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9 août 2010 1 09 /08 /août /2010 17:27

Les participes passés non accordés (lorsqu’ils sont le noyau d’une subordonnée relative introduite par que), les prépositions et les déterminants non répétés, les majuscules intempestives, les traits d’union omis entre le verbe et son pronom sujet postposé : on trouve tout cela chez Montaigne.

« Pour subvenir un peu à la trahison de ma memoire et à son defaut, si extreme qu’il m’est advenu plus d’une fois de reprendre en main des livres comme recents et à moy inconnus, que j’avoy leu soigneusement quelques années au paravant et barbouillé de mes notes, j’ay pris en coustume, depuis quelque temps, d’adjouter au bout de chasque livre (je dis de ceux desquels je ne me veux servir qu’une fois) le temps auquel j’ay achevé de le lire et le jugement que j’en ay retiré en gros, afin que cela me represente au moins l’air et Idée generale que j’avois conceu de l’autheur en le lisant. Je veux icy transcrire aucunes de ces annotations. » (Essais, livre II, chapitre X, « Des livres ».)

Note : la lettre e, placée entre le c et le u du participe conceu, ne servait qu’à adoucir le c. Ce mot se prononçait donc comme nous prononçons sa graphie moderne : conçu ; ou plutôt conçus, car nous accordons (pour combien de temps encore ?) les participes passés qui ont un COD antéposé. Quant aux graphies leu et veu, pour lu et vu, je suppose qu’elles s’expliquent par l’analogie avec -ceu.

Autre note : les accents aigus qui figurent dans les extraits ici reproduits, plus rares que dans le français moderne, sont scrupuleusement transcrits du texte d’origine.

Le choix du non-accord des participes passés n’est cependant pas constant :

« Metellus, ayant, seul de tous les Senateurs Romains, entrepris, par l’effort de sa vertu, de soustenir la violence de Saturninus, Tribun du peuple à Rome, qui vouloit à toute force faire passer une loy injuste en faveur de la commune, et ayant encouru par là les peines capitales que Saturninus avoit establies contre les refusans […] » (livre II, chapitre XI, « De la cruauté »).

« L’aisance donc de cette mort [= celle de Caton], et cette facilité qu’il avoit acquise par la force de son ame, dirons nous qu’elle doive rabattre quelque chose du lustre de sa vertu ? » (Ibid.)

Dans les deux phrases qu’on vient de lire, les accords sont tous conformes à l’usage normé actuel. Ce n’est plus le cas dans la phrase que voici, extraite de la dernière page de ce même chapitre XI :

« Les Agrigentins avoyent en usage commun d’enterrer serieusement les bestes qu’ils avoient eu cheres, comme les chevaux de quelque rare merite, les chiens et les oiseaux utiles, ou mesme qui avoient servy de passe-temps à leurs enfans. »

Cela me remet en mémoire le célèbre préambule du livre I des Essais : « Je l’ay voué à la commodité particuliere de mes parens et amis : à ce que m’ayant perdu (ce qu’ils ont à faire bien tost) ils y puissent retrouver aucuns traits de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve la connoissance qu’ils ont eu de moy. » Non-accord.

Mais tournons deux pages. Voici le participe passé bien accordé :

« La plus commune façon d’amollir les cœurs de ceux qu’on a offensez, lors qu’ayant la vengeance en main, ils nous tiennent à leur mercy, c’est de les esmouvoir par submission à commiseration et à pitié. » (Chapitre premier du livre I, « Par divers moyens on arrive à pareille fin ».)

Accord après le pronom qui : « Si l’object de la divine justice et sa presence frappoient comme il dict, et chastioient son ame, pour courte qu’en fust la penitence, la crainte mesme y rejetteroit si souvent sa pensée, qu’incontinent il se verroit maistre de ces vices qui sont habitués et acharnés en luy. » (Livre I, chapitre LVI, « Des prieres ».)

Non-accord après le pronom que, à la page suivante : « Ce n’est pas sans grande raison, ce me semble, que l’Eglise defend l’usage promiscue [= bas], temeraire et indiscret des sainctes et divines chansons que le Sainct Esprit a dicté en David. » (Ibid.)

Lorsque cet accord en genre est audible à l’oral (faite, assise, ouverte, dite, ou, comme dans l’un des exemples précédents, acquise), je n’ai trouvé dans Montaigne aucun cas de non-accord. Je continue à chercher.

Et jamais on ne trouve chez lui un participe en -é confondu avec un infinitif en -er, ni les marques d’accord du verbe accolées à un substantif. La grammaire est déjà ordonnée.

 

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