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1 novembre 2017 3 01 /11 /novembre /2017 11:36

« Une partie d’entre eux a… »

« Une partie d’entre eux est… »

« Une partie des experts prédit un retour à la croissance. »

« Une partie des habitants a réussi à vaincre sa peur. »

« L’été, une grande partie de nos collaborateurs peut se consacrer à sa famille. »

 

Telle est la néolangue française.

Ce singulier abusif fausse le sens des phrases. En effet, tout le monde comprendra qu’entre les deux énoncés : « Une partie des organismes se défendent mal » et « Une partie des organismes se défend mal », il existe une importante différence de sens. Pourtant nos contemporains s’obstinent à employer le singulier même lorsqu’ils conçoivent une pluralité d’individus. Ils ont oublié que, dans bien des cas, la grammaire permet ou impose d’accorder le verbe avec le complément d’un nom, bien que le nom complété soit placé en position de sujet grammatical.

Nous devrions invoquer ici (comme on le fait dans l’analyse des propositions comportant un verbe impersonnel) l’opposition classique entre un sujet apparent et un sujet réel : partie serait le sujet apparent, eux/experts/habitants/collaborateurs… serait le sujet réel. L’accord se fait avec le sujet réel.

Parfois, comme dans les exemples cités plus haut, le groupe partie + complément au pluriel (suivi d’un verbe au singulier) se voit repris par un adjectif possessif au singulier : « sa peur », « sa famille ». La cohérence n’est qu’apparente, la faute de français est bien réelle. Mais parfois cet adjectif possessif se trouve mis au pluriel et nous entendons : « Une partie des habitants a réussi à vaincre leur peur » (comprenez : leur propre peur) ; « Une partie de nos collaborateurs peut se consacrer à leur famille » (comprenez : à leur propre famille). Si la suite du texte nécessite la reprise du groupe sujet par un pronom personnel, le pronom pluriel ils ou le elles apparaîtra tout naturellement : « Une partie des femmes est prête à se contenter d’un emploi moins bien rémunéré qu’elles ne le souhaiteraient. » L’incohérence devient flagrante, la faute de français hurle sur la page.

La première chose à savoir est que, dans cette périphrase, le nom partie n’est pratiquement jamais le donneur d’accord, car les phrases du type : « Une partie des organismes se défend mal » sont rares.

Lorsque vous avez employé le syntagme « une partie de (+ nom pluriel) » et que le sens de l’énoncé vous amène à lui substituer ensuite un pronom personnel au pluriel ou à le mettre en relation avec un adjectif possessif au pluriel, vous pouvez être sûr que le nom partie n’est pas le véritable donneur d’accord.

 

La faute s’est largement répandue.

« Il y a également [= à côté du flux régulier des “migrants économiques”] des immigrés qui fuient des catastrophes naturelles, des persécutions, la guerre et autres exactions […]. On parle alors de “migrants humanitaires”. À la différence des autres migrants, une partie de ceux-ci bénéficie du statut de réfugié, défini par la Convention de 1951, qui fait de leur accueil une obligation en [sic] droit international. » (Emmanuelle Auriol, Pour en finir avec les mafias ;  sous-titré : Sexe, drogue, clandestins : si on légalisait ? ; éditions Armand Colin, 2016, p. 115.) Une partie de ceux-ci bénéficient du statut de réfugiés.

« Le film de Louis Malle [= Lacombe Lucien], qui rassemble plus de quatre cent mille spectateurs en trois semaines dans les premiers mois de 1974, prend l’allure d’un phénomène de société qui [sic] rencontre les interrogations individuelles et collectives. Si le film commence par être un grand succès critique, une partie des journalistes comprend avant tout cette histoire comme une parabole de la relativité des engagements. Pour la critique d’extrême gauche, le film, en gommant l’idéologie, tendrait à déresponsabiliser les fascistes. » (Olivier Rocheteau, agrégé de lettres modernes, a écrit ces lignes dans le « dossier » qui fait suite au texte intégral du scénario de Louis Malle et Patrick Modiano, Lacombe Lucien ; éditions Gallimard, collection Folioplus-classiques, 2008, p. 148.)

« L’Europe de 1880 à 1900 est à son apogée. Elle domine le monde. Elle est en pleine explosion industrielle et démographique. Pourtant, une bonne partie des artistes évoque une atmosphère cré­pusculaire, une fin de civilisation, la dégénérescence des valeurs et des corps. » (Pierre Jourde, Géographie intérieure, abécédaire, à l’entrée « Mastroianni (et glam rock) » ; éditions Grasset, collection Vingt-six, 2015, p. 142.)

« Aujourd’hui, une partie des musulmans de France manifeste son opposition au terrorisme pour montrer qu’ils sont de bons Français et afficher leur “francité” de manière plus forte. » (Lu dans Causeur en juillet 2016.) Manifestent leur opposition.

La conférence que Michel Houellebecq a donnée en Argentine est d’un intérêt exceptionnel (conférence qui a eu lieu au Pôle scientifique et technologique de Buenos Aires, non pas en janvier 2017, comme l’ont écrit les journaux qui en ont parlé, mais en novembre 2016). La voix de l’orateur est parfois hésitante, sa syntaxe mal assurée. Un fait historique déconcertant, ou peu souvent rappelé, se trouve énoncé de la façon suivante :

« Parce que le fait est que la Seconde Guerre mondiale a très profondément discrédité les intellectuels de droite. Pour être honnête, c’était un peu injuste, parce qu’une partie des intellectuels de droite non seulement n’a pas collaboré mais a même résisté. C’est-à-dire qu’ils ont… ils auraient pu être attirés par un régime autoritaire mais le patriotisme français, chez beaucoup d’entre eux, a été le plus fort. » (Allez à la 21e minute de la vidéo publiée sur YouTube.)

Il aurait fallu : « … car une partie de ceux-ci non seulement n’ont pas collaboré mais ont même résisté. »

 

[Ajout de 2018.]

Parfois les fautes se cumulent :

« C’est désormais la norme : une partie des cadeaux reçus est immédiatement remis [sic] en vente sur eBay, Rakuten France ou ParuVendu. » (Lu sur le site de Livres Hebdo, mercredi 26 décembre 2018.)

 

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