Je traiterai ici de couple, nom masculin, qui désigne deux personnes ou deux êtres liés par un sentiment, par le travail ou par un intérêt commun, et non de couple, nom féminin, très rarement employé, qui désigne deux choses ou deux animaux réunis occasionnellement ou réunis accidentellement (une couple de colombes, une couple d’œufs). Pour que nous ne confondions pas les deux notions, Jacques Laurent nous propose dans Le français en cage (éditions Grasset, 1988) de retenir cet exemple : « Un couple d’amants dédaigne pour se regarder une couple de perdrix aux choux. »
Le nom masculin couple exige le verbe au singulier, tandis que le nom féminin couple exige le pluriel : « Un couple de pigeons est suffisant pour peupler une volière ; une couple de pigeons ne sont pas suffisants pour le dîner de six personnes. » (Exemple forgé au XVIIIe siècle par le grammairien Nicolas Beauzée.) « Une couple d’amis sont deux individus pris dans la généralité des hommes qui méritent ce titre [= ce titre d’amis] : en nommant Harmodius et Pilade, je cite une couple d’amis. » (Louis-Nicolas Bescherelle, Grammaire nationale, 1835. Les italiques sont de l’auteur.) Harmodius ou Harmodios : personnage historique mort en - 514 ; Pilade ou Pylade, personnage de la mythologie. Ils ont chacun eu un ami : Aristogiton pour le premier, Oreste pour le second ; mais eux-mêmes n’ont pu se connaître.
Or un des phénomènes irritants qui se manifestent dans les conversations ou dans les romans actuels est que le nom masculin couple, toujours très usité, et qui a toujours fait dominer la notion d’unité sur celle de pluralité, est de plus en plus fréquemment repris par un pronom personnel ou un adjectif possessif au pluriel.
Tous les matins, c’est aux commandes d’un petit bateau à moteur que Bob, le narrateur, se rend à son école, accompagné de sa petite sœur. « On aborda aussi près de l’école que possible et, après avoir solidement attaché le Marlin [tel est le nom que porte leur bateau], on partit en courant sur un chemin privé. En voyant un couple prenant leur petit déjeuner dans leur patio, on ralentit le pas. Ils nous dirent bonjour, et on leur répondit […]. » (Benjamin Legrand traduisant Gregory Hughes, Pour toi je décrocherai la lune, éditions du Seuil, 2013, p. 49.)
Quelle syntaxe pénible à lire, même si l’on considère que le narrateur parle ici comme l’enfant de douze ans qu’il était au moment où s’est déroulée son aventure. Il aurait suffi d’écrire par exemple : « un couple de jeunes amoureux », pour que la reprise du syntagme nominal par leur ne posât pas le moindre problème (dans la phrase apparaît d’abord l’adjectif possessif leur, puis le pronom personnel leur). Autre défaut de ce passage : l’alliance du passé simple et du pronom on substitué au nous. Associer un temps verbal caractéristique de la littérature et un trait de la langue populaire donne à la prose un aspect hétéroclite.
« Nous nous trouvions derrière le couple vedette, à leur gauche, donc à droite sur la photo. » (Patrick Besson, Belle-sœur, éditions Fayard, 2007 ; collection Points, p. 176.) À leur gauche = à la gauche de l’homme et de la femme qui formaient le « couple vedette », à savoir un acteur de cinéma et sa compagne.
« Les derniers baigneurs revenaient, une serviette à la main. À quelques mètres du rivage, enlacés dans l’eau tiède, un couple faisait l’amour. » (Michel Houellebecq, Plateforme, Flammarion, 2001 ; collection J’ai lu, p. 308.) Il faudrait dire : « Enlacés, un homme et une femme faisaient… » (Je n’ai pas le temps de me replonger dans le roman pour savoir si le contexte autorise : « Enlacés, deux hommes » ; en tout cas, l’accord du participe passé nous interdit de supposer qu’il puisse s’agir de deux femmes.) Mieux respecter la grammaire aurait obligé l’écrivain à ne pas oublier les éléments qui permettent au lecteur d’imaginer la scène, même lorsque cette scène est à peine décrite.
« [Serge Le Chenadec] but une bière au Longchamp, rue de l’Arbre Sec [sic : trait d’union omis]. Un couple américain, parents de deux petites filles, était assis à la table d’à côté ; à leurs pieds reposait un grand sac Le Louvre d’où dépassait un rouleau en carton protégeant la reproduction d’une toile de maître. Le couple s’embrassait, enchanté de son séjour dans la capitale française […]. » (Patrice Jean, L’homme surnuméraire, roman, éditions Rue Fromentin, 2017, p. 44.)
Cette fois encore, une plus grande attention portée à la langue aurait permis d’améliorer le texte. Par exemple ainsi : « Un couple américain, accompagné de deux petites filles, était assis à la table d’à côté ; aux pieds de l’homme et de la femme reposait un grand sac Le Louvre, d’où dépassait un rouleau en carton protégeant la reproduction d’une toile de maître. L’homme et la femme s’embrassaient, enchantés de leur séjour… » De fait, pourquoi préciser que les deux Américains sont les parents des fillettes ? La scène est vue par les yeux d’un personnage, Serge Le Chenadec, et celui-ci ne sait rien des quatre Américains qu’il observe. L’écrivain peut éviter de donner au lecteur un renseignement que son héros-observateur ne possède pas. La grammaire serait respectée, et l’expérience romanesque proposée au lecteur serait plus stimulante.
« [Olga et Jed] pouvaient s’attendre de la part des hôteliers à un accueil privilégié : jeune couple urbain riche sans enfants, esthétiquement très décoratif, encore dans la première phase de leur amour – et de ce fait prompts à s’émerveiller de tout, dans l’espoir de se constituer une réserve de beaux souvenirs qui leur serviraient au moment d’aborder les années difficiles, qui leur permettraient peut-être même de surmonter une crise dans leur couple – ils représentaient, pour tout professionnel de l’hôtellerie-restauration, l’archétype des clients idéaux. » (Michel Houellebecq, La carte et le territoire, Flammarion, 2010 ; collection J’ai lu, p. 92-93. Les italiques sont de l’auteur.)
Certes, couple n’est peut-être qu’apposé au pronom ils, qui surgit dans le dernier membre de la phrase. Mais il suffirait d’expliciter un simple élément, devant l’adverbe encore, pour que la phrase soit parfaitement ciselée. Il suffirait d’écrire : « jeune couple urbain riche sans enfants, esthétiquement très décoratif, homme et femme encore dans la première phase de leur amour »…
« Quelques mois après notre rencontre, Sylvie me présenta Édouard. Elle annonça sobrement : “C’est l’homme de ma vie.” […] Ils formaient l’un de ces couples improbables dont personne ne peut réellement saisir les points communs. » (David Foenkinos, Je vais mieux, roman, éditions Gallimard, NRF, 2013, p. 14.) Il vaudrait mieux dire : « l’un de ces couples improbables dont les membres sont unis par des points communs que personne ne peut réellement saisir ».
Une universitaire, analysant le film Conversation secrète de Francis Ford Coppola, écrit ceci : « [Harry Caul] est l’un des agents chargés de cet espionnage. Chargé d’écouter un couple à leur insu, ce dispositif se retourne contre l’espion. » (Frédérique Toudoire-Surlapierre, Téléphonez-moi : La revanche d’Écho ; éditions de Minuit, collection Paradoxe, 2016, p. 184.) Non seulement le nom couple est immédiatement repris par la forme plurielle de l’adjectif possessif, mais la syntaxe est bancale : ce n’est pas le dispositif qui est « chargé » d’écouter, c’est l’espion Harry Caul.
Il fallait donc écrire : « Chargé d’écouter un couple à son insu, l’espion voit ce dispositif se retourner contre lui. » (Cette correction n’entraîne aucune ambiguïté : lui renvoie clairement à espion, tandis que son a pour référent couple.)
Notre oubli de la nuance sémantique dont couple était porteur a des effets non seulement sur la reprise pronominale mais aussi sur l’accord du verbe. Couple en vient à entraîner la mise au pluriel du verbe. Lu sur un site répertoriant des blagues : « C’est un couple qui sont en train de faire l’amour », etc. La dualité des individus qui composent le couple n’est plus surmontée.
Pris dans un de ses sens habituels, le mot ménage donne lieu aux mêmes difficultés. Ce nom ajoute à la notion d’union entre deux personnes l’idée que ces personnes habitent ensemble. Léo Malet se tire habilement de la difficulté en faisant dire à l’un de ses personnages : « – […] Là-bas [à Saint-Rémy-lès-Chevreuse], un vieux ménage de paysans qui l’ont connue gamine s’occupe d’elle. » (Léo Malet, Les rats de Montsouris, éditions Robert Laffont, 1955, chapitre X ; reparu aux éditions des Autres, 1979, p. 94. Le locuteur est un peintre et le pronom elle renvoie à la femme de celui-ci.) La subordonnée relative complète le nom paysans (au pluriel), tandis que la principale respecte l’accord (au singulier) imposé par le nom couple.
Je ferai une autre observation : nos contemporains mettent le verbe au singulier lorsque le groupe sujet commence par « la plupart des… » ou par « la majorité des… », alors qu’il y faut le pluriel, et ils accordent le verbe au pluriel avec le nom couple, alors qu’il y faut le singulier. Ces tendances sont irrépressibles, et semblent devenir dominantes. Pourquoi cette inversion des logiques de notre langue ?