Quoi est le seul pronom relatif avec lequel on peut renvoyer à la locution quelque chose.
Il faut dire : quelque chose à quoi on n’avait jamais pensé, et non pas : « quelque chose auquel on n’avait jamais pensé » (ni : « quelque chose à laquelle… »). Le français exprime souvent le neutre par la forme masculine du pronom personnel, mais lorsqu’une subordonnée relative dépend d’un nom neutre le français dispose, pour l’introduire, du pronom quoi. Or la locution pronominale indéfinie quelque chose est de genre neutre.
Quelque chose à quoi on s’est habitué.
Quelque chose à quoi on doit faire attention. (La question avait été rapidement évoquée dans Autres vices de la fabrication des propositions relatives.)
Et pourtant :
« – […] Une fois ado, je leur ai annoncé [à mes parents méthodistes] que je trouvais cette histoire de Christ tirée par les cheveux. Je ne voulais pas continuer à faire semblant de croire à quelque chose auquel je ne croyais pas. » (Catherine Gibert traduisant la romancière américaine Lionel Shriver, Quatre heures, vingt-deux minutes et dix-huit secondes, éditions Belfond, 2021, p. 208.) Il eût été judicieux de ne pas faire de la locution quelque chose un masculin.
« Il y a des objets dont on se sert pour faire quelque chose à laquelle personne n’avait jamais pensé. » (Anne-Flore Durand traduisant du portugais un texte de José Maria Vieira Mendes, À quoi ça sert ? ; album pour enfants illustré par Madalena Matoso ; éditions Gallimard, 2021, p. 22 – non numérotée.) Il eût été judicieux de ne pas faire de la locution quelque chose un féminin.
« Dans tout cela il y a quelque chose à laquelle nous n’avons pas pensé. » (Tif prononce cette phrase parce qu’il a deviné comment M. Choc avait fait pour s’emparer, au nez et à la barbe des policiers qui cernaient la place de la Concorde, de la valise contenant la rançon de deux tableaux volés au Louvre. Maurice Rosy et Will, Choc au Louvre, album Tif et Tondu n° 9, éditions Dupuis, 1964, planche 39.)
« L’abus sexuel est quelque chose contre lequel il faut se battre. » (Déclaration de Daniel Cohn-Bendit rapportée dans Libération le 23 février 2001.)
Il en est de même avec le pronom démonstratif neutre ce. « Leur aveu n’est pas ce auquel je m’attendais » ? Non : ce à quoi… « Ce n’est pas ce auquel je pensais » ? Non : ce à quoi… « Ce auquel nous assistons aujourd’hui est… » ? Non : « Ce à quoi nous assistons aujourd’hui est une conséquence des mécanismes fondamentaux du système. »
On entend parfois : « C’est ça auquel… », dans des phrases telles que : « C’est ça auquel on ne réfléchit pas assez ! » « C’est ça auquel les scientifiques se heurtent ! »… Il faudrait au moins dire : « C’est ça à quoi les scientifiques se heurtent » ; mais on s’exprime beaucoup mieux en disant : « C’est à cela que les scientifiques se heurtent. »
Il en va de même avec le pronom rien. Lui aussi exige d’être repris par ce relatif neutre : « Alors qu’il s’était vu retirer peu à peu ses troupes, ses chevaux, puis son influence sur la marche du monde, Makhno n’avait désormais plus rien que son passé glorieux auquel se raccrocher. » (Mikaël Hirsch, L’assassinat de Joseph Kessel, roman, éditions Serge Safran, 2021, p. 29.) Écrivez : « Makhno n’avait désormais plus rien que son passé glorieux à quoi se raccrocher. » Le véritable antécédent du pronom relatif est le mot rien et non pas le groupe « passé glorieux ». (Mikaël Hirsch a trouvé un sujet en or, mais son texte est plein de lourdeurs, de solécismes, de fautes grossières. Le suivi éditorial semble avoir été négligé.)
En revanche, le choix d’auquel est parfait dans le dialogue suivant : « – On devrait faire quelque chose, ai-je dit. / – Est-ce que ce quelque chose pourrait être : jouer à un jeu vidéo d’aveugle [le locuteur, Isaac, est aveugle] sur le canapé ? / – C’est exactement le genre de quelque chose auquel je pensais. » (Catherine Gibert traduisant John Green, Nos étoiles contraires, éditions Nathan, 2013 ; en collection Pocket Jeunesse, p. 331.) Auquel a ici pour antécédent le nom genre et non la locution quelque chose.
D’autre part, on ne fait pas suivre d’une virgule le pronom quoi lorsqu’il est inclus dans une locution prépositionnelle, même si cette locution figure en tête de phrase :
À la suite de quoi il…
Après quoi elle…
De même, l’archaïsme courant auquel cas (locution où l’antécédent du pronom relatif est incorporé à la subordonnée relative) n’est pas suivi de virgule : « Ce caractère [le caractère ­] est invisible jusqu’à ce qu’une césure soit réellement pratiquée, auquel cas il apparaît comme un trait d’union. » Il convient, après auquel cas, de ne mettre ni virgule à l’écrit (sauf présence d’un complément circonstanciel) ni pause à l’oral.
Un passage du Petit Poucet de Charles Perrault doit-il nous faire douter du bien-fondé de ces règles ? La plupart des éditions actuelles donnent le texte suivant, où apparaît une virgule superflue : « Il y avait dans la même chambre un autre lit de la même grandeur : ce fut dans ce lit que la femme de l’Ogre mit coucher les sept petits garçons ; après quoi, elle s’alla coucher elle-même dans son lit. » Mais cette virgule ne figurait pas dans l’originale de 1697 : « Il y avoit dans la même Chambre un autre lit de la même grandeur [:] ce fut dans ce lit que la femme de l’Ogre mit coucher les sept petits garçons, aprés quoi elle s’alla coucher auprés de son mary. » (« Le petit Poucet », dans Histoires ou Contes du temps passé. Avec des moralitez ; à Paris, chez Claude Barbin ; 1697. La ponctuation manque après grandeur, l’imprimeur ayant placé trop de mots sur la ligne typographique.)
Les éditions suivantes, jusqu’à la fin des années 1860, rétablissaient après grandeur soit un double point soit un point-virgule ; elles ôtaient les majuscules qui avaient été mises aux mots chambre et ogre, et remplaçaient mary par mari ; on voyait parfois la graphie « septs » remplacer sept, mais aucune de ces éditions ne présentait une virgule entre quoi et elle. En revanche, la virgule intempestive est dans toutes les éditions des années 1870-1880.
Quant à Huysmans, ce merveilleux styliste, soit il n’était pas une flèche en orthographe, soit son texte a été défiguré par une coquille dès l’originale de 1879 : « À quoi, toutes ces appétences, toutes ces ardeurs l’avaient-elles mené ? aux ennuis sans nombre d’une liaison chaste, aux avanies, aux douleurs d’une passion exaltée par les obstacles, refoulée, affaiblie et comme usée par un heurt quotidien, par un frottement continu des caractères. » (J.-K. Huysmans, Les sœurs Vatard, chapitre XVII.) La virgule intempestive mise après le pronom relatif complexe à quoi s’est conservée jusque dans l’actuelle Pléiade (Huysmans, Romans et nouvelles, 2019, p. 213).
Ceux qui ont commencé à douter, ce sont les auteurs ou les imprimeurs de la fin du XIXe siècle.
Enfin, il peut arriver qu’on renvoie à la locution quelque chose au moyen d’un pronom personnel :
« Voir […] D. SEDLEY, “The Phaedo’s Final Proof of Immortality” […], qui considère que l’argument [de Straton] porte principalement sur la logique de l’énoncé [de Socrate] puisqu’il ne serait pas nécessaire que quelque chose existe encore pour qu’elle soit qualifiée de vivante. » (Paulin Ismard, Le miroir d’Œdipe : Penser l’esclavage ; éditions du Seuil, 2023, p. 199 ; extrait de la note 50 du chapitre 6.) Paulin Ismard résume ici un article dans lequel David Sedley analyse un argument émis par Straton de Lampsaque contre la thèse socratico-platonicienne de l’immortalité de l’âme, argument selon lequel l’âme est immortelle (athanatos) tant qu’elle existe mais que son immortalité n’implique pas qu’elle soit indestructible ou impérissable (anôlethros). « Rien ne saurait exclure en effet », écrit Ismard (Le miroir d’Œdipe, p. 146), « qu’une âme, soumise à des naissances et à des morts successives, finisse par ne plus être. » Oui, c’est subtil.
Mais dans sa note 50, pour renvoyer à la locution quelque chose, Paulin Ismard aurait dû employer le pronom personnel il, qui aurait été du neutre, et non le pronom elle. Et, mieux encore, mettre la dernière subordonnée à la voix active : « il ne serait pas nécessaire que quelque chose existe encore pour qu’on le qualifie de vivant ».