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2 mai 2021 7 02 /05 /mai /2021 12:17

Conseils pour corriger votre français et améliorer votre style. Sur chacun des points suivants, l’usage est devenu erratique, contraire aux règles existantes, ou contraire à toute logique.

 

* * *

 

Accordez les participes passés lorsqu’il le faut, notamment avec les compléments d’objet direct antéposés. Sinon, la langue française ne comportera que des accords faits au masculin, qui cohabiteront étrangement avec les désinences dites inclusives et avec les formes féminisées des noms de métier et de fonction.

 

La virgule qui doit précéder un nom en apostrophe ne vous a rien fait : mettez-la !

Elle n’est pas nécessairement audible – c’est-à-dire restituée par une pause à l’oral – mais elle est grammaticale. Cette virgule discrète empêche toute phrase comportant un nom en apostrophe, même quand elle a été isolée de son contexte, de donner prise au contresens. Il est important de respecter la différence qui existe entre Attends Anatole ! et Attends, Anatole ! ; entre Mangez grand-mère et Mangez, grand-mère ; entre Tu aimes Arthur ? et Tu aimes, Arthur ? ; entre Fuyez les enfants et Fuyez, les enfants ; ou encore entre Tu fais chier Manon et Tu fais chier, Manon… Ce n’est quand même pas la même chose d’écrire Laisse tomber, Momo ! et Laisse tomber Momo ! : la virgule fait apparaître clairement le nom comme une apostrophe, tandis que l’absence de virgule est censée nous garantir qu’un nom qui apparaît en position de C.O.D. est bien un C.O.D. Si vous prenez soin de mettre la virgule à chaque fois que le nom est une apostrophe, il n’y aura pas d’équivoque possible lorsque vous voudrez qu’un nom similairement situé à droite d’un verbe transitif direct soit interprété comme étant le C.O.D. de ce verbe.

Mettez la virgule même quand le nom ou le groupe en apostrophe est précédé d’un simple mot-phrase, tel que Bonjour, Salut ou Bravo. Comme dans le vers célèbre : Et bonjour, Monsieur du Corbeau.

Lorsqu’il se glisse au milieu d’une phrase, le nom ou le groupe en apostrophe doit être encadré par deux virgules : Mais, mon cher, vous n’avez rien compris. Il arrive que le rôle d’une des virgules soit tenu par un point d’exclamation : Eh ! la vieille, laissez-moi entrer. Virgule ou point d’exclamation, on l’oublie plus souvent avant le nom en apostrophe qu’après, mais son utilité syntaxique est la même dans les deux emplacements. Encore une fois, je précise qu’une virgule écrite ne donne pas nécessairement lieu à une pause dans l’oral.

 

Les prépositions à et de doivent, dans la plupart des situations, être répétées. Par exemple lorsque plusieurs compléments sont coordonnés après les locutions quant à, au sujet de, etc. : Ils expriment leur inquiétude quant au délitement du pays et au risque de guerre civile (et non pas : « quant au délitement du pays et le risque de guerre civile »). Toute préposition doit être répétée dans une comparaison introduite par que (tant par… que par…, moins sur… que sur…, plutôt avec… qu’avec…, etc.) ; ou dans une comparaison introduite par comme, ainsi que, de même que, aussi bien que… ; ou après une restriction introduite par sauf, hormis, à part, etc. (La police n’est l’ennemie de personne, sauf des malfaiteurs ; Nous n’aurons besoin du secours de personne, hormis de Dieu) ; ou après un adverbe de liaison comme puis (Il se tourna vers l’un, puis vers l’autre ; Elle dansa avec X puis avec Y) ; ou après une négation (Je ne comprends pas pourquoi cette fille est attirée par lui et pas par moi ; et ne croyez surtout pas que si vous disiez : « Je ne comprends pas pourquoi cette fille est attirée par lui et pas moi », votre énoncé aurait la même signification !). Bref, dès qu’on établit un parallélisme entre deux énoncés qui dépendent soit d’un même verbe soit d’un nom exprimant un sentiment ou un processus, la préposition présente dans le premier membre doit être répétée dans le second. Les prépositions servent à structurer la pensée et à guider la lecture, il ne faut donc pas chercher à les économiser.

Pour les prépositions autres que à et de, la non-répétition est admise – voire normale – avant les compléments juxtaposés ou coordonnés.

Si à et de doivent être répétés avant chaque complément, c’est parce qu’ils fusionnent avec le ou les (l’article défini et non le pronom personnel) : se pencher sur telle chose, telle autre et le reste ; mais : se préoccuper de telle chose, de telle autre et du reste (et non pas, comme on le lit et l’entend maintenant partout : « de telle chose, telle autre et le reste ») ; s’intéresser à telle chose, à telle autre et au reste (et non pas, comme on le lit et l’entend partout : « à telle chose, telle autre et le reste »). Le site AlloCiné nous invite, depuis avril 2020, à redécouvrir le film Ponyo sur la falaise, y voyant « une ode philosophique à l’amour, la foi, la nature et le sens des responsabilités » (ce qui revient à accepter : « et à le sens… »). Il ne s’agit là que d’un exemple parmi des centaines. Toutefois, la non-répétition des prépositions à et de est permise dans une suite de plusieurs noms propres : à Pierre, Paul ou Jacques ; dans une suite de plusieurs verbes à l’infinitif : de boire, jouer et chanter ; et dans une suite de plusieurs noms communs ou groupes nominaux précédés de l’article indéfini : Il participe à des perquisitions, des gardes à vue, des filatures. Dès lors qu’il n’y a, quels que soient les termes coordonnés, aucune éventualité de fusion entre la préposition et un article.

La non-répétition des prépositions est également légitime au sein de ce que j’ai proposé d’appeler les entités indivises : Le messager se rendit chez Isabelle et Ferdinand, si Isabelle et Ferdinand habitent ensemble. Mais on dira : Le messager se rendit chez Isabelle et chez Ferdinand, si Isabelle et Ferdinand habitent dans des lieux séparés. La tentation est venue à Ève et à Adam du dehors (si Adam et Ève sont considérés en tant que personnes distinctes) ; mais : La tentation est venue à Ève et Adam du dehors (si Adam et Ève sont considérés comme unis par des liens étroits). Si le sens du verbe ou de la locution verbale n’autorise pas à percevoir cette sorte d’indivision, on doit s’imposer la répétition de la préposition : Je serrai la main à Isabelle et à Ferdinand. Enfin, on doit toujours répéter la préposition à ou de lorsque la construction les voue à fusionner avec l’article qui précède un nom : même si ces deux personnes vivent ensemble, l’arrivée du peintre imposa silence à la femme et au mari ; lorsqu’un des termes coordonnés est précédé d’un adjectif possessif : L’arrivée du peintre imposa silence à Louise et à son mari ; ou d’un adjectif démonstratif : L’arrivée du peintre imposa silence à Louise et à ce pauvre Henri.

Pour la même raison, ce qui est permis dans une suite de plusieurs noms propres de personne ne l’est pas toujours lorsque ces noms propres sont des noms de ville. Il y a des noms de ville qui comportent l’article défini masculin ou l’article défini pluriel, et cet article fusionne obligatoirement avec la préposition à ou de. Lorsque plusieurs noms de ville sont coordonnés, même si un seul d’entre eux comporte l’article en question, il est donc nécessaire de répéter à ou de avant chaque nom : La pièce sera jouée à Strasbourg, au Creusot, à Namur, à Bruxelles, à Lyon et à Paris. La non-répétition de la préposition est acceptable dans une suite de noms de ville si aucun des deux articles définis n’y figure. Voici une variante de la phrase précédente, suivant un modèle bien attesté : La pièce sera jouée à Strasbourg, au Creusot, à Namur, Bruxelles, Lyon et Paris. Dès lors qu’une suite de noms est introduite par la préposition qui convient à tous, on peut s’abstenir d’y répéter à ou de.

Enfin, l’article qui précède un surnom fusionne obligatoirement avec la préposition de ou à : Le musée des Offices réunit un grand nombre d’œuvres de Botticelli, de Léonard de Vinci, de Titien et du Caravage. Il ne faut pas confondre les noms propres de personne comportant un article défini (Le Drian, Le Clézio, Le Rider, etc.) avec les surnoms : le Balafré, le Tigre, le Caravage, le Pérugin, le Corrège, etc.

 

Une narration ne se fait pas au futur, qu’il s’agisse du futur de l’indicatif ou du futur périphrastique. Ne racontez au futur ni une anecdote, ni un événement historique, ni une vie. Pour rendre plus vivante votre prose, utilisez le présent de narration.

Lorsque vos phrases ont pour verbe la structure « vais/vas/va… + infinitif », ce n’est pas le présent de narration que vous utilisez – mais le futur périphrastique. Par exemple, le texte suivant commence au présent de narration et se poursuit au futur : « François s’installe dans l’atelier de son oncle. Il va alors collaborer pendant huit ans avec ce dernier, prénommé Michel, qui va lui faire découvrir les origines de l’horlogerie. Cette belle collaboration va aussi permettre à François de rencontrer un grand nombre de collectionneurs », etc. Non seulement cette manie de mettre le récit au futur alourdit le style, mais elle fait obstacle à une éventuelle insertion d’événements postérieurs à l’action principale, puisque le texte est déjà truffé de verbes au futur qui n’expriment aucune projection dans l’avenir.

 

Évitez ce qu’on appelle en grammaire latine l’attraction modale : un verbe qui dépend d’un verbe au subjonctif ne se met pas automatiquement au subjonctif. Ne chantez pas avec William Sheller : « Quel que soit le temps que ça prenne / Quel que soit l’enjeu / Je veux être un homme heureux »… Dites : Quel que soit le temps que ça prendra. (Zut, ça ne rime plus.) Dites aussi : Je ne crois pas que ce soit ce qu’il faut faire, et non : « que ce soit ce qu’il faille faire » (et encore moins : « que c’est ce qu’il faille faire »). Et dites : Quelle que soit la version qu’on choisit, ou choisira, de préférence à : « qu’on choisisse ».

 

Lorsque vous employez le pronom en, que ce ne soit pas par pléonasme. Ne dites pas : « Quels en sont ses fondements », ni : « Je le trouve quand même intéressant, le bougre, et je ne peux que vous en recommander sa lecture »… (Vous avez le choix entre « Quels en sont les fondements » et « Quels sont ses fondements ».) Dans un avant-propos à Par la suite (1986-1990), deuxième tome de l’intégrale Luc Leroi, le dessinateur-scénariste Jean-C. Denis écrit : « Moche, égoïste, trouillard, fauché, j’en passe, Luc Leroi est un peu tout ça à la fois. Une caricature, mais aussi, et c’est ce qui en fait son intérêt pour moi, un personnage de conte lâché dans le monde réel. » (Éditions Futuropolis, 2017, p. 3.) La faute énorme gâche la jolie formule.

De même pour dont. Ne dites jamais : « C’est de lui dont il est question », mais, selon le contexte : C’est lui dont il est question ou C’est de lui qu’il est question. Certes, il me faudra revenir sur la syntaxe du pronom relatif dont : elle est parfois subtile.

De même : lorsque vous employez le pronom y, que ce ne soit pas de manière pléonastique. La faute naissait de la plume des enfants mais nous apprenions à nous en corriger tout au long de nos années d’école primaire : elle consiste à mettre un y à l’intérieur d’une proposition qui contient déjà un complément circonstanciel de lieu. On ne s’en corrige plus guère. « Et sur ton pull j’y broderai M », chante Mylène Farmer dans Je te dis tout (chanson créée en 2013).

Cette faute s’est encore répandue. Le pronom relatif simple , les pronoms relatifs complexes dans lequel, dans laquelle, etc., semblent attirer à eux le pronom y comme des aimants. Le pléonasme s’insinue partout, jusque dans des écrits émanant d’institutions respectables : « Chaque élève reçoit un livret-guide présentant l’épreuve, dans lequel on y trouve un calendrier, des fiches méthodes [sic], la grille d’évaluation. » (Phrase lue sur le site Internet d’un collège de Bretagne.) « La poésie là où on ne l’y attend pas. » (Lu en 2019 sur un site québécois d’information culturelle.)

 

Les h aspirés existent, et ils font barrage à la liaison. Ainsi dans : des haricots, bien sûr, mais aussi dans : on hurle, s’enhardir, ces véhicules sont hors service, un handicapé, très handicapant – vous dites bien, et à juste titre : le handicap, ou le hasard… Féministes, cessez de parler de « l’harcèlement », d’une pratique « d’harcèlement », du fait « d’harceler » quelqu’un, etc. : c’est le harcèlement, de harcèlement, de harceler, qu’il faut dire.

En revanche, le h n’y étant pas aspiré, c’est à juste titre qu’on dit : l’hameçonnage, ou une tentative d’hameçonnage. Quand ce nom est précédé de l’article indéfini, la prononciation correcte est donc : « un nameçonnage » (par exemple dans signaler un hameçonnage). Et on dit bien : cet hameçonnage (L’objectif de cet hameçonnage est de pirater votre compte).

 

Prononcez le u de arguer (qu’on ferait bien d’écrire : argüer). Il argue ne se prononce pas comme Il nargue.

Bruxelles doit être prononcé « Brussel », de même qu’Auxerre doit être prononcé « Aussèr » (et non pas, comme on l’entend maintenant partout : « Bruck-sel », « Auck-sèr »). Ne privez pas ces noms de villes de la douceur de leur sonorité. Rappelez-vous la chanson dans laquelle le Belge Jacques Brel célébrait le temps où Bruxelles bruxellait (« où Brussel bru-sse-lait »).

 

Évitez l’hypercorrection consistant à mettre « ce qu’il m’arrive » ou « ce qu’il se passe » ou « ce qu’il lui prend » là où vous pouvez employer ce qui. Dans bien des cas, le recours au pronom impersonnel fait faire à la pensée du lecteur un détour dont l’inutilité devrait heurter le goût et l’intelligence de tout écrivain.

 

Contrairement aux romanciers actuels, refusez, dans les incises de vos dialogues, tout verbe qui s’avèrerait redondant avec les paroles elles-mêmes : « protesta-t-il/elle », « s’impatienta-t-il/elle », « implorait-il/elle », « s’impatiente-t-il/elle », « le/la/les rassura-t-il/elle », « a-t-il/elle estimé », « voulut-il/elle savoir », « s’inquiéta-t-il/elle », « accepta-t-il/elle », « plaisanta », « mentit », « rit », « sourit », « se réjouit », « soupçonnait », « se vantait », « s’étonna », « s’emporta », « capitula », etc. En revanche, crier, hurler, s’écrier, s’exclamer, chuchoter sont bons car ils ne contiennent que l’idée d’exprimer par la voix, sans produire une redondance avec l’intention ou l’affect qui sous-tend la parole rapportée. D’autres verbes sont permis en incise, tels « reprit », « ajouta », « poursuivit », « intervint », du moment qu’ils ne font pas redondance avec le contenu des propos (mais évitez « abonda » : ce verbe, employé absolument, ne doit pas être accepté comme synonyme de la locution abonda dans le sens de quelqu’un, laquelle ferait, de toute façon, une incise du plus mauvais effet). Gronder est déjà délicat à utiliser en incise quand on le prend au sens de bougonner, grommeler ; mais ne dites pas : « le/la/les gronda-t-il/elle » (au sens de : « réprimanda », lequel s’avère pareillement redondant). Appeler, employé comme verbe en incise, n’est jamais redondant lorsque le locuteur prononce le nom d’une personne dont il veut attirer l’attention ou qu’il veut faire venir près de lui : « – Madame Knecht ! appela-t-il. » (Michel Déon, La carotte et le bâton, Plon, 1960, nouvelle édition à la Table Ronde, 1980, collection Folio, p. 60.) Mais appeler devient redondant dans les autres cas, par exemple celui-ci : « À l’aide ! appela-t-il. » Le verbe en incise doit renseigner sur le son et sur le ton de la voix, plutôt que sur l’intention du locuteur.

Les verbes à employer de préférence sont : dire, demander, répondre ; et leurs équivalents expressifs déjà cités : s’écrier, s’exclamer, etc. Dans l’élan de la lecture, nous devons pouvoir survoler ces incises, en enregistrant de manière quasi inconsciente l’information qu’elles apportent, et en laissant notre attention se porter sur les propos eux-mêmes et sur l’identité des locuteurs.

Dire étant le moins emphatique des verbes introducteurs de parole, il remplit toujours efficacement sa fonction. L’incise « dit-il/elle », « dit Untel/Unetelle », ne sera jamais redondante avec un propos rapporté, et il est loisible, au fil d’un long échange de répliques, de l’employer à de nombreuses reprises ; précisément parce que dire est sobrement polysémique. Vous pouvez privilégier « dit », même lorsque l’incise s’ajoute à une phrase qui est à la forme interrogative. On peut fort bien considérer que la présence du verbe « demande » produit une légère redondance au sein d’une phrase comme celle-ci : « Tu vas où ? » demanda Germaine (redondance avec le point d’interrogation) ; et préférer la formule : « Tu vas où ? » dit Germaine.

Quand vos dialogues sont fixés au tronc narratif par un verbe en incise redondant, vous produisez l’équivalent stylistique d’un pantalon maintenu par une ceinture et des bretelles.

Ne transformez pas en introducteurs de parole : 1. les verbes qui évoquent le geste ou l’action que le locuteur fait en parlant ; 2. ceux qui explicitent le sentiment, l’émotion ou l’intention du locuteur. Dans la plupart des cas, cette intention se devine aisément à la simple lecture des paroles rapportées. Lorsque vous jugez nécessaire de dévoiler au lecteur l’intention secrète d’un personnage, faites-le au moyen d’un adverbe ou d’un complément apposé, ou encore dans un paragraphe séparé. Le verbe de parole en incise ne doit pas être utilisé à cette fin.

Si vous êtes journaliste, restez neutre : employez dire, affirmer, déclarer. Fuyez ces « analyse-t-il/elle » (laudatifs) ou ces « croit-il/elle savoir » (dépréciatifs), ces « alerte-t-il/elle », ces « reproche-t-il/elle », ces « dénonce-t-il/elle », ces « condamne-t-il/elle », ces « prône-t-il/elle », ces « justifie », ces « se justifie », ces « raisonne », ces « argumente », ces « déplore », ces « avoue », ces « s’indigne », ces « prévient », ces « avertit », ces « pourfend », ces « éructe », qui empiètent sur le contenu des propos transcrits au discours direct. À travers le verbe introducteur de parole, n’exprimez pas d’emblée votre approbation ou votre désapprobation. Laissez aux propos rapportés le temps de pénétrer dans notre esprit pour que nous nous exercions à en apprécier le contenu par nos propres moyens. Il est parfois nécessaire d’apporter des précisions sur le ton employé, mais ne le faites pas au moyen du verbe de parole lui-même.

N’oubliez pas que les guillemets suffisent à vous protéger contre d’éventuelles tentatives, venant d’esprits mal intentionnés, d’amalgamer à votre propre pensée l’opinion citée.

On n’a pas tort d’affirmer que le lecteur est co-créateur d’un texte : mais cette occasion de co-créer ne lui est jamais si bien fournie que par les passages qui comportent du discours direct. Si vous voulez féconder la pensée de votre lecteur, ne lui soufflez pas trop tôt votre interprétation de la parole d’autrui.

 

L’adverbe ne est superflu dans une subordonnée introduite par avant que, et sa présence constitue une faute dans une subordonnée introduite par sans que, y compris lorsqu’on écrit « sans que rien… » ou « sans que personne… ». C’est ici la négation exprimée par sans qui rend négatif le pronom personne ou le pronom rien. Le ne et le sans s’annuleraient. (Il n’y a que lorsque la subordonnée introduite par sans que dépend d’un verbe négatif qu’on peut y faire apparaître ce ne, dit explétif : « Il ne se passe pas un jour sans que je ne pense à elle » ; et rappelez-vous que la correction grammaticale ne l’exige pas.) En revanche n’hésitez pas à mettre ce ne après un verbe de crainte, ou après la locution conjonctive à moins que. Il faut avoir à l’esprit que ce ne, contrairement à ce qu’indique son appellation, n’est pas un mot de pur remplissage (« explétif ») car il n’est jamais sémantiquement vide : il comporte toujours une idée de négation, ou exprime toujours une négation latente. Si vous préférez l’omettre dans « Je crains que… » et dans « à moins que… », ayez l’intelligence de l’omettre aussi dans les subordonnées introduites par avant que.

Dans les comparaisons d’inégalité (introduites par plus que, moins que, autrement que, mieux que, plutôt que…), le ne dit explétif est utile mais n’est pas obligatoire. Efforcez-vous surtout de ne pas y employer l’actuel « que ce que », tour maladroit et paresseux : «  La réalité est plus complexe que ce qu’il croyait » ; « C’est pire que ce qu’on pensait » ; « Il y avait plus de candidats que ce qu’on pouvait accepter »… Écrivez : La réalité est plus complexe qu’il ne croyait ; C’est pire qu’on ne (le) pensait ; Il y avait plus de candidats qu’on ne pouvait en accepter. Pour ma part, je considère que la présence de ne est à recommander dans les phrases de ce type.

 

Eh bien, eh oui, eh non, eh si : l’interjection s’écrit autrement que la conjonction de coordination (et).

 

Le pronom relatif lequel/duquel/auquel se décline en genre et en nombre : la raison pour laquelle…, les maladies auxquelles…, des choses avec lesquelles…, une évolution à propos de laquelle… (et non pas : « la raison pour lequel… », « des choses avec lequel… », « une évolution à propos duquel… », etc., absurdité qu’on entend aujourd’hui dans toutes les bouches). D’autre part, le neutre s’exprime au moyen du pronom relatif quoi. On ne dit pas : « quelque chose auquel…, sur lequel… », etc. ; on dit : quelque chose à quoi, sur quoi. « Ce n’est pas ce auquel je pensais » ? Non : ce à quoi… « C’est quelque chose auquel on s’est habitué » ? Non : c’est quelque chose à quoi on s’est habitué.

 

N’employez pas la tournure prépositionnelle « avec X » en la faisant suivre d’un pronom pluriel (nous, on, ils, elles) lorsque votre phrase n’évoque que deux personnes.

 

« Si possible » est très français. « Si besoin » ne l’est pas. Il faut dire : en cas de besoin.

 

Si vous tenez à employer la locution n’avoir de cesse, construisez-la correctement : avec que… (ne…) et un verbe au subjonctif (passé ou plus-que-parfait). Gardez-vous de la construire avec de et un verbe à l’infinitif en pensant qu’elle aurait le même sens que : ne pas cesser, en plus joli… Ne dites pas : « Napoléon est au cœur d’une polémique qui n’a de cesse de prendre de l’ampleur », lorsque vous voulez simplement dire : une polémique qui ne cesse de prendre de l’ampleur (bref : une polémique qui prend de l’ampleur).

 

Dans une prose soignée, ne dites et n’écrivez jamais : « pour pas que… ». Le pas doit être placé après le verbe (pour que Machin ne vienne pas).

 

Ne laissez jamais deux adverbes en -ment se suivre ; et, en général, n’abusez pas des adverbes en -ment. Je vous adjure de ne plus employer l’adverbe possiblement, qui n’est que du franglais (transposition de l’adverbe possibly). Dans bien des cas, l’adverbe peut-être convient très bien là où vous pensiez devoir dire possiblement.

… De même qu’à la place de quasiment on peut dire presque.

… Qu’à la place d’effectivement on peut dire en effet.

… Et qu’on peut éviter l’adverbe extrêmement (si pesant) et le remplacer par très.

 

Le mot heure(s) a pour symbole le h minuscule. H, lettre majuscule, c’est l’hydrogène.

N’écrivez pas « 17h00 » mais « 17h » (ou, pour être typographiquement élégant : 17 h). Si vous écrivez les « zéro-zéro », c’est que vous les prononcez… Ne mettez pas de zéro avant les unités : en bonne orthographe française, la date du dimanche 2 mai ne s’écrit pas « dimanche 02 mai », pas plus que celle du samedi 1er mai ne s’écrit « samedi 01 mai ». Si vous écrivez « 02 », c’est que vous recommandez de prononcer « zéro deux ». De même, la page 9 d’un livre ne doit pas devenir une page « 09 ».

 

Les nombres désignant des quantités, au moins lorsqu’ils sont inférieurs à vingt, écrivez-les en mots et non en chiffres. Rien de plus pénible que les énoncés où un chiffre semble d’abord appartenir à une numérotation, avant que l’esprit du lecteur comprenne que ce chiffre signifie bêtement une quantité… Exemple : « 7 RÈGLES TIRÉES DE LA PHILOSOPHIE ORIENTALE pour t’aider dans la vie ! » (Or il ne s’agit pas du septième point d’un exposé.) Même page : « 3 sortes d’amis sont utiles, 3 sortes d’amis sont néfastes. » (Chiara Pastorini, Les vrais sages sont des rebelles ; dessins de Perceval Barrier. Sous-titré : « Ils ont révolutionné notre façon de penser. Ils ont encore des choses à nous dire. » Éditions Nathan, 2021, p. 17.)

Procédez de même avec les grands nombres ronds, qui exigent beaucoup de zéros, et avec les nombres ronds divisibles par dix (quarante, cinquante…).

Lorsqu’un nombre est assez grand et qu’il n’est pas rond, ne suivez pas une règle aveuglément. Raisonnez au cas par cas, en vous préoccupant de la lisibilité de votre énoncé. Croyez-vous que l’œil arrive à lire du premier coup une phrase où se mêlent nombres en chiffres, numéros et millésimes ? « D’avril 1946 à août 1952, pas moins de 67 V2 sont tirés depuis les États-Unis avec à leur bord divers appareils de mesure scientifiques. » (Éric Branca, Le Roman des damnés : Ces nazis au service des vainqueurs après 1945 ; éditions Perrin, 2021, p. 341.) Cette phrase ne serait-elle pas plus lisible sous la forme suivante : «  D’avril 1946 à août 1952, pas moins de soixante-sept V2 sont tirés… » ?

 

Après un quart des, un tiers des, la moitié des, la plupart des, la majorité des, une dizaine de, etc., accordez selon le sens. Non pas : « Un quart des hommes est concerné », mais : Un quart des hommes sont concernés.

Le sens conduit aussi bien le complément au singulier d’un nom pluriel à donner l’accord : Dix pour cent de la population civile soutient les insurgés. On dit que 95 % de notre vocabulaire est d’origine latine. Cet accord est parfaitement correct et logique. Inversement, mais selon le même raisonnement, on dira : 1 % des terres arables disparaiSSENT chaque année ; ou encore : Seulement 1 pour cent des bassins de retenue africains ONT été bâtis afin de limiter les inondations. Les usagers du français ont tort d’hésiter sur ce point.

Comme je l’ai déjà proposé, nous pourrions, dans l’analyse de ces phrases, faire appel à l’opposition classique (utilisée pour analyser les propositions comportant un verbe impersonnel) entre un sujet apparent et un sujet réel : quart/plupart/95 %… étant le sujet apparent, hommes/population/vocabulaire/terres arables… le sujet réel. L’accord se fait avec le sujet réel. Le sujet réel est sujet sémantique : c’est celui des deux noms qui est véritablement porteur du sens.

La preuve que cet accord est le bon, c’est qu’à la moindre reprise du syntagme par un pronom personnel ou par un possessif vous choisirez spontanément le pronom ou le possessif renvoyant au sujet réel. Ne faites donc pas comme ce journaliste belge qui a écrit dans Le Soir en septembre 2016 : « Une partie des acheteurs a déjà été contactée par SMS ou e-mail et ont été informés qu’ils ne pourront pas venir retirer leur iPhone en magasin ce matin. » Ni comme ce journaliste du Figaro, qui écrivait en 2012 : « Si l’on pose la question à des adolescents, la plupart situe le moment optimal de leur sexualité à 18 ans. » Même quand le complément que je propose d’appeler sujet réel n’est pas exprimé, il faut écrire : « la plupart situent… ».

Parmi les locutions désignant la fraction d’un tout, les seules qui imposent d’accorder au pluriel et non selon le sens sont : les deux tiers, les trois quarts, les neuf dixièmes, etc. Personne ne dirait : « Les trois quarts du gâteau a disparu » ; nous dirons nécessairement : ont disparu. Il y a une règle : Si la fraction ou le pourcentage sont précédés d’un déterminant au pluriel (les, ces, etc.), l’accord du verbe se fait obligatoirement avec la locution exprimant la fraction ou le pourcentage.

 

Espérer que, espérant que ou l’espoir que ne se construisent pas avec le subjonctif. La subordonnée complétive doit être au futur de l’indicatif (futur simple ou futur antérieur) ou au futur dans le passé (conditionnel présent ou passé). Il faut espérer que Lou comprendra et réagira rapidement, et non pas : « que Lou comprenne et réagisse rapidement ».

S’assurer que ne doit jamais être suivi du subjonctif. Si le subjonctif vous semble nécessaire, c’est que s’assurer n’est pas le verbe adéquat : remplacez-le alors par faire en sorte.

 

Ne mettez pas un point d’interrogation à la fin d’une subordonnée interrogative indirecte (par exemple après « Je me demande si… »), sauf si la principale est elle-même interrogative (« T’es-tu demandé si… ? »).

Ne soudez pas une subordonnée interrogative indirecte à une préposition : « sur comment », « de comment », « vu comment », « se faire une idée de comment les choses se sont passées », « se rendre compte de quand un interlocuteur nous ment »… « Je m’étonne qu’elle ait encore des amis, vu comment elle les traite » : vu la manière dont elle les traite. (Vu est ici une préposition, donc un mot invariable.) Entendu à la radio (accent tonique sur « la question» , puis légère pause) : « On s’est posé la question sur pourquoi on s’était tous engagés. » On a cherché à savoir pourquoi… Une interrogative indirecte peut rarement être introduite par un verbe non interrogatif. Plutôt que « Ça dépend comment… », écrivez : Ça dépend de la manière dont…

 

Dégenrez vos tracts et vos formulaires si vous y tenez, mais ne dégenrez pas la littérature : parlez d’hommes et de femmes, de filles et de garçons, voire d’individus de sexe indéfinissable, mais bannissez les « personnes » de vos écrits narratifs.

Le mot genre ne saurait être substitué au mot sexe dans n’importe quel cas. Peut-être le fait-on par pruderie, parce que nos contemporains se sont mis à associer spontanément le mot sexe à la pornographie internetisée. « Accéder à de hautes fonctions reste difficile pour les femmes, parce que des préjugés perdurent sur leur genre. » Sur le genre femme ?

 

Quant au lexique :

Ne mettez pas enjoindre à la place d’inviter ou d’inciter. Le verbe enjoindre se construit comme ordonner (À quelqu’un DE faire) – et il a la même signification que ce dernier.

Cessez de donner à dédier, à initier et à délivrer des significations qui ne sont pas les leurs. Embêtez-vous un peu à chercher le verbe qui convient précisément au contexte. Il s’agit là de ce que j’appelle les anglicismes sournois : ils ont pris possession de mots français bien enracinés dans l’histoire de notre langue. Autrefois on les combattait, on enseignait qu’il fallait se méfier des faux amis, mais ce temps est révolu. Je les distingue de nos anglicismes ingénus, les pourtant pénibles basique (pour : élémentaire, fondamental), nominer (pour : citer, sélectionner), lion de mer (pour : otarie), Moyen-Orient (pour : Proche-Orient), etc.

La locution autour de n’est pas du tout synonyme de : à propos de, au sujet de, portant sur. Dites : une réflexion portant sur… et non : « une réflexion autour de… » (« Vous avez publié des livres autour de cette question », etc.).

Ne dites pas balancer quand vous voulez dire jeter.

Le mot maman ne peut pas remplacer le mot mère, ni papa remplacer père, dans n’importe quel contexte.

Avant un infinitif, évitez de mettre adorer à la place d’aimer.

Échanger fait un synonyme désastreux de parler, discuter, dialoguer. Si vous tenez au verbe échanger, donnez-lui un complément : échanger des propos, des arguments… Mais c’est souvent lourd. De même, un échange (tout court) désigne ordinairement un troc d’objets ou de produits. Si vous voulez recourir à ce terme pour désigner une conversation, il faut dire : échange de propos, de politesses, d’arguments, de vues, etc. Mais les mots dialogue, débat, ou le déjà cité conversation, conviennent à la plupart des situations ! Gardez-vous de l’inflation verbale, cette tendance spontanée de l’individu parlant.

N’employez pas dévasté quand vous voulez dire triste ou affligé (« La benjamine était dévastée de devoir quitter ses sœurs » ; « C’est la première fois que je vois mon frère aussi dévasté »…). Quand vous êtes tenté de dire dévasté, il est souvent possible d’employer anéanti. L’adjectif dévasté signifie : prématurément vieilli. La dévastation d’un visage peut être provoquée par le chagrin, mais tout chagrin, fût-il immense, ne produit pas de la dévastation.

On n’est pas « récipiendaire » d’un don, d’une récompense ou d’un prix. Récipiendaire ne signifie pas « celui qui reçoit », mais au contraire : « celui qui EST REÇU ». Le mot provient d’un adjectif verbal d’obligation latin. Celui ou celle qui entre à l’Académie française pour en devenir membre est un ou une récipiendaire, celui ou celle qui reçoit un prix décerné par l’Académie française est un lauréat ou une lauréate. Le ou la récipiendaire n’entre pas à l’Académie pour y recevoir un prix, mais pour y siéger. En mettant récipiendaire à la place de lauréat, ou de bénéficiaire, vous employez un mot savant à contresens.

Dans le même ordre d’idées, Candide est le héros éponyme d’un conte philosophique de Voltaire, mais Candide (le texte) ne doit pas être qualifié de « conte éponyme ». Est éponyme celui qui donne son nom à un lieu, à une œuvre, etc., mais non la chose qui reçoit ce nom. Dans un sens élargi, il est admis de qualifier d’éponyme le roman qui a précédé un film et lui a donné son titre, et en général toute œuvre ayant précédé la transposition qui en est faite dans un autre médium.

Moucher une chandelle n’est pas l’éteindre, c’est en aviver la flamme (en ôtant la partie carbonisée de la mèche).

 

En vous relisant, traquez les redondances et les pléonasmes. Cessez par exemple d’accoler peut-être, ou tout autre adverbe de même racine, au verbe pouvoir ou à l’adjectif possible : « Je peux peut-être… », « Nous pourrions peut-être… », « On pourra peut-être… », « C’est peut-être possible », « Chaque décision peut potentiellement… », etc.

Cette facilité à laquelle vous cédez en parlant, efforcez-vous de la combattre en écrivant.

 

* * *

 

Toutes ces fautes et ces maladresses sont actuellement commises. Toutes ces mutations sont acceptées passivement, voire soutenues et encouragées, par des écrivains, des professeurs et des linguistes. Elles semblent viser à un but : défaire la langue qui était commune aux auteurs du XVIIIe, du XIXe et du XXe siècle – les écrivains et les philosophes aussi bien que les ingénieurs et les savants. Détacher de nous un continent littéraire formé par les œuvres produites au cours d’une période longue d’au moins trois siècles. Cette langue restait stable dans sa structure, et les changements et innovations qui se produisaient dans son lexique n’étaient pas aberrants. Si les Français, si l’ensemble des francophones n’y prennent garde, leur langue orale et écrite perdra tout lien organique avec un sol qui semblait voué, par sa profondeur et sa richesse, à une fertilité infinie, et le sédiment qu’elle aurait dû y ajouter sera volatilisé.

 

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commentaires

A
« s’enrichir sans s’autodétruire » ? se détruire ? <br /> <br /> Je vous offre en remerciement pour vos articles l’incise que j’ai trouvée récemment dans un polar : « se récrimina-t-il ».
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S
C'est toujours un tel plaisir de lire vos articles ! Merci pour ces moments si agréables.
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F
Je vous remercie !
B
J'ignorais que c'était l'objet d'un débat : je me sens moins seule :) Ceci dit, "je préférerais ne pas" ne sonne pas très juste.
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F
Que penseriez-vous alors de : « Je voudrais mieux ne pas. »
B
A propos de "ne pas", comment traduire au mieux la fameuse et laconique réplique de Bartleby (Melville) "I would prefer not to" ?
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F
On a beaucoup écrit à ce sujet, mais j’ai oublié les arguments qui ont pu être opposés (par Deleuze, je crois) à la traduction exacte : « Je préférerais ne pas. » Cette traduction me semble excellente : elle ne perd rien, et relève du même niveau de langue.
L
« La virgule qui doit précéder un nom en apostrophe. »<br /> <br /> Exemple récent, : « Adieu les cons » de Dupontel. <br /> Plus exactement : « de Albert Dupontel ».
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F
Certes, mais il s’agit d’un titre. L’énoncé peut s'apparenter à un vers non ponctué.
L
« Je n’aurais pas dû », regretta-t-il.<br /> « Zut alors ! », jura-t-il. <br /> « De l’aide ! », au-secoura-t-il.
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L
— Certes, mais il s’agit d’un titre. L’énoncé peut s'apparenter à un vers non ponctué. <br /> <br /> — ?