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31 mai 2010 1 31 /05 /mai /2010 13:19

N’aidez pas à la dissémination de la préposition tueuse !… si je peux me permettre d’emprunter l’heureuse formule employée par un rédacteur anonyme de Langue sauce piquante, le blog des correcteurs du Monde, à propos de la préposition « sur ».

Phénomène étrange : le remplacement, dans le langage courant et soutenu, de « partir à la retraite » par l’ambigu « partir en retraite ».

Le roman illustré Organigramme, par Madame L., nous en fournit un exemple caractéristique (éditions P.O.L, 2010, p. 68) : « Pour la fête donnée à l’occasion du départ en retraite du directeur administratif et financier, le costume de Madame L. a fait sensation. Nul ne l’a reconnue. » Peut-être l’auteur dissimulé derrière le pseudonyme de « Madame L. » (qui est aussi le nom de son héroïne) se contente-t-il de pasticher le langage du management, jusqu’en ses incorrections les plus criantes ? Ou alors il succombe à l’entraînement collectif.

On lit même cela dans le bel essai que Cavanna a consacré à la langue française, Mignonne, allons voir si la rose… : « Et puis [les typographes] partent en retraite l’un après l’autre, et des clavistes les remplacent, simples dactylos qui n’ont pas plus connu la composition en plomb que la marine à voile. » (Paru chez Belfond en 1989 ; réédité dans le Livre de Poche, p. 190.) Ou dans la prose de Houellebecq : « À plus de soixante ans, depuis peu en retraite, elle avait accepté de s’occuper à nouveau d’un enfant jeune – le fils de son fils. » (Michel Houellebecq, Les particules élémentaires, Flammarion, 1998 ; réédité dans la collection J’ai lu, p. 91.)

L’expression s’est-elle formée par confusion avec être ou mettre en congé ou en détachement ? Si c’est par confusion avec l’expression battre en retraite, qui signifie « se retirer du combat, céder devant un adversaire plus fort ou plus combatif », on admettra que l’analogie est fâcheuse Les Français avaient toujours parlé d’un départ à la retraite, d’un fonctionnaire ou d’un militaire à la retraite, ou mis à la retraite. Encore une fois, croyant gagner un mot, croyant économiser de la salive, nous parlons improprement et défaisons notre langue.

Et l’on entend déjà, au lieu de « vivre à la campagne », dire ceci : « vivre en campagne » ! C’est déjà imprimé dans le titre d’un livre : Arbres et arbustes en campagne, par David Dellas, éditions Actes Sud, 2010. Certes, dans cette façon de parler la préposition en désigne encore un lieu. Ce nouvel usage ne la dénature pas autant que l’expression « payer en chèque », que j’ai toujours trouvée particulièrement absurde, au lieu de l’ancienne expression courante « par chèque », qui était mieux appropriée à un complément circonstanciel de moyen. Me répondra-t-on que l’expression « en chèque » n’est pas plus absurde que « rouler en vélo » ?

Mais nous pouvons nous attendra à tout, dès lors qu’un romancier au talent pourtant fort et exigeant se laisse aller à écrire : « Tout ce qui s’était passé depuis mon arrivée en résidence m’apparaissait dans une lumière d’irréalité » (Pierre Jourde, Paradis noirs, Gallimard, 2009, p. 224) ; ou encore : « les mièvres dessins agrémentés de formules sirupeuses qui témoignaient du travail des jeunes catéchumènes en période de l’Avent » (ibid., p. 226). Ce n’est pas vraiment faux, c’est commode à employer, mais c’est flou. De la chair mal soutenue par l’os.

Une remarque, presque un doute :

« On a donc débarqué tous les quatre en gare de Colmar et c’est en voyant la gueule de mon père que j’ai réalisé que j’avais complètement oublié de le prévenir de mes intentions ! » (Olivier Maulin, Petit monarque et catacombes, l’Esprit des péninsules, 2009, p. 220 ; on notera que ce jeune romancier abuse du point d’exclamation.) Qu’un train s’arrête en gare de Colmar et qu’il en reparte peu après, je n’y vois rien à redire, l’expression est usuelle depuis le début du XX siècle. Mais que des voyageurs descendent « en » gare au lieu d’« à la gare », j’avoue que cela me heurte encore

Eh bien non, j’ai tort de me sentir heurté : une rapide vérification m’apprend que cette construction est attestée chez Gaston Leroux, chez Paul Nizan. Je retire mon doute.

Faisons une dernière observation. Elle nuancera l’image que j’avais employée initialement, celle de la prolifération (cancéreuse), mais justifiera ma vieille rancune contre les désapprentissages qui affectent la langue des mieux instruits. Dans certains cas où la préposition en était parfaitement légitime, on entend déjà autre chose. Au lieu de « voyager en train » ou de « voyager par le train », nous entendons dire aujourd’hui : « voyager par train ». 

 

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commentaires

T
Cet usage est peut-être une intrusion de l'anglais dans la langue française, en prenant alors le sens de in.
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