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4 août 2016 4 04 /08 /août /2016 10:52

Les bons auteurs semblent avoir admis l’existence d’une nuance sémantique entre un avant que suivi de ne et un avant que non suivi de ne. Dans « Le Rebelle », sublime sonnet de Baudelaire, nous lisons, nous entendons :

« Tel est l’Amour ! Avant que ton cœur ne se blase, / À la gloire de Dieu rallume ton extase ; / C’est la Volupté vraie aux durables appas ! »

Baudelaire lui-même aura fait suivre avant que d’un ne explétif. Mais ce qui justifie la présence de ce ne explétif au sein d’une proposition subordonnée introduite par avant que, c’est que celle-ci comporte une nuance de crainte. « Avant que ton cœur ne se blase », en l’occurrence, signifie presque exactement : « De peur que ton cœur ne se blase »…

Parmi les phrases de Benacquista que j’ai citées naguère (Le destin du « ne » explétif), il y en a une dans laquelle cette nuance de crainte est perceptible : « Le plus jeune des deux inspecteurs […] proposa une hypothèse avant qu’on ne la lui vole. » (Benacquista, Saga, Folio, p. 15.)

Nous sommes dans un appartement luxueux, un cadavre de femme est allongé sur le parquet. Deux inspecteurs sont arrivés sur les lieux, accompagnés d’un technicien de l’Identification criminelle, qui est chargé de prendre des photos. Le jeune inspecteur se hâte de donner son interprétation des indices, parce qu’il sait que l’inspecteur principal a déjà dit l’essentiel un peu plus haut (« – Elle n’était pas censée se trouver là, l’agresseur a été pris de court » ; Saga, Folio, même page).

L’hypothèse que propose le jeune inspecteur n’aura rien d’original. La voici : « – Ça ressemble à du boulot de casseur, le genre qui ne bosse qu’en août et qui merdoie face aux petits impondérables. » (Saga, Folio, p. 15.) Une fois que cette hypothèse a été formulée, indépendamment de sa qualité intrinsèque, elle ne peut plus être « volée » par l’inspecteur principal à son jeune adjoint. La locution avant que n’a pas servi à énoncer la succession de deux faits réalisés. Le second fait ne succède au premier que dans l’imagination du jeune inspecteur.

Lorsque ne accompagne avant que, ce doit être pour indiquer que le fait énoncé dans la subordonnée risque de ne pas se produire. Certes, même alors, le ne demeure facultatif. Benacquista aurait fort bien pu écrire : « Le plus jeune des deux inspecteurs proposa une hypothèse avant qu’on la lui vole » ; et Baudelaire : « Avant que ton cœur se blase » (mais le vers n’aurait plus été un alexandrin).

Reprenons les autres phrases de Benacquista qui étaient citées dans Le destin du « ne » explétif : « … avant même que le dernier épisode ne soit diffusé » (le dernier épisode allait être diffusé, rien ne s’y opposait) ; « Je l’envie de quitter le navire avant même qu’il ne soit à quai » (le navire accostera de toute façon). Lorsque la subordonnée introduite par avant que n’implique aucune idée de crainte, donc aucune esquisse de négativité, le ne s’y révèle très dommageable au style et au sens.

 

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commentaires

M
Bonsoir, alors ici au casino de Deauville toujours et inlasszblement ils répètent ( les croupiers à la roulette): Rien ne va plus. Rien va plus ne serzit-il pas plus correct ? Merci. Mich. Bye.
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G
Est-ce le subjonctif, de rigueur après cette conjonction, qui permet, même dans le cas de la phrase du jeune inspecteur, de se dispenser du "ne" explétif ?
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F
Se dispenser du « ne » explétif est la meilleure chose à faire lorsqu’on emploie « avant que » ou « sans que » (notamment). C’est du moins ce que je me suis efforcé de démontrer dans mes deux précédents billets…