Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
3 septembre 2012 1 03 /09 /septembre /2012 15:07

J’ai déjà évoqué les pièges qu’il convient d’éviter lorsqu’on fait s’emboîter plusieurs subordonnées relatives ou qu’on les coordonne.

Mais plus généralement, à la lecture d’une phrase donnant à un même nom plusieurs expansions, nous sommes perturbés si une conjonction de coordination s’avère intempestive, ou si quelque chose manque à la symétrie des éléments coordonnés par cette conjonction.

« Et me voilà de nouveau seul. Je vieillis, beau verbe aux teintes d’anciens émaux limousins, et qui me rappelle qu’un jour, beaucoup plus tôt que je ne l’imagine, je reposerai dans la terre de Siom, à côté de ma mère qui vient de mourir, à Lausanne, sous les yeux de personne, comme elle disait, et comme elle a toujours vécu. » (Richard Millet, La fiancée libanaise, Gallimard, 2011, collection NRF, p. 13.)

Si le mot « verbe » (apposé à « vieillis ») est bien l’antécédent du premier qui, la conjonction et ne crée pas d’incorrection mais elle est tout à fait superflue. « Je vieillis, beau verbe aux teintes d’anciens émaux limousins, qui me rappelle… » Le mot sur lequel porte le commentaire du narrateur pourrait être mis en italique.

 

La longue phrase qu’on va lire s’achève sur une obscurité, à cause d’une conjonction de coordination hâtivement placée devant un pronom relatif :

« La médecine, Mathilde s’y était résolue pour être non pas libre (“On ne l’est jamais vraiment, mon petit Meaulnes, vous devez commencer à le savoir !”) mais pour ne pas épouser un des hommes auxquels ses parents songeaient pour elle, devenue l’unique héritière depuis que son frère avait trouvé la mort dans ce qu’on a appelé la Drôle de Guerre et qui n’avait de drôle que l’ironie dont le sort frappe certains pays, surtout quand l’héritier mâle meurt non pas au combat mais dans la déroute de l’armée française, soit dans une forme de honte, et que la fille décide non pas de reprendre un jour l’affaire familiale mais d’entreprendre des études de médecine, et non pas à Paris, mais à l’autre bout de la France, à Montpellier, je crois, où elle fut arrêtée en 1944, puis déportée à Ravensbrück, à peine âgée de dix-neuf ans, et où elle resterait une année. » (La fiancée libanaise, p. 118-119. À l’époque où elle le fréquentait, la dénommée Mathilde appelait Pascal Bugeaud, narrateur du roman, son « petit Meaulnes ».)

L’ajout de la conjonction et devant le dernier fait se placer sur le même plan ces deux subordonnées relatives : « où elle fut arrêtée en 1944 », « où elle resterait une année ». Or le premier a pour antécédent Montpellier et le second a pour antécédent Ravensbrück.

Mais la phrase comporte une autre faute, car avec quel mot subordonnant peut donc être construit le verbe « [fut] déportée » ? Les mots que la logique permet de sous-entendre n’apportent pas le sens attendu : « puis où elle fut déportée à Ravensbrück ». Il y a une contradiction entre « où » et « à Ravensbrück ». Le seul moyen de remettre d’aplomb ce passage est d’y incorporer la locution d’où, en écrivant : « d’où elle fut déportée à Ravensbrück ». Notons qu’il devient alors maladroit d’y maintenir l’adverbe puis.

Pour tout corriger, je propose de récrire ainsi le passage : « … mais d’entreprendre des études de médecine, et non pas à Paris, mais à l’autre bout de la France, à Montpellier, je crois, où elle fut arrêtée en 1944, d’où elle fut ensuite déportée à Ravensbrück, à peine âgée de dix-neuf ans, Ravensbrück où elle resterait une année. » La répétition du bon antécédent est imposée par la syntaxe, à moins que l’écrivain ne consente à couper la phrase en deux (ce qui aurait l’avantage de varier momentanément le rythme de cette prose ondoyante) : « … d’où elle fut ensuite déportée à Ravensbrück, à peine âgée de dix-neuf ans. Elle y resterait une année. » Barrer le cours de ce fleuve peut accroître la force de son flux.

 

Un contre-exemple pour conclure :

« Je vais vous raconter une histoire. […] Celle d’un journal de bande dessinée dédié aux imbéciles qui, contre vents et marées, en toute liberté, perdure depuis près de trente ans. » (Olivier Ka, « L’humour crétin du Psikopat », dans Beaux Arts magazine, hors-série, décembre 2011 : Humour & BD ; p. 28.)

Ici, en revanche, il serait bon d’ajouter un et devant le pronom relatif ! Dans l’idée de l’auteur, la relative se situe sur le même plan que l’adjectif dédié. (Regrettable adjectif, ce « dédié », devenu funeste depuis que, sous l’influence de l’anglais, il a perdu chez nous tout sens précis.) L’antécédent du qui devrait être « un journal », et certainement pas le mot imbéciles.

 

Partager cet article
Repost0

commentaires