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9 août 2010 1 09 /08 /août /2010 18:49

1. Dénoter est fréquemment mis pour détonner :

« Son châle de prière lui fait de grandes ailes de sagesse qui dénotent avec sa bouille d’enfant impertinent criblée de taches de rousseur. » (Tobie Nathan, Qui a tué Arlozoroff ?, Grasset, 2010, p. 155.) « De sa voix très aiguë qui dénotait avec sa corpulence, [Viktoria von Dirksen] s’exclama […] » (ibid., p. 305). Dénoter a été pris pour le verbe détonner, lequel demande à être construit avec la locution par rapport à : « ailes de sagesse qui détonnent par rapport à sa bouille d’enfant impertinent », « voix très aiguë qui détonnait par rapport à sa corpulence »… Mais c’est lourd. Le verbe jurer (avec) rendrait ces phrases moins lourdes : « ailes de sagesse qui jurent avec sa bouille », « voix très aiguë qui jurait avec sa corpulence ».

Les critiques littéraires ont un faible pour certaines formules : « Ce roman plein de suspense, mené sur un rythme haletant, dénote par son réalisme. » Or, même si l’on remplaçait « dénote » par « détonne », la phrase conserverait sa gaucherie, détonner voulant dire : ne pas être en harmonie, produire une discordance. Non seulement il serait utile de préciser par rapport à quoi le réalisme d’un roman peut « détonner », mais le mot lui-même est rarement élogieux. Quand nous disons que quelqu’un ou que quelque chose « détonne », dans un groupe ou parmi d’autres objets, nous manifestons notre réprobation, plutôt que notre satisfaction.

Mais on trouve parfois le verbe dénoter correctement employé. Par exemple à la page 402 du roman de Tobie Nathan : « [L’homme] se pencha vers elle de sa démarche raide qui dénotait le militaire et se présenta : […] » (Qui a tué Arlozoroff ?, Grasset).

 

2. Derechef, qui signifie « de nouveau », est parfois employé avec le sens de l’adverbe aussitôt :

« Les huguenots sont sauvagement assassinés dans la nuit du 23 au 24 août 1572. Le mari de Marguerite est sauvé à la condition de se convertir sans plus attendre au catholicisme, ce qu’il fait derechef. » (Martine Reid, présentation des Mémoires 1569-1577 (extraits) de Marguerite de Valois, collection Folio 2 €, 2010, p. 9.)

L’adverbe derechef est-il là pour signaler qu’il s’agit d’une seconde (voire d’une énième) conversion d’Henri de Navarre, futur Henri IV, au catholicisme ? Ce n’est pas le sens qui se dégage de la phrase telle qu’elle est construite. Derechef semble y faire écho à la locution « sans plus attendre », plutôt qu’introduire dans la phrase une idée supplémentaire, Martine Reid n’ayant encore évoqué en aucun point de sa préface la question des changements de religion d’Henri de Navarre.

Pour ne plus hésiter sur le sens de cet adverbe, rappelez-vous que dans derechef il y a re- (le même que dans revérifier).

 

3. Que signifie vraiment l’expression pétition de principe ?  

« Toujours est-il que ces accommodements avec la raideur de l’initiale pétition de principe ne servirent pas à grand-chose. » (Pierre Mertens, Le don d’avoir été vivant ; recueil d’essais paru aux éditions Écriture, 2009.) L’expression « pétition de principe » surgit ici comme un synonyme ou comme un substitut de celle qui figurait quelques paragraphes plus haut, lorsque Mertens évoquait l’« initiale profession de foi [énoncée par le jeune Sartre dans Présentation des Temps Modernes] sur l’apolitisme pendable de Flaubert », allusion au passage célèbre où Sartre déclarait : « Je tiens Flaubert et Goncourt pour responsables de la répression qui suivit la Commune parce qu’ils n’ont pas écrit une ligne pour l’empêcher. »

Or une pétition de principe n’est ni une déclaration de principe(s) ni une profession de foi. C’est un terme de logique. Il désigne une faute de raisonnement (ou paralogisme) consistant à prendre pour point de départ ce qui doit être démontré. Dans son ouvrage capital, Gradus : Les procédés littéraires, Bernard Dupriez en donne (collection 10/18, 1984, p. 324) l’illustration suivante : « pour Nietzsche, toute métaphysique repose sur une pétition de principe : on ne peut définir l’être sans employer les mots c’est ». La pétition de principe est donc un faux raisonnement proche du cercle vicieux. Il peut nous arriver de commettre une pétition de principe, mais c’est un faux raisonnement qui nous échappe involontairement et non pas une déclaration emphatique par laquelle nous exprimons une conviction, la main sur le cœur.

Dans Somme toute, le troisième volume de ses mémoires, Claude Roy se garde bien de confondre les notions de pétition et de position lorsqu’il évoque le Manifeste des 121 : « Quand un gouvernement mène la répression, la gauche pensante se dépense en pétitions. […] Mais le texte qui allait devenir en quelques jours le Manifeste des 121 tranchait sur les homélies humanitaires, sur les déclarations de principes vagues et sur les pieuses déplorations auxquelles nous avions trop souvent consenti d’adhérer. […] La plume, assez reconnaissable, de Maurice Blanchot […], le ton de cet écrivain de cristal énigmatique avait donné à l’affirmation d’une position de principe la limpidité d’une affirmation calme. » (Somme toute, éditions Gallimard, 1976 ; collection Folio, p. 284-285.) Ces pages sont irréprochables.

Mais dès les années 1980, la faute apparaît. Pascal Bruckner l’a commise dans Le sanglot de l’homme blanc, en écrivant que, par rapport aux autres familles politiques composant la gauche (Bruckner mentionne le PCF, les trotskystes et le clan des maoïstes) : « Le PS, à partir d’une pétition de principe anti-impérialiste, s’est montré le plus nuancé et le plus modéré, appliquant à chaque conflit une analyse particulière, quitte à se contredire d’une fois sur l’autre. » (Le sanglot de l’homme blanc, éditions du Seuil, 1983, collection Points Actuels, p. 51, note 2.) Cette confusion serait-elle favorisée par une sorte de snobisme culturel, le mot « pétition », même employé à contresens, paraissant plus savant ?

 

4. Le verbe entailler a tendance à se voir remplacer par taillader :

« Il gît dans un tiroir glacé, reposant sous une couverture vert pâle tachée de sang, le front tailladé d’une blessure, les cheveux collés de sel » (Anne-Marie Miéville, extrait d’un portrait de son frère publié en 1994, quelques mois après la mort accidentelle de ce dernier ; cité par Antoine de Baecque dans Godard biographie, Grasset, 2010, p. 711). Ce front est soit tailladé de plusieurs blessures, soit entaillé d’une blessure.

« [Les deux patrons de la boucherie] coupent dans un geste net, sans bavure. Le jeune [= l’apprenti boucher], lui, a des états d’âme, cherche le bon endroit pour taillader, hésite, tarde, puis finit par découper dans un geste approximatif et lent. » (Fabienne Jacob, Corps, éditions Buchet-Chastel, 2010, p. 22.) Le geste du boucher, même s’il s’agit d’un apprenti maladroit, consiste à entailler la viande pour la trancher. Si le boucher échoue à l’entamer proprement du premier coup, il risque de ne faire qu’en taillader la surface. Taillader n’est pas un but.

 

5. Le verbe déposer (ou poser) a tendance à se voir remplacer par disposer :

Pour pouvoir les disposer, il faut avoir plusieurs objets et les placer l’un à côté de l’autre ou les agencer les uns par rapport aux autres. Malheureusement, le personnage qui emploie ce verbe dans les phrases suivantes l’applique chaque fois à un objet unique :

« Il n’y avait pas de lampe de chevet ; j’ai allumé une bougie dont j’avais taillé le bas pour le glisser dans le goulot d’une bouteille de vin vide que j’ai disposée près du lit, puis j’ai ouvert non pas le Voyage en Orient de Nerval mais la Bible » (Richard Millet, La confession négative, Gallimard, 2009, p. 90).

« Georges me faisait couler sur le visage l’eau d’une gargoulette en verre, prise devant la loge du concierge et probablement disposée là par ce dernier qui faisait le mort, tout en s’acquittant ainsi d’une offrande aux futurs morts que nous étions sans doute, selon lui » (ibid., p. 158).

« N’oublions pas la cigarette qui pend des lèvres de Murraille. Mon père a disposé la sienne entre l’annulaire et l’auriculaire. Préciosité lasse. » (Patrick Modiano, Les boulevards de ceinture, éditions Gallimard, 1972, collection Folio, p. 13-14.) En l’occurrence, il aurait fallu écrire : « Mon père a placé la sienne… »

Semblablement, on ne s’assoit pas « autour d’une table » lorsqu’on est tout seul. Ne suivons pas l’exemple d’Olivier Maulin : « Il a posé son sac contre le mur et s’est assis autour de la table. » (Les Évangiles du lac, l’Esprit des péninsules, 2008, p. 208.)

 

6. Le nom échelon a tendance à être confondu avec le nom échelle :

« La plénitude de l’être humain, peu frappante au niveau individuel, ne semble pas non plus réalisée à l’échelle collective. » (Olivier Rey, Une folle solitude : Le fantasme de l’homme auto-construit ; éditions du Seuil, 2006, p. 21.) Or c’est « à l’échelon collectif » qu’on peut en juger. De même qu’il faut dire : à l’échelon régional, national, européen, mondial, et non pas : « à l’échelle régionale », etc.

Frédéric Dard le savait très bien, puisque dans Y a-t-il un Français dans la salle ? il écrit tout naturellement : « Maintenant, la comédie [du nationalisme conquérant] continue à l’échelon de la planète. Agrandir son territoire, pour un peuple, est une ambition utopique. Le monde fait quarante mille kilomètres de tour de taille, pas un pouce de mieux. On ne l’agrandira jamais. » (Y a-t-il un Français dans la salle ?, premier des gros romans signés San-Antonio quoique n’appartenant pas à la saga des enquêtes du commissaire du même nom ; éditions Fleuve Noir, 1979, p. 18.)

En revanche, il est correct de dire : à grande ou à petite échelle, sur une (large, grande, vaste, petite…) échelle, sur une échelle réduite, etc. « La IIIe République, d’ailleurs sans rupture officielle en cela avec les régimes qui l’avaient précédée, mais à une échelle beaucoup plus large, s’est donné pour idéal, non pas l’égal accès de tous à la connaissance, mais l’égale possibilité de son accès. » (Renaud Camus, Du sens, P.O.L, 2002, p. 541.)

 

7. Imaginable/inimaginable et délicatesse/indélicatesse :

L’expression « possibles et imaginables » s’est absurdement transformée en : « possibles et inimaginables ».

Exemple : « [Sarkozy] va essayer de faire tous les croche-pattes inimaginables à Ségolène Royal, et c’est bien pour ça que, contre toute attente, il ne quittera sûrement pas le ministère de l’Intérieur, d’où il peut manigancer et orchestrer les pires campagnes contre sa rivale. » (J’ai lu cela sur un blog, mais j’entends couramment l’expression autour de moi et à la radio.)

La même dérive a touché l’expression en délicatesse avec, devenue : « en indélicatesse avec ». Exemple : « Une “tournée d’huissier”, c’était le terme courant pour ces journées entièrement consacrées à l’ouverture de portes de mauvais payeurs et autres individus en indélicatesse avec la justice. » (Tonino Benacquista, Le serrurier volant, éditions Estuaire, 2006 ; réédité dans la collection Folio en 2008, p. 70.)

 

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commentaires

A
Eh bien merci beaucoup! J'avais envisagé les deux développements aussi et je n'arrivais pas à trancher… Effectivement, autant penser au plus simple…
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A
Bonjour,<br /> à propos de « possibles et imaginables »,<br /> « les meilleures conditions possible », on est d'accord? et donc « les meilleures conditions possible et imaginable » ?<br /> merci
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F
Hélas, Anne, vous devez écrire : « les meilleures conditions possibles et imaginables ».<br /> Les deux derniers adjectifs sont clairement épithètes. Votre syntagme est la réduction de : « les meilleures conditions qui sont (ou soient) possibles et imaginables », et non pas de : « les meilleures conditions qu’il est (soit) possible et qu’il est (soit) imaginable d’établir ». Pour rendre votre syntagme admissible, il faut sous-entendre des éléments trop nombreux, trop riches, trop conjecturaux.
B
<br /> Voici un lien vers un site qui relève aussi des formulations douteuses : http://nordlitteral.over-blog.com/<br /> <br /> <br />
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F
<br /> <br /> Merci pour ce lien vers un site bien fait (bien déprimant aussi…), que je découvre grâce à vous et qu’à mon tour je recommande à<br /> mes lecteurs. Ceux-ci trouveront aussi quantité de remarques très utiles dans le Répertoire des délicatesses du français contemporain de Renaud Camus (2000), qu’ils doivent déjà<br /> connaître, ainsi que dans Mignonne, allons voir si la rose… de François Cavanna (1989), que je viens de relire avec beaucoup de plaisir.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Cavanna accuse, à juste titre : l'Éducation nationale et sa « démission non furtive mais revendiquée » ; la<br /> publicité qui, par sa rhétorique et son esthétique, contribue grandement au décervelage collectif ; le sociologisme toujours prêt à dénoncer dans l’orthographe française une tyrannie<br /> injuste, « élitiste, méprisante pour le bon peuple aux mains calleuses » ; et les éditeurs qui ne font plus leur travail.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> « Les véritables gardiens de la pureté de la langue, les vestales du bien écrire, écrit Cavanna, ce ne sont pas les<br /> spécialistes de la décortication pontifiante, linguistes, grammairiens, enseignants, académiciens… Ce ne sont pas davantage les écrivains, à qui l’on ne demande que du talent – du génie, pourquoi<br /> pas ? – et des idées. Les vestales qui veillent sur la flamme sont les gens de l’imprimé : éditeurs, typographes, correcteurs. »<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> Quand on lit cela, on se sent moins seul.<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />