Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 11:19

Il est parfois employé dans la conclusion d’un résumé, sur le modèle du futur de « mise en appétit » du lecteur évoqué précédemment : « Jean Seghers est inquiet : sa station-service a été déclarée en faillite. Son veilleur de nuit-mécanicien lui réclame ses indemnités et, de surcroît, il craint que sa femme entretienne une liaison avec le président du tribunal de commerce. / Alors, il va employer les grands moyens. » (Quatrième de couverture du roman Adultère, d’Yves Ravey, éditions de Minuit, 2021.)

On l’a vu plus haut : le futur n’est pas illégitime en conclusion d’une narration au présent. Ce court texte (qui manifestement est de la plume d’Yves Ravey lui-même) nous montre que le futur périphrastique permet, comme le futur simple, de « survoler » une partie de l’intrigue d’un roman. Certes, comme on l’a constaté à propos de l’usage du futur simple dans un contexte similaire, le verbe aurait pu être au présent sans que la signification de la phrase en fût notablement modifiée : « Alors, il emploie les grands moyens. »

Malheureusement, le futur est souvent utilisé au milieu d’un texte, de manière intempestive, pour mettre en relief un coup de théâtre ou un changement subit de conduite et pour en dramatiser les conséquences.

« À la tête d’un véritable empire immobilier qu’il a bâti sans scrupules, Ascanio Restelli, octogénaire à la réputation sulfureuse, vise désormais la mairie de Rome. Viola Ornaghi, envoyée par le magazine Charme, se rend dans sa somptueuse villa pour l’interviewer à ce sujet. Mais c’est face à un cadavre atrocement mutilé – l’homme a été égorgé et énucléé – qu’elle va se retrouver. Sous le choc, elle appelle à l’aide son ami Leo Malinverno, journaliste lui aussi. / Le nombre d’ennemis qui auraient eu de bonnes raisons d’en vouloir à la victime est impressionnant. Hédoniste, ironique et léger, Leo interroge le passé, les secrets et les mensonges des uns, des autres, et se meut parmi tous avec aisance grâce à une acuité particulière [sic] en matière [sic] de psychologie. » (Quatrième de couverture de L’imposture du marronnier : Une enquête de Leo Malinverno, par Mariano Sabatini, traduit de l’italien par Marguerite Pozzoli, éditions Actes Sud, 2021, collection Babel noir, 2023.)

Avoir mis le verbe se retrouver au futur (périphrastique en l’occurrence) est une grave erreur. On observe que les phrases vouées au commentaire ou à la description sont spontanément mises au présent.

Voici d’autres résumés de récit imprimés en quatrième de couverture. Les verbes au futur appartiennent à des phrases de conclusion mais ce futur n’y est d’aucune utilité :

« Lors du tournage d’un documentaire sur les camps du Goulag de la Kolyma, région de la Sibérie orientale que les Russes appellent “l’enfer blanc”, l’auteur fait la rencontre inattendue d’un chat abandonné, transi de faim et de froid. Il décide de le sauver et le baptise Varlam, en hommage au grand écrivain Chalamov, rescapé des camps et auteur des Récits de la Kolyma. / Avec lui, de Iakoutsk à Magadan en passant par la “route des ossements”, il va parcourir la Sibérie, filmant les vestiges des camps, recueillant le témoignage des survivants, remontant le temps de la période stalinienne jusqu’à la fermeture du Goulag en 1956, trois ans après la mort du dictateur. // Dans ce road-book polaire, Michaël Prazan nous propose une mosaïque de séquences mémorables, évoquant un des chapitres les plus sombres de l’Histoire [sic] de la Russie. » (Quatrième de couverture de Varlam, de Michaël Prazan, récit, aux éditions Payot & Rivages, 2023. Le prénom de Chalamov, comme chacun sait, était Varlam.)

« Années 2010, [sic] un journaliste vit de l’intérieur les convulsions de l’entreprise de presse pour laquelle il travaille depuis un certain temps : rachat, brutalité managériale, obsession du profit envers et contre tout… À l’occasion d’un plan de départs volontaires, il prend ses cliques et ses claques en saisissant au vol une opportunité de reconversion professionnelle. Mais, dans les méandres des organismes de formation qui sont un business à part entière, rien ne va se passer comme prévu, sous le regard de l’ex-homme d’information [sic] qui est aussi poète à ses heures perdues. / Au fil de ce roman, Éric Faye brosse le tableau d’une classe moyenne incapable de résister à l’offensive néo-libérale et de se mobiliser lorsqu’elle est attaquée. » (Quatrième de couverture du roman Il suffit de traverser la rue, d’Éric Faye, éditions du Seuil, collection Cadre rouge, 2023.)

Voici le résumé du film Logan (2017, mis en scène par James Mangold), tel qu’il figure sur la jaquette d’un boîtier de DVD. Le dénommé Logan, plus connu sous le nom de Wolverine, est l’un des superhéros de l’univers Marvel : « Dans un futur proche, un certain Logan, épuisé de fatigue, s’occupe d’un Professeur Xavier souffrant et affaibli, qu’il garde caché dans un lieu désolé à la frontière Mexicaine [sic]. Mais les tentatives de Logan pour se retrancher du monde et rompre avec son passé vont être réduites à néant lorsqu’une jeune mutante traquée par de sombres individus va se retrouver soudainement face à lui… » Le texte était bien parti, mais pourquoi diable avoir embrayé sur le futur dès la deuxième phrase ?

 

Je constate que les directeurs de collection de chez Gallimard ont pris conscience du problème : sur la quatrième de couverture des romans récemment publiés par cette auguste maison, ni dans la collection NRF ni dans la collection Folio, on ne trouve plus ces textes qui se mettaient au futur pour annoncer les péripéties censées régaler le lecteur. Mais, comme on a déjà pu le constater, d’autres éditeurs ont plus de mal à résister à la tentation.

Le texte suivant représente une rareté car le futur y apparaît dès la première phrase : « À la Convention internationale de la rose, en Australie, le narrateur, journaliste français dans un magazine d’art de vivre, et Barbara, reporter allemande, vont éprouver la même fascination pour la présidente de l’événement, May de Caux. Cette Française au charme insolite cache une part d’ombre qu’ils vont bientôt découvrir : son passé de résistante et déportée qui la hante. De leur complicité grandissante va naître le projet d’un livre. / Pour Barbara, jeune femme d’une autre génération, pour l’indispensable transmission, May va consentir à raconter : Ravensbrück à dix-huit ans, la souffrance, les amitiés. Et l’après, le corps qui a perdu la mémoire de la tendresse. Ce sera une enquête parmi les cendres et les traces d’une vie reconstruite. / Et puis, il y a le souvenir de cette rose cueillie à Ravensbrück, un éclat dans le gris funeste, la beauté au milieu de la monstruosité, à l’origine de sa renaissance. / Le livre s’appellera La Douceur. » (Quatrième de couverture de La douceur, roman d’Étienne de Montety, éditions Stock, 2023. On vient d’en lire le texte de présentation complet.)

La préposition de est fâcheusement omise devant déportée. Et est-ce que vraiment on « découvre » la part d’ombre de quelqu’un ? L’ombre, est-ce quelque chose qu’on découvre ? Je vois là un cliché qu’un Montety aurait dû nous épargner. Sans doute n’a-t-il pas écrit ce texte lui-même, mais l’éditeur a bien dû le lui donner à relire… On s’attendait plutôt à trouver : « Cette Française au charme insolite cache une part d’ombre dont ils découvrent bientôt l’existence ».

Bien qu’un verbe soit au futur simple, les « va » et les « vont » du futur périphrastique sont omniprésents. L’auteur de ce texte met au futur tout événement relevant de l’ordre des péripéties (ce qui surgit) : « vont éprouver », « vont découvrir », « va naître », « va consentir », « ce sera » ; tandis que les faits qui durent (ce qui est permanent) s’inscrivent dans le système usuel du présent : « cache », « hante », « a perdu », « il y a ». D’où vient ce besoin de marquer par un futur tout surgissement de l’imprévu, toute rupture d’une situation stable ? Mettre au futur la péripétie, c’est ajouter au processus qui l’exprime une sorte de balise clignotante : on surexprime la rupture, on surligne la perturbation… au risque de faire interférer les faux futurs avec les vrais.

Tous ces verbes au futur auraient dû être mis au présent. Dans une narration au présent, le lecteur ou l’auditeur démêle intuitivement la trame des processus duratifs de la trame des péripéties. Allons plus loin : la façon dont l’auteur du texte de présentation de La douceur a réparti les temps verbaux entre le futur et le présent semble correspondre à la répartition des temps entre passé simple et imparfait qui s’est longtemps observée dans les narrations au passé…

Seul le verbe qui figure à la fin du texte, « s’appellera » (hélas mis pour : s’intitulera), est légitimement au futur. En effet, le mot douceur (titre du livre qu’écrivent Barbara et le héros-narrateur) n’est dévoilé que dans le dernier chapitre du roman. Ce mot désigne aussi la nature de la relation qui s’est nouée entre les deux journalistes.

 

À l’intérieur d’un livre :

« Dès lors qu’il a perdu tout espoir de fabriquer de l’or, il [Gilles de Rais] se tourne vers les sciences occultes, pratique la sorcellerie pour invoquer les esprits et, au cours de ces cérémonies rituelles, commence à pratiquer des sacrifices… Le cap est franchi, Gilles de Rais va vraisemblablement commettre des actes pédophiles et des infanticides au cours d’horribles débauches dont se rendent complices ses amis Gilles de Sillé et Roger de Briqueville. Grâce à un système de rabatteurs, les jeunes enfants des villages sont placés comme pages chez Gilles de Rais en échange de quelques pièces. Mais que se passe-t-il réellement derrière les hautes murailles des châteaux fortifiés ? Il se murmure, [sic] que pour satisfaire le baron [Gilles est baron de Rais], on lui sacrifie des cœurs d’enfants, des membres, des yeux…  / Une erreur va lui être fatale. Gilles de Rais devient un rebelle au regard de la loi. Voulant récupérer la châtellenie de Saint-Étienne-de-Mer-Morte qu’il avait vendue au trésorier du duc de Bretagne, Guillaume Le Ferron, Gilles va investir l’église le jour de la Pentecôte, le 15 mai 1440, en menaçant d’une hache le malheureux Jean Le Ferron, frère du trésorier, pour qu’il lui abandonne la forteresse. Non content de violer les privilèges de l’église [mis pour : de l’Église], Gilles de Rais vient de se rendre coupable d’insubordination envers son suzerain, le duc de Bretagne. » (Stéphane Bern, Secrets d’Histoire [volume 1], éditions Albin Michel, 2010, p. 51.)

Dès la deuxième phrase, on trouve « va commettre », qui est un futur intempestif. Par ce moyen, l’auteur insiste sur la rupture entre un avant et un après. Il nous place, en quelque sorte, dans une position de surplomb par rapport au destin de son personnage. Plus bas, la phrase « Une erreur va lui être fatale » est une prolepse de bon aloi. Mais il ne fallait pas mettre au futur la phrase qui suit (« va investir » – où, du reste, le verbe investir est employé à contresens), ni rétrograder brusquement vers le passé dans la dernière phrase de notre extrait (« vient de se rendre coupable »). Ces incohérences détruisent la continuité narrative et temporelle.

Voici un développement, formant un paragraphe complet, que j’emprunte à un excellent essai de Jean-Louis Bachelet sur la musique – livre de vulgarisation autant que de réflexion :

« Si le maître de Bayreuth a pu se démarquer des compositeurs de son temps, c’est qu’il place la question du Salut au centre de toute son œuvre. Question particulièrement épineuse à l’époque où l’Europe des philosophes, qui s’est affranchie du pouvoir de l’Église, n’en reste pas moins en quête d’éternité. Or, Wagner va précisément incarner en musique [= exprimer en langage musical] cette idée que le Salut vient de l’homme lui-même. Du strict point de vue musical, il va donc jouer sur les tensions provoquées par des dissonances répétées, voire assenées sur de longues portions de texte, avant de les “résoudre” en un torrent d’harmonies d’une envoûtante beauté. L’auditeur – plongé dans un chaos sonore fait essentiellement de ces accords de septième évoqués plus haut, chaos censé décrire la misère de l’homme – se trouve, en fin de concert, happé par une série d’accords parfaits qui incarnent l’avènement de l’homme nouveau régénéré par la grâce du héros providentiel, devenu surhomme par sa propre volonté. » (Jean-Louis Bachelet, Les codes secrets de la musique : Ce que les grands compositeurs nous révèlent et <ce qu’ils> nous cachent ; éditions Buchet-Chastel, 2022, p. 199. Les « accords de septième évoqués plus haut » sont les accords de septième diminuée, dont Wagner usait à la suite de Beethoven, de Schubert et des romantiques, et dont il avait même tendance à abuser.)

Pour souligner – ou pour dramatiser – la rupture qui se produit lorsque Wagner fait évoluer le langage musical de son temps, l’auteur ne peut s’empêcher de mettre sa phrase au futur périphrastique.

 

Dans les narrations qu’on écrit en vue de leur oralisation, comme dans celles qu’on improvise en public, on s’exprime assez vite au futur périphrastique (en y mêlant quelques occurrences de futur morphologique).

Voici quelques phrases entendues dans une vidéo de Christopher Lannes : « Napoléon coalise toute l’Europe. […] Sauf que les Russes, eux, ont décidé de jouer une stratégie à la russe, c’est-à-dire faire entrer l’ennemi au plus profond des terres de Russie. Les généraux russes vont donc battre en retraite perpétuellement, tout en dévastant tout sur leur passage […]. Ils [les Russes] vont livrer combat aux portes de Moscou […], lors de la bataille de Borodino, appelée aussi bataille de la Moskova. Il s’agira d’un énorme carnage […]. Malgré tout, cette bataille va-t-être [sic] remportée par les Français, qui seront maîtres du champ de bataille. Les Russes vont se replier, et ça va permettre à l’empereur d’entrer à Moscou. […] Sauf que, là aussi, l’empereur se trompait, et, après trois mois passés à Moscou, […] l’empereur décide de rebrousser chemin par le sud. […] Napoléon va donc tenter de se replier vers le sud, mais, là, l’armée russe, solidement installée, va l’empêcher de passer, et il sera obligé de reprendre les mêmes chemins [qu’à l’aller]. […] Ainsi, pendant de longs jours, de longues semaines, l’armée va battre en retraite dans des conditions chaotiques. » (« Fragments : la retraite de Russie », vidéo publiée sur YouTube en 2016.)

D’une part, ces extraits confirment le fait que le futur périphrastique et le futur morphologique sont substituables l’un à l’autre. Ils expriment la même nuance temporelle.

D’autre part, le futur n’est réellement utile dans aucune de ces phrases car aucune ne se laisse interpréter comme étant une anticipation.

 

Le texte qui suit offre un mélange inextricable de futur périphrastique et de verbes au passé, mélange analogue à celui que présentaient les textes cités à la fin du chapitre consacré aux emplois abusifs du futur simple :

« Ce jour-là, il [le moine-poète Ikkyu Sojun (1394-1481)] quitte son abri délabré près de la rivière […]. […] Seul, il s’enfonce dans les monts Hiei, au plus profond de la montagne. Les nuages blancs s’entassent sur les sommets, des traînées de brouillard s’étendent sur les vallées, çà et là il distingue, toutes petites, les huttes des montagnards. “À l’ouest l’on coupe du bois, et l’écho de l’est en renvoie le bruit, le son des cloches des monastères au fond de mon cœur éveille des résonances.” C’est le poète Bashô, apprenti du zen, qui deux siècles plus tard, [sic] se lançait lui aussi sur les routes : il était à la recherche d’une manière de vivre qui ferait de la vie une œuvre d’art. À partir de 1684, il [= Bashô] va consacrer les dix ans qui lui restent à des pérégrinations qu’il relate dans cinq carnets de notes. Ces journaux d’un poète, joints [c’est-à-dire quand on les joint] aux poèmes d’Ikkyu, donnent une idée des difficultés rencontrées par celui qui s’aventurait par monts et par vaux sur des chemins mal tracés, au gré de ses pèlerinages… » (Christine Jordis, Le nuage fou : Ikkyu, moine zen et poète rebelle ; éditions de l’Observatoire, 2023, p. 124-125.)

L’auteur – écrivons même : l’auteure (féminisation qui a, contrairement à autrice, le mérite d’inscrire le mot dans notre modernité puisque celle-ci admet aussi la professeure, la proviseure, la metteure en scène, etc.) – devrait savoir qu’on ne dit pas « les dix ans qui lui restent », mais : « les dix ans qui lui restent à vivre ». Pour empêcher la répétition du verbe vivre (« à la recherche d’une manière de vivre »… « les dix ans qui lui restent à vivre »), on ne peut pas se contenter d’en biffer l’une des occurrences : il faut aller plus loin dans la reformulation de l’une des deux phrases.

Christine Jordis interrompt la narration qu’elle est en train de faire de la vie du moine-poète Ikkyu Sojun, pour citer un passage des Journaux de voyage de Bashô (traduits du japonais par René Sieffert), parce que des paysages semblables à ceux traversés par Ikkyu Sojun y sont décrits – mais 250 ans plus tard – par Bashô. La citation est suivie de l’évocation d’une partie de la vie de ce dernier, évocation placée là pour révéler qui est l’auteur de ces lignes entre guillemets et pour indiquer dans quel contexte elles ont été écrites. Le portrait de Bashô commence à l’imparfait, ce temps ayant probablement été choisi parce qu’il s’harmonisait avec le caractère descriptif du fragment cité. L’abandon du présent de narration que l’auteure utilisait dans la narration principale fait de la digression consacrée à Bashô l’équivalent d’une note historique de bas de page. Bizarrement, la suite de ce portrait est mise au futur périphrastique. Sans transition, le récit de la vie de Bashô s’introduit ainsi dans la strate temporelle à laquelle appartient le récit de la vie d’Ikkyu, dont il semble même prolonger le cours.

Christine Jordis s’amuse, certes, à faire cheminer côte à côte les deux poètes, comme un cinéaste mêlant par surimpression deux prises de vues, mais l’incohérence dans la succession des temps verbaux est évidente. Pour y remédier, suffirait-il de mettre entièrement au futur la prolepse contenue dans notre extrait ? Ainsi nous lirions : « C’est le poète Bashô, apprenti du zen, qui deux siècles plus tard se lancera lui aussi sur les routes : il sera à la recherche d’une manière de vivre qui fasse de la vie une œuvre d’art. À partir de 1684, il consacrera les dix ans qui lui resteront à vivre à des pérégrinations qu’il relatera dans cinq carnets de notes. »

Dans ce cas, on ferait bien d’expliciter le rapport qu’il y a entre la citation et la tournure « c’est… qui… » placée juste après. Pour ce faire, ajoutons quelques mots à notre proposition : « Cette description sera écrite par le poète Bashô, apprenti du zen, qui deux siècles plus tard se lancera lui aussi sur les routes », etc.

Mais si l’on préfère conserver à la digression son caractère de note historique, en la laissant au passé, on peut remplacer « va consacrer » par « consacra » et harmoniser en conséquence les autres temps verbaux : « À partir de 1684, il consacra les dix ans qui lui restaient à vivre à des pérégrinations qu’il relata dans cinq carnets de notes. » La phrase qui précède celle-ci ne demande alors plus aucun changement : l’imparfait qu’on y trouve suffit pour laisser entendre que Bashô est l’auteur de la description de paysage citée entre guillemets, et qu’il décrit ce paysage pour l’avoir parcouru.

 

Maintenant que le futur périphrastique est devenu plus courant que le futur morphologique, il y a des écrivains qui, en mettant au futur simple les phrases que d’autres mettraient au futur périphrastique, pensent employer un temps plus légitime, plus classique, plus châtié.

Certains vidéoblogueurs prononcent, face caméra, un texte qui a été écrit avec soin. Quoique leur texte soit rarement exempt de maladresses syntaxiques, ils l’articulent sans la moindre hésitation ni le moindre lapsus. Regardez les vidéos de la chaîne Chronik Fiction, écrites et réalisées par les Français Mike Zonnenberg et Fabio Soares. On y voit leur porte-parole – autrefois le Coroner (interprété par Stefan Godin), plus récemment l’Avocat (interprété par Jean-Luc Guizonne) – analyser un film, en commenter les images ou les dialogues, sur un ton pénétré, parfois sentencieux. Alors que le Coroner avait plutôt tendance à s’exprimer au futur périphrastique, l’Avocat privilégie le futur morphologique.

Les lignes suivantes sont tirées d’une des vidéos du cycle de l’Avocat. Quand ce personnage-commentateur se met à résumer l’intrigue de Whiplash de Damien Chazelle, le futur devient envahissant : « Le film met en scène Andrew Neiman, un jeune batteur de jazz ambitieux et perfectionniste. Étudiant dans un grand conservatoire new-yorkais, Andrew rêve de rejoindre la classe la plus prestigieuse de l’établissement, dirigée par Terence Fletcher. En répétant, un soir, il attire l’attention du chef d’orchestre [= ledit Fletcher] – un chef d’orchestre qui sera également son bourreau. […] À la recherche du nouveau génie du jazz parmi ses étudiants, le chef d’orchestre poussera à bout ses musiciens afin d’en tirer le meilleur. [C’est-à-dire : afin d’obtenir d’eux le meilleur de ce qu’ils peuvent donner.] […] Prêt à tout pour réussir, le jeune batteur se mettra à dos sa famille, quittera sans scrupules sa petite amie et ira même jusqu’à trahir un camarade afin de lui [sic] prendre sa place. Des actes forts, qui montrent à quel point Andrew était prêt à se battre. […] Face à un tel adversaire, Fletcher redoublera de cruauté. Poussé dans ses retranchements, Fletcher utilisera toutes les armes à sa disposition – jet d’instrument, insultes, violence psychologique – mais son arme favorite restera ses répliques, de véritables uppercuts qui feront vaciller Andrew. On assiste alors à un combat entre deux génies, où chaque coup assomme et laisse le spectateur sans voix [sic, au lieu de : assomme le spectateur et le laisse sans voix]. Un combat où la victoire se jouera au dernier round. L’affrontement trouvera son apogée dans la scène finale… » (Mike Zonnenberg et Fabio Soares, « Le méchant le plus SADIQUE du cinéma ! », vidéo publiée le 20 février 2021.) Or c’est seulement dans « sera également son bourreau » que le futur exprime une véritable anticipation.

 

Ayant oublié que l’emploi abusif du futur périphrastique était né d’une volonté de faire acte de résistance contre une tendance plus ancienne de narration au futur morphologique, certains recommencent à abuser de ce dernier. Ce qui leur échappe encore et toujours, c’est que la meilleure façon de reconquérir le terrain que nous avons cédé au futur périphrastique consiste à revenir à un usage réfléchi et maîtrisé du présent de narration.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

S
Merci pour vos nouveaux articles. C'est toujours un réel plaisir de vous lire : l'attente en vaut la peine. S'il vous plaît, continuez !
Répondre