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11 mars 2023 6 11 /03 /mars /2023 11:00

Beaucoup de gens croient sans doute faire acte de résistance contre la tendance à narrer au futur quand ils utilisent la construction « vais/vas/va/allons/allez/vont + infinitif ».

Or ce choix n’arrange rien ! Car la construction qui fait du verbe aller un semi-auxiliaire est aussi une forme de futur. Elle est appelée futur périphrastique, parce que l’ensemble soudé que forment le semi-auxiliaire et l’infinitif constituent une périphrase verbale. « Va + infinitif » n’est nullement une forme particulière du présent.

Bien sûr, on se gardera de confondre le semi-auxiliaire aller (qu’on fait suivre d’un verbe à l’infinitif) avec le verbe aller utilisé en son sens propre pour exprimer un déplacement dans l’espace.

La ressemblance que le futur périphrastique offre avec le présent peut inciter à l’employer de préférence au futur morphologique (celui qu’on trouve dans les tableaux de conjugaison). Le locuteur s’imagine que, dans un tissu d’énoncés faits au présent, les phrases à semi-auxiliaire aller s’intègrent avec plus de discrétion que des phrases qui auraient leur verbe franchement mis au futur simple de l’indicatif. Mais c’est pure illusion. L’un et l’autre futur, le morphologique et le périphrastique, suggèrent que les faits sont encore à venir : le lecteur ou l’auditeur à qui ils sont annoncés doit s’attendre à les voir surgir. Il a peut-être l’illusion fugace d’assister à une accélération du temps – mais le principal inconvénient du procédé, la rupture avec la continuité chronologique, se fait assez vite sentir.

Admettons qu’on puisse éprouver un certain plaisir à se sentir happé par ce flou temporel : il suffit que les énoncés au futur s’accumulent dans un même paragraphe pour que la délectation se mue en ennui.

Néanmoins, pour la personne qui parle, le recours au futur permet de se reposer l’esprit pendant une partie de sa narration. Pendant quelques instants, elle se concentre davantage sur la restitution des faits que sur la syntaxe des phrases, puisque le futur morphologique est assez facile à conjuguer et qu’on peut sans effort enchâsser n’importe quel verbe dans la construction périphrastique. C’est un secours dont bien des gens n’oseraient se priver.

D’autre part, les grammairiens ont tort de définir le futur périphrastique comme étant un « futur proche ». La différence entre le futur morphologique et le futur périphrastique n’est pas une opposition entre l’expression d’un avenir lointain et l’expression d’un avenir proche : c’est que le futur périphrastique non seulement est plus facile à « conjuguer » mais paraît plus feutré, plus indéfinissable, que le futur morphologique.

 

De nos deux futurs, le périphrastique est celui qui vient le plus spontanément aux lèvres. Il apparaît dans presque toutes les vidéos consacrées à des films, à des romans, à des œuvres musicales ou à des bandes dessinées. Le commentateur aura des phrases au futur même pour raconter la création ou la fabrication d’une œuvre : « Le film va utiliser la musique de Jean-Sébastien Bach », « Mel Gibson va nous montrer des flash-back », « Carpenter va réécrire une grosse partie du scénario… Il va placer l’histoire à Santa Fe, au Nouveau-Mexique, ce qui fait de son film le plus proche du western jamais fait par lui, visuellement parlant… », etc.

À l’oral, tout entretien entre un écrivain et son interlocuteur (libraire, médiateur culturel, journaliste, présentateur…) commence au présent mais dérive assez rapidement vers le futur – presque toujours vers le périphrastique. Le public assiste alors à trente minutes (voire plus) de discussion pendant lesquelles la plupart des phrases échangées ont pour noyau verbal un « va » ou un « vont ». L’auteur (homme ou femme) résume telle ou telle partie du roman avant d’en faire l’exégèse, la personne chargée de poser les questions en résume à son tour quelque épisode, tous deux reconstituent ensemble les comportements ou les réactions de tel ou tel personnage, et toujours au futur et sur le ton du plus grand sérieux.

Bizarrement, les gens qui s’efforcent d’éviter les répétitions de mots ne semblent pas troublés par la répétition du semi-auxiliaire « va/vont ». Pourtant, dès qu’on prend conscience de sa présence, on n’entend plus que lui. Hélas, la personne qui en prend conscience est bien souvent le spectateur ou l’auditeur, tandis que l’écrivain et son interlocuteur (ou interlocutrice) continuent imperturbablement leur dialogue au futur.

Il est étrange qu’un historien ou un professeur d’histoire qui raconte un événement passé le fasse en utilisant le futur : « Colbert va encourager l’académie royale de sculpture et de peinture, il va être à l’origine de la création d’un grand nombre de compagnies commerciales », etc. Il est illogique de transformer le passé en une sorte de prophétie.

On observe cette même mise au futur lorsqu’un journaliste raconte un événement ancien ou actuel, notamment lorsqu’il commente des images : « Le parlement va voter la confiance… Les manifestants vont se retrouver… Les événements vont se produire… Les policiers vont ouvrir le feu… Les choses vont se terminer… » Mais j’ai expliqué plus haut comment l’engouement pour le récit audiovisuel avait contribué à la diffusion et à l’implantation du « futur de narration » dans la langue commune.

 

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