goncourt).

Le résultat, c’est que les mauvais emplois d’être remonté s’introduisent dans des phrases syntaxiquement et lexicalement soignées : « Les nouveaux époux se rendent aussitôt à l’Inspection académique où Frédéric, très remonté, demande audience auprès du responsable de la désastreuse affectation d’Odette. » (Frédéric Dard ou la vie privée de San-Antonio, par François Rivière, Fleuve Noir, 1999 ; « Nouvelle édition revue et augmentée », collection Pocket, 2010, p. 83-84.)

 

Le verbe balancer, transitif direct, s’emploie maintenant couramment au sens de « jeter, lancer » : « D’un geste, je me relève et balance par la fenêtre ma cigarette encore allumée. » (Benoît Duteurtre, La petite fille et la cigarette, Fayard, 2005, p. 77.) « Il ramasse un caillou et le balance pour éloigner l’intrus. » (Yasmina Khadra, L’Olympe des infortunes, Julliard, 2010, p. 111.)

L’extrait suivant est tiré d’un roman dont l’intrigue se place entre 1794 et 1796, mais dont la langue – y compris celle que parlent les personnages ! – est celle de notre temps :

« Carnot était furieux. Il balança une lettre décache­tée sur les genoux de Barras, qui conférait avec Delormel dans un salon du Luxembourg […] » (Patrick Rambaud, Le chat botté, roman, éditions Grasset, 2006, p. 313). Ce roman témoigne d’un impressionnant travail de documentation, mais on y voit surgir à chaque page les incorrections et les incohérences du français d’aujourd’hui.

 

Comme dans le langage enfantin, certains auteurs laissent la préposition avec se substituer à la subordination ou à un participe présent épithète : « Une patiente avec des troubles du caractère qui pour être enrobés n’en existent pas moins, une névrose de caractère en fait. Pour la deuxième fois depuis que je la connais, elle perd son emploi […]. » (Gisèle Harrus-Révidi, Parents immatures et enfants-adultes, « édition revue et corrigée », Petite Bibliothèque Payot, 2004, p. 241.) Au lieu de : « patiente souffrant de troubles du caractère », « présentant des troubles du caractère ». Que la phrase soit construite sans verbe principal n’excuse pas une telle oscillation du niveau de langue dans un écrit à prétentions scientifiques.

Ce n’est pas la seule puérilité à laquelle se prête la préposition avec. En voici une autre : « Avec Yann, ils parlent des nuits entières, sans précaution [sic]. » (Laure Adler, Marguerite Duras, Gallimard, 1998 ; collection Folio, p. 741-742.) Dans la page où figure cette phrase, le pronom ils, à la troisième personne du pluriel, ne renvoie qu’à deux personnages : Marguerite Duras et Yann Andréa. Pourtant la syntaxe en crée au moins trois, en nous faisant additionner le nommé Yann du complément prépositionnel initial et le référent du ils. Et encore faut-il n’avoir pas tenté de traiter ce groupe prépositionnel comme un complément d’objet indirect du verbe « parlent » (« ils parlent avec Yann »).

Cette construction s’imprime désormais couramment : « Avec Victor, ils auraient pu poursuivre dans cette voie, s’engager plus avant dans la révolution rouge. » (Tobie Nathan, Qui a tué Arlozoroff ?, éditions Grasset, 2010, p. 161.) Le contexte indique clairement que le pronom ils ne renvoie qu’à Victor Arlozoroff et à sa maîtresse Magda Friedländer. Un prosateur mieux maître de sa langue aurait écrit : « Avec Victor, elle aurait pu poursuivre » ; ou : « Victor et elle auraient pu poursuivre ». La correction semble d’autant plus nécessaire que la scène est censée se situer en 1919. Que vient faire dans ce contexte une construction syntaxique qui appartient au français infantile d’aujourd’hui ? Nous avons affaire à un roman qui possède d’indiscutables qualités narratives, mais on comprend mal que certains critiques aient pu le juger superbement écrit.

« Quand je vais à New York, l’une de nos occupations favorites, avec mon ami Bruce, consiste à déchiffrer les gestes de nos congénères. » (Benoît Duteurtre, Le retour du Général, Fayard, 2010, p. 153.) Pourtant, tout indique que le narrateur et le dénommé Bruce ne sont accompagnés de personne d’autre. La gaucherie est ici d’autant plus grande que la préposition avec recouvre et masque un de ou un à, au choix, puisqu’on dit normalement : « l’une des occupations favorites de mon ami Bruce et de moi-même… », « l’une de nos occupations favorites, à mon ami Bruce et à moi… ». Le débraillé syntaxique me paraît peu compatible avec le soin apporté au choix du vocabulaire, dans la suite de la phrase.

Encore un ?

« En passant devant le miroir du grand salon (un miroir immense, qui recouvrait tout un pan de mur ; nous aurions pu, avec une femme aimée, nous y [sic] ébattre en contemplant nos reflets, etc.), j’eus un choc en apercevant mon image : j’avais tellement maigri que j’en paraissais presque translucide. » (Michel Houellebecq, La possibilité d’une île, éditions Fayard, 2005, p. 136.) Phrase savoureuse : la scène érotique née de sa propre imagination suscite aussitôt chez le narrateur un retour d’ironie, indiqué par l’« etc. » qui conclut l’éventualité à peine formulée. Mais sa syntaxe est peu soignée. Il faudrait au minimum : « nous ébattre dans la pièce en y contemplant notre reflet ».

Et comment corriger le pléonasme du nous renforcé par avec ? Faut-il donc écrire ceci : « J’aurais pu, avec une femme aimée, m’ébattre dans la pièce en y contemplant notre reflet » ? Le remplacement de nous par je, puis la transition presque omise entre je et notre, modifient le sens du texte. Mais il n’est pas impossible de dire : « nous aurions pu, une femme aimée et moi, nous ébattre… » ; ou plutôt, pour mieux préserver l’euphonie, en choisissant l’ordre inverse de celui que demande la politesse : « moi et une femme aimée ». On peut aussi modifier la phrase dans sa structure, en écrivant par exemple : « s’il y avait eu à cette époque une femme aimée, nous aurions pu nous ébattre, elle et moi… ». Hélas, on accroît ainsi la longueur de ce qui n’est qu’une parenthèse.

 

Je citerai encore une formule dévastatrice, utilisée même par les gens cultivés qui se targuent d’aimer la littérature : « Ce livre est sorti en film », « Ce livre va sortir en film ». Parler ainsi, c’est laisser croire qu’un livre n’est qu’une opération préliminaire ; que le livre n’a pas pleinement accédé à l’existence.

Certes, nous savons que l’individu moderne réclame des images plutôt que des phrases, des clichés plutôt que du style. Il veut voir, et sa lecture ne tient plus compte de ce que Paul Valéry appelait le dessin des phrases.

 

Enfin, mentionnons l’expression tomber enceinte, au lieu du simple et courant : devenir enceinte, se retrouver enceinte. Cette expression fait l’effet d’une fausse note dans le français soigné ou soutenu de plusieurs écrivains actuels. Dans celui de Michel Houellebecq, par exemple : « Les deux époux formaient alors ce qu’on devait appeler par la suite un “couple moderne”, et c’est plutôt par inadvertance que Janine tomba enceinte de son mari. » (Les particules élémentaires, éditions Flammarion, 1998 ; collection J’ai lu, p. 27.)

Et dans celui de Marie-Aude Murail, lorsqu’elle écrit au début de son bref roman Patte-Blanche : « L’année où Johan épousa dame Isabelle, son goût pour la chasse parut tiédir. Mais quand sa femme tomba enceinte, on se mit à parler dans le pays d’une bête étrange qui terrorisait bergères et moutons. » (Patte-Blanche, l’École des loisirs, collection Mouche, 2005, p. 9.) Ce trait de la langue familière d’aujourd’hui est peu en harmonie avec l’emploi du passé simple, et l’est moins encore avec l’atmosphère de conte médiéval que l’auteur s’est efforcée de créer.

Si l’expression tomber enceinte est devenu courante, elle n’en est pas moins une innovation regrettable. Quoique ses plus anciennes attestations, données dans Le bon usage, soient de 1979 (Bertrand Poirot-Delpech) et de 1980 (Emmanuel Le Roy Ladurie), il a fallu attendre le XXIe siècle pour que soit acceptée du grand nombre l’idée saugrenue d’associer à l’adjectif enceinte le verbe tomber, sur le modèle de tomber malade, tomber fou, tomber boiteux, tomber gâteux, etc.

L’emploi de tomber, en tant que verbe attributif, dans toutes les expressions de ce type, suppose que le changement qui affecte le sujet est dû au hasard, voire constitue un malheur ; sauf peut-être dans tomber amoureux, qui est la seule de ces locutions où le verbe ne soit pas chargé de connotations négatives. Or, si c’est par hasard qu’on « tombe » amoureux (ou amoureuse), est-ce tout à fait par hasard qu’on se retrouve enceinte ? Devons-nous vraiment accepter de ranger la grossesse, fût-ce une grossesse subie plus que voulue, fût-ce une grossesse ressentie comme un malheur, dans la même catégorie que les autres transformations qui s’énoncent au moyen de l’attributif tomber ? L’expression qui nous occupe est apparue tardivement, ce qui semble indiquer que les Français se sont longtemps refusés à cet amalgame.

 

22 juin 2010. La remarque que vient de me communiquer un lecteur de ce blog me conduit à revenir sur ces « petits mandats » du texte d’Anouilh. En fait, m’échappe totalement, dans l’exemple de la phrase d’Anouilh, en quoi « des petits mandats » relève de la langue enfantine… Que pouvait-il écrire d’autre ? demande à bon droit ce lecteur.

On sait que la tournure la plus correcte, la plus classique, est celle-ci : « Je vais t’envoyer de belles cartes postales » ; et non pas : « t’envoyer des belles cartes postales ». Comme l’a observé mon correspondant, récrire la phrase d’Anouilh selon cette norme classique aboutit à un énoncé qui nous paraît peu acceptable : « Je vais pouvoir t’envoyer de petits mandats » ; alors que nous disons encore couramment : « Les gens malhonnêtes aiment à passer pour de petits saints. »

Je constate pourtant que, si l’on emploie un autre adjectif que petits, tout passe : « t’envoyer de minuscules mandats », « de jolis mandats », « de gros mandats », « de substantiels mandats ». La difficulté n’est donc pas née de la crainte d’un risque de confusion entre l’article de et le numéral deux, et c’est bien lorsqu’il est employé avant l’adjectif petits ou petites que l’article de a maintenant des difficultés à se maintenir et se voit spontanément transformé en des.

Le phénomène n’est pas tout récent. Barrès écrivait au début du XXe siècle : « Il y a des petits villages, isolés au milieu des espaces ruraux, qui, le soir, à l’heure où l’on voit rentrer les bêtes et les gens, m’apparaissent comme des gaufriers […]. » (Maurice Barrès, Colette Baudoche, 1909, éditions Félix Juven, p. 154 ; éditions Émile-Paul frères, 1913, p. 158 ; le Livre de Poche, 1968, p. 85 ; etc.)

Il faut noter que, dans l’expression « des petits déjeuners », « des petits fours » ou « des petits-beurre(s) » (deux graphies attestées pour ce vocable), ou dans la phrase : « Elle a eu des petits amis qui sont venus chez ses parents », le pluriel des est mieux justifié, voire parfaitement justifié. Je citerai encore cette phrase, qui provient du premier roman d’Alix de Saint-André : « Elles riaient de soulagement comme des petites filles dociles. » (Alix de Saint-André, L’ange et le réservoir de liquide à freins, Gallimard, Série noire, 1994 ; collection Folio policier, p. 220.)

Petit déjeuner, petit four, petit-beurre, petit ami et petite fille (synonyme de fillette) sont aujourd’hui perçus comme des groupes lexicaux, chacun paraissant formé de deux éléments indissociables. Mais « petit mandat » ne relève pas de cette catégorie.

 

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commentaires

L
Bonsoir.<br /> Je ne suis pas d'accord pour &quot;tomber enceinte&quot; : pour moi, c'est devenu courant. Qui dit &quot;devenir enceinte&quot; ? Personne. Même si je suis d'accord sur le fait que, stricto sensu, c'est plus logique.
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R
<br /> Bonjour,<br /> <br /> C'est avec plaisir que je parcours vos pages sur internet, après avoir vérifié mon compteur. En effet, ce dernier indique qu'il y a eu un accès à mes pages consacrées au néo-crétinisme, et ce,<br /> depuis votre blog.<br /> <br /> Je vous remercie d'avoir mis un lien vers mon site, et je vais immédiatement vous rendre la politesse.<br /> <br /> J'aurai sans doute l'occasion de vous écrire à nouveau, car je ne manquerai pas de lire toutes vos pages, où l'on perçoit une grande expérience de la correction. En attendant, je vous souhaite<br /> d'excellentes vacances si vous avez pris vos quartiers d'été.<br /> <br /> R. Rongier<br /> <br /> <br />
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