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9 août 2010 1 09 /08 /août /2010 10:58

L’orthographe des interjections eh bien, eh oui, eh non, qu’on emploie aussi, avec une légère nuance sémantique, sous la forme hé bien, hé oui, est devenue difficile à mémoriser pour la plupart de nos contemporains. Dès qu’ils se servent d’un clavier d’ordinateur, en lieu et place de ces graphies, ils écrivent : « et bien », « et oui ». Cette maladie commence à gagner l’imprimé.

« Mais ils [= les syndicats] sont prêts à le faire tant que le jeu en vaut la chandelle [vaudra serait plus logique]. Quelle chandelle ? Et bien tout simplement l’augmentation de la masse salariale versée au collectif des salariés… » (Laurent Cordonnier, Pas de pitié pour les gueux, éditions Raisons d’Agir, 2008, p. 52.)

« L’événement [= le discours du 18 juin] sera rendu possible grâce à l’extraordinaire intuition de Churchill qui aurait tout aussi bien pu ne pas faire confiance à de Gaulle, en qui il flaira l’homme d’exception. “Vous êtes seul, et bien je vous reconnais tout seul”, dira Churchill à de Gaulle durant ces jours sombres. » (Paul-François Paoli, dans le Figaro littéraire du jeudi 17 juin 2010, « Un appel dans la nuit ».)

Je me suis dernièrement aperçu que cette faute grossière apparaissait déjà dans la traduction française, due à Myriem Bouzaher, de la célèbre Apostille au Nom de la rose, ce court essai d’Umberto Eco où le grand écrivain italien commente son propre roman :

« [C]haque fois qu’un critique ou un lecteur a écrit ou dit qu’un de mes personnages affirmait des choses trop modernes, et bien, dans tous les cas, dans ceux-là justement, j’avais utilisé des citations textuelles du XIVe siècle. » (Le nom de la rose, « édition revue et augmentée d’une apostille traduite de l’italien par Myriem Bouzaher » ; Grasset, 1985, p. 543.)

Bref, la faute a des titres à l’ancienneté. Pour nous en convaincre, relisons ce dialogue entre Zette et Jo Legrand : « La stratosphère, c’est haut, dis ?… Plus haut que la Tour Eiffel ? – Bien sûr, Zette ! Tiens, tu vois ces nuages ?… Et bien, c’est encore plus haut… » (Hergé, Le testament de M. Pump, premier album des Aventures de Jo, Zette et Jocko ; éditions Casterman, 1951, p. 6.)

En revanche, il n’y a rien à dire contre aucune de ces phrases exclamatives : « Tout est raté !… Et bien raté !… Car, maintenant, ils seront sur leurs gardes !… » (Ibid., p. 33.) C’est un bandit qui laisse ainsi éclater sa colère, parce que lui-même et son complice n’ont pas réussi à dérober les plans de l’avion stratosphérique conçu par l’ingénieur Legrand.

Il est rare que la séquence « et oui » soit douée de sens. C’est pourtant le cas dans le dialogue ci-dessous, qui se noue entre un trentenaire prénommé Dominique et une jeune femme prénommée Héléna :

« – D’ailleurs, il est pas à moi, ce bouquin ? – Si tu cherches ta femme, elle est allée prendre des pommes au verger d’à côté… Elle veut faire une tarte… Et, oui : tu as raison. Il est bien à toi, ce livre. » (Extrait de Petites éclipses, par Fane et Jim, bande dessinée parue aux éditions Casterman en 2007 ; nouvelle édition en 2010, p. 174.)

Le politicien Horace Tumelat, héros d’un roman de Frédéric Dard, tombe amoureux d’une femme beaucoup plus jeune que lui, qui a l’âge de passer son baccalauréat. Le père de celle-ci, Victor Réglisson, observe une photo qui montre les deux amants réunis. Le doute n’est pas permis : « Et Victor finit par VOIR. Il reconnaît sa fille. […] Car il est visible, sur ce cliché, qu’ils sont amants, ces deux. Et oui, il reconnaît aussi le petit pavillon d’Eusèbe. » (San-Antonio, Y a-t-il un Français dans la salle ?, éditions Fleuve Noir, 1979, p. 342-343.)

Les lignes qu’on va lire contiennent les graphies « et oui », « et non ». Elles sont parfaitement justifiées puisque ce non et ce oui n’y jouent pas le rôle d’interjections : « Et non, je ne suis pas antisémite. […] Et oui, je trouve que les crimes antisémites nazis constituent probablement le point le plus extrême qu’ait atteint l’humanité dans l’abomination. » (Renaud Camus, Du sens, éditions P.O.L, 2002, p. 499.)

Les graphies « et oui », « et non », ne sont justifiées que si ce non et ce oui introduisent une ou plusieurs objections, faites à un interlocuteur réel ou supposé, dans le cours d’une argumentation.

 

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commentaires

M
Personnellement je suis déçue et dégoûtée de cette erreur et ignorance d'orthographe, négligemment tolérée.<br /> <br /> Eh oui !
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L
A propos de disparition, avez-vous remarqué la quasi-disparition des chiffres romains dans le numérotage des arrondissements ? Par exemple, dans la presse, on n’écrit presque plus « Paris XVe », et<br /> on préfère « Paris 15e ».<br /> A quand la disparition totale des chiffres romains pour l’indication des siècles ? Aux alentours du XLIXe siècle (49e siècle) pour cause d’indéchiffrabilité ?
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F
<br /> <br /> Oui, cher JMF, voilà encore un changement que rien ne laissait présager dans mon enfance !<br /> <br /> <br /> Tout ce qui est classique, tout ce qui est culture héritée, cela hérisse nos compères les modernes. Ils rêvent de s’amputer du passé.<br /> <br /> <br /> Simultanément, en économie, tout montre que nos sociétés se sont amputées de l’avenir.<br /> <br /> <br /> Les deux phénomènes seraient-ils liés ?<br /> <br /> <br /> Bien à vous.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />