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23 septembre 2017 6 23 /09 /septembre /2017 10:36

Une vingtaine de clients…

La totalité des joueurs…

La majorité des communes…

Une minorité d’enfants

Pourquoi ce détour par l’abstraction ? Certes, il y a des cas où le détour correspond exactement à la pensée du locuteur ou du scripteur, mais le plus souvent nous employons ces formules quand nous voulions dire : vingt clients, tous les joueurs, beaucoup de communes, quelques enfants, peu d’enfants, etc.

 

Un passage de Maupassant m’est revenu à l’esprit et m’a permis d’entrevoir la cause du phénomène :

« Ceux qui font aujourd’hui des images, sans prendre garde aux termes abstraits, ceux qui font tomber la grêle ou la pluie sur la propreté des vitres, peuvent aussi jeter des pierres à la simplicité de leurs confrères ! Elles frapperont peut-être les confrères, qui ont un corps, mais n’atteindront jamais la simplicité, qui n’en a pas. » (Maupassant, préface de Pierre et Jean.)

Par ces exemples narquois, Maupassant dénonçait un trait de préciosité dont abusaient certains de ses confrères. Or la raillerie lucide n’a pas suffi. Ce tour précieux, qui boursouflait le style d’une poignée de littérateurs, s’est diffusé au bout d’un siècle dans la langue de toute la population. La préciosité et l’hypercorrection finissent toujours par l’emporter sur la simplicité et le naturel.

La même tendance nous fait éviter les verbes au profit de noms d’action et de substantifs abstraits (voir « La langue française, ce sont les verbes »).

 

De fait, les Français ont si peu et si mal étudié la grammaire au cours de leur scolarité qu’ils méconnaissent les logiques élémentaires qui gouvernent notre langue. Ce manque de formation rend nos compatriotes timides et influençables. Toute façon de parler défectueuse entendue à la télévision ou lue dans un magazine nous fait oublier en quelques secondes les leçons que nous avions reçues en entendant parler nos parents et nos grands-parents ou en lisant les classiques.

« En philologie, les grammairiens du temps [c’est-à-dire : du XVIIIe siècle] s’amusaient à montrer l’inconséquence, les fautes du langage, tel que le peuple l’a fait, et à corriger les écarts de l’usage par la raison logique, sans s’apercevoir que les tours qu’ils voulaient supprimer étaient plus logiques, plus clairs, plus faciles que ceux qu’ils voulaient y substituer. » (Ernest Renan, L’Avenir de la science : Pensées de 1848 ; éditions Calmann-Lévy, 1890.)

Il en est de même au XXIe siècle. Les demi-savants imposent des accords absurdes à leurs élèves ou au grand public : par exemple la plupart + verbe au singulier, une vingtaine + verbe au singulier, etc. On favorise ainsi l’hypercorrection. Les mêmes demi-savants croient devoir faire la chasse aux formes d’être et d’avoir, et ne parviennent qu’à créer des béances syntaxiques à l’intérieur des phrases ; ils s’ingénient à remplacer faire par des synonymes qu’ils jugent plus « explicites » ou plus « expressifs », et fabriquent un langage lourd et encombré.

Or les gens du « peuple » savaient très bien parler lorsqu’ils mettaient spontanément le verbe au pluriel après la plupart. Si les Français font certaines fautes par ignorance de la grammaire, ils en font beaucoup d’autres par un désir mal éclairé de correction.

 

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commentaires

G
Bonjour. Je n'ai pas bien compris l'abstraction dans les exemples de départ ; est-ce le fait de l'emploi de noms ? Ces locutions n'ont-elle pas tendance à fonctionner comme des déterminants en plusieurs mots (comme semble l'attester l'accord par syllepse qui les suit généralement) ?
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G
En effet. Je me demande si ces détours ne relèvent pas d'une fausse élégance, d'une certaine hypercorrection de mauvais aloi, dans laquelle, comme souvent, les locuteurs finissent par se prendre les pattes !
F
Cher Gildas, je vois ce que vous voulez dire. Peut-être ai-je fait un parallèle abusif.<br /> Néanmoins je trouve que nous avons trop tendance à contourner la formulation précise, quelle qu’elle soit, au profit d’une construction abstraite, difficile à manier, dont ensuite nous ne savons que faire (l’accord erroné du verbe avec le premier nom, devenu courant, ne serait que l’effet de notre confusion).