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4 novembre 2023 6 04 /11 /novembre /2023 10:49

Le préfixe sur- ne devrait s’employer que dans un contexte où se justifie la nuance plus ou moins péjorative qu’il renferme – ayant pour sens : en excès. Le nom surenchère, dans son emploi figuré, est clairement péjoratif.

Autre exemple : le verbe surentraîner, probablement calqué sur le verbe anglais to overtrain. Voici la définition qu’en donne le Trésor de la langue française : Entraîner d’une manière excessive (un cheval de course ou un athlète).

« Mon grand Fantec, / Tu as trop peur de ton examen. Je t’assure que tu exagères et qu’il ne faut pas y penser comme tu fais. Je te donne ce conseil sportif. Il ne faut pas arriver à être surentraîné, c’est-à-dire qu’il y a une limite au delà de laquelle on se claque. » (Jules Renard, en 1905, dans Correspondance 1864-1910, éditions Flammarion, p. 310.)

« Ram m’apparut sombre, peu sûr de lui […] ; il se mit au travail avec fatigue, visiblement surentraîné, bien qu’il n’appuyât pas les coups. » (Paul Morand, Champions du monde, éditions Grasset, 1930, p. 118-119.) La nuance péjorative de l’adjectif surentraîné est révélée par la présence du complément circonstanciel : « avec fatigue ».

Mais aujourd’hui :

« James savait que les mois passés à se faire corriger par les ceintures noires de CHERUB allaient enfin porter leurs fruits. Face à un agent surentraîné [= lui-même, James Adams], ces deux amateurs n’avaient aucune chance. » (Robert Muchamore, Cherub, Mission 1 : 100 jours en enfer ; traduit de l’anglais par Antoine Pinchot, éditions Casterman, 2007 ; réédition au format de poche, p. 301.)

« Ian Rider était un agent de terrain, surentraîné et très courageux », dit Alan Blunt, directeur du Service des opérations spéciales du MI 6, à Alex Rider dans Stormbreaker (Anthony Horowitz, Stormbreaker, première aventure d’Alex Rider, traduction d’Annick Le Goyat, éditions Hachette, 2001 ; réédition dans le Livre de Poche jeunesse, p. 46).

Dans ces deux derniers passages, on pouvait simplement écrire : bien entraîné.

Et que penser d’une publicité vantant les qualités d’une voiture « suréquipée » ? « Toyota Yaris Millenium Diesel suréquipée à 10 990 € »… Nous voyons là le résultat d’une sotte confusion entre sur- et super-. Ce dernier préfixe indique seulement que ce dont on parle est « au-dessus du commun », « au-dessus de la moyenne ».

Il serait moins absurde de parler d’un agent superentraîné (voire hyperentraîné) que d’un agent « surentraîné ».

Car dire qu’une voiture a été équipée à outrance, qu’un homme s’est entraîné à outrance, est-ce en faire l’éloge ?

« Les douze soldats présents à bord étaient des agents de la CIA, surarmés et prêts à envahir l’île. » (Annick Le Goyat traduisant Anthony Horowitz, Arkange, sixième aventure d’Alex Rider, éditions Hachette, 2005 ; réédition dans le Livre de Poche jeunesse, p. 268.) Surarmés… comme des criminels qui s’attaqueraient à plus faible qu’eux ? La nuance péjorative ne semble pas avoir été voulue par l’auteur.

« Les forces chinoises SWAT (Special Weapons and Tactics), sont des troupes d’élite de la police auxquelles fut confiée la sécurité des JO de Pékin. Leur tenue de combat comporte un gilet pare-balles, un casque couvrant, et ils [sic] sont surarmés. » (Sandrine Couprie-Verspieren, Les costumes du monde expliqués aux enfants ; éditions de la Martinière, 2009-2016 ; p. 39.) En français courant cela se dit : lourdement armés. De plus il y a une virgule intempestive après la parenthèse fermante, qui aurait mieux fait d’apparaître avant le relatif « auxquelles ». Cela fait beaucoup de bourdes en quatre lignes.

On utilise, de même, l’adjectif surdiplômé pour qualifier les personnes qui ont atteint un niveau d’études élevé, voire très élevé, sans jugement péjoratif : « Je ne suis pas surdiplomé mais j’adore les maths. » (Extrait d’une petite annonce.) « Le bogoss surdiplomé Thomas Pesquet [célèbre spationaute français] va sortir son autobiographie. » « Un jeune surdiplomé, obligé de faire un job qui le gave, veut tout quitter pour enfin vivre sa vie. » Ces individus qu’on qualifie ou qui se qualifient de surdiplômés sont-ils titulaires de diplômes trop nombreux, ou trop élevés, par rapport au niveau exigé par l’employeur qui les a recrutés ou par rapport aux besoins de la profession qu’ils exercent ? Manifestement non.

Entre parenthèses : on notera que, dans la plupart de ces phrases, lues sur Internet, l’accent circonflexe est omis, alors qu’il se voit maintenu dans diplôme. Ça fait penser au cas de fantôme et fantomatique.

Indépendamment de la question orthographique, les auteurs de ces phrases auraient mieux fait de parler de personnes hautement diplômées.

En outre, quand on a été admis à un concours, il est normal d’être « surdiplômé ». La concurrence entre candidats de haut niveau fait que ceux qui le réussissent ont généralement atteint un niveau de diplômes supérieur à celui qui était requis pour s’y présenter (et auquel le concours correspond officiellement).

Néanmoins, il est possible d’employer cet adjectif sans trahir le sens du préfixe sur- : « Attention toutefois, car si vous êtes surdiplomé, cela peut vous renvoyer plutôt vers des postes d’encadrement, ce qui n’est pas forcément votre souhait. » « Tu es certainement surdiplomé par rapport aux tâches dévolues à ton grade. » « Ce nouveau travail correspond un peu mieux à mes capacités, même si certes je parais toujours surdiplomé pour le faire. » (Autres phrases relevées sur Internet.)

Les auteurs qui font à certaines personnes l’hommage de les déclarer surdiplômées négligent souvent de préciser le domaine ou le champ de connaissances dans lequel les hauts diplômes ont été obtenus. Or il y a des gens qui ne sont surdiplômés par rapport à l’emploi qu’ils ont fini par obtenir que parce qu’ils s’étaient spécialisés dans un champ intellectuel pointu ou qu’ils s’étaient voués à un cursus aux débouchés professionnels incertains…

Dans le même contexte on dit aussi : surqualifié. Contrairement à ce qu’ils font souvent de l’adjectif surdiplômé, nos contemporains emploient à bon escient les mots surqualifié (« Il ne sert à rien de postuler à des emplois que vous n’obtiendrez pas parce que vous êtes surqualifié ») et surqualification (« On constate une certaine surqualification des femmes par rapport aux fonctions qu’elles occupent »). Le préfixe sur- y conserve son sens précis.

 

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