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11 mars 2015 3 11 /03 /mars /2015 22:52

Parlant des liens qui existaient entre Alexandre Dumas et Victor Hugo, Claude Schopp écrit, dans sa préface à Une amitié capitale : « Tous deux nés lorsque le siècle avait deux ans, tous deux fils de généraux : […]. » (Une amitié capitale : Correspondance Victor Hugo-Alexandre Dumas ; textes réunis, présentés, classés et annotés par Claude Schopp ; éditions les Portraits de la Bibliothèque, 2015, p. 5.) Vous aurez noté l’ellipse du verbe être, qui donne à la phrase un ton nerveux. Cela dit, en son deuxième segment, la phrase exige d’être améliorée. Mais que faire pour que ce passage devienne irréprochable ? Vaudrait-il mieux dire : « tous deux fils de général », « chacun fils de général » ?… Comment faire pour appliquer la règle française du singulier distributif, tout en évitant une équivoque ?

La meilleure solution serait la suivante : « l’un comme l’autre fils de général ». Cela simplifie le problème en amont, puisque la conjonction comme, intrinsèquement vouée à exprimer la comparaison, impose d’accorder le verbe être (sous-entendu) avec un seul des termes de la comparaison : « l’un comme l’autre est… ». Le nom fils, en position d’attribut du sujet, est alors au singulier. J’avais tenté d’expliquer cela dans Peut-on supprimer « comme » après le verbe « considérer » ? (2e partie) et dans Quelques mauvais usages de « comme » et d’« ainsi que ». La construction que je propose, « l’un comme l’autre fils (singulier) de général (singulier) », est bien plus claire que ne le serait celle employant le et : « l’un et l’autre fils (pluriel) de général (singulier) ». On aurait tort de vouloir assimiler le comme aux conjonctions de coordination.

Bref, le maniement du singulier distributif présentera toujours des difficultés !

 

La mise au pluriel du complément de nom se révèle particulièrement aberrante lorsqu’elle affecte un nom désignant une réalité ou une substance indénombrable, une collectivité non divisible, une notion abstraite ou encore un nom d’action.

Vous avez déjà dû constater que nos contemporains écrivent désormais : une maison de retraite, des maisons « de retraites ». Près de mon domicile, un garagiste annonce en grandes lettres qu’on peut acheter chez lui des « véhicules d’occasions ». Bientôt les commerces afficheront à leur porte leurs « horaires d’ouvertures ». Et cette bourde ne s’explique pas toujours par une inadvertance d’écriture. Songez à tous ces gens qui, au lieu de dire : travaux d’intérêt général, parlent de « travaux d’intérêts généraux ».

Le coffret Akira Kurosawa-Films noirs, réalisé en 2003 par les éditions Wild Side Video (collection des Introuvables), contient, en plus des films eux-mêmes (Chien enragé, Les salauds dorment en paix et Entre le Ciel et l’Enfer), un bref documentaire consacré aux techniques qui ont été utilisées pour restaurer les images du film le plus ancien, Chien enragé, qui date de 1949. Les images de ce documentaire sont accompagnées d’un commentaire en voix off et le jeune récitant y fait entendre la phrase suivante : « Dans le cas de Chien enragé, plus de cent cinquante heures de travaux ont été nécessaires pour supprimer les dommages les plus gênants [subis par la pellicule au fil des ans]. »

Or, jusqu’à nouvel ordre, l’usage est de dire : « plus de cent cinquante heures de travail », – même lorsque cette somme générale englobe des tâches diverses.

« Foucault et Marx : quand on accole ces deux noms, c’est bien souvent pour les opposer. À Marx, théoricien du mouvement ouvrier, philosophe de la totalité, a répondu Foucault, penseur des singularités et des micro-pouvoirs, pourfendeur d’un marxisme essoufflé. / Lire Foucault avec Marx, comme nous y invite ce livre, c’est au contraire reconnaître leur complémentarité, c’est dégager les points de rencontres possibles. C’est suivre Foucault sur le versant de l’exploitation resté inexploré par le marxisme et réinscrire ses travaux dans une perspective globale, qui était celle de Marx. » (Jacques Bidet, Foucault avec Marx, éditions la Fabrique, 2014, quatrième de couverture.) Les points de rencontre possibles. Le nom rencontre est utilisé ici en tant que terme générique, en tant qu’abstrait.

« À quarante-neuf ans, reconnu comme un des plus grands commissaires-priseurs du monde, [Maurice Rheims] est aussi une personnalité de la vie mondaine parisienne. En 1959 commence sa carrière d’écrivain avec La Vie étrange des objets, sur les critères de valeurs qu’on applique, et qu’on a appliqué [sic], aux objets. » (Préface non signée, imprimée en italique, qui est placée en tête de La vie d’artiste, de Maurice Rheims, tome 2 : L’art ; éditions Grasset, réédition de 2015, collection Cahiers Rouges, p. 8.) Deux fautes en une phrase – et ce ne sont pas les seules que contient cet avant-propos ajouté par l’éditeur : quelques lignes plus bas, le même préfacier anonyme attribue à Maurice Rheims un roman intitulé « Les Fortunes d’Appolon (1990) ». Sic !

Olivier Houdart et Martine Rousseau citent dans leur article du 26 août 2011 la phrase suivante, qu’ils ont tirée du Monde (ce qui prouve qu’ils ne sont pas sectaires) : « 69 % des Français n’oublient pas d’envoyer une carte postale de leurs lieux de villégiatures estivales », et commentent : Même en supposant que lesdits Français ont forcément plusieurs lieux de villégiature, les deux derniers pluriels sont inutiles, voire erronés.

En effet : villégiature, dans ce contexte, renvoie à une notion indénombrable.

Tantôt ce pluriel intempestif crée simplement de la confusion, tantôt il contrevient gravement à la nécessaire distinction, voulue par l’esprit, entre ce qui est dénombrable et ce qui ne l’est pas.

 

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