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30 avril 2016 6 30 /04 /avril /2016 11:46

Un certain nombre de mots sont aujourd’hui très mal prononcés, bien qu’ils relèvent d’un niveau de langue soutenu :

- une genèse est devenue « génèse » ;

- un pèlerinage est devenu « pélérinage » ;

- le verbe rehausser est devenu « réhausser » ; de même, rechigner devient « réchigner » ; reléguer devient « réléguer » ;

- une vilenie est devenue une « vilénie » ;

- un coreligionnaire est devenu un « coréligionnaire » ;

- un mercenaire est devenu un « mercénaire » ;

- un ou une galeriste (propriétaire d’une galerie d’art) est devenue « galériste » ;

- un renégat est devenu « rénégat » ;

- j’ai même entendu un journaliste dire que le ministère de l’Éducation nationale s’était, dans telle affaire, rendu coupable « d’un aveuglément excessif ».

Plus anciennement, le nom repartie (lancer une repartie, avoir de la repartie, ne pas manquer de repartie…) s’est ainsi vu prononcer « répartie ».

Or, s’il est vrai que le e non accentué est nécessairement entendu dans repartie, rehausser ou rechigner (« reu- »), ainsi que dans aveuglement (« -gleu- »), il est habituellement muet dans pèlerinage, vilenie et galeriste. Lorsqu’on a le choix entre le prononcer et ne pas le prononcer, il s’appelle e caduc (ou e facultatif). On trouve un e caduc dans religion, car ce nom peut à bon droit être prononcé « r’ligion ». Pourtant, certains se sont mis à dire : « réligion ». De même, l’adverbe atrocement, où le e médian ne doit se faire entendre que dans le vers classique, en est venu à se prononcer « atrocément ».

Dans Le guignolo, film de Georges Lautner sorti en 1980, Jean-Paul Belmondo déclare qu’il n’est pas voleur mais marchand de tableaux, et précise en dressant l’index : « Un marchand de tableaux est un voleur inscrit au régiste [sic] du commerce. » (À la soixante-quinzième minute.) Depuis le début des années 2000, la prononciation « régistre » est devenue courante. Le verbe « enrégistrer » aussi est entré dans l’usage.

Indifférents à ces horreurs, nos linguistes professionnels prenaient la parole dans les médias pour expliquer que le vieil accent aigu du deuxième e d’événement devait absolument être remplacé par un accent grave, alors que ce changement de détail était sans importance et sans conséquence.

Edgar Degas est parfois rebaptisé « Dégas », comme se prononce le nom commun dégât. Les professeurs ou les journalistes qui font cela ont des yeux qui ont toujours vu écrit Degas, sans accent aigu, mais ils ont une bouche qui prononce un « é ». Ils le font sans intention ironique, et probablement sans s’en rendre compte. Quant au nom de Maurice Grevisse, le célèbre auteur du Bon usage, de savants universitaires en sont arrivés à le prononcer « Grévisse ». Jean Dutourd lui-même, à la page 145 d’À la recherche du français perdu (Plon, 1999), écrit : « Grévisse dénombre cent quatre vingt-cinq mots commençant par un h aspiré, parmi lesquels hameau, hargneux, harasser, hublot, hussard. » Sur la même ligne de texte une autre faute est commise : l’oubli du trait d’union qu’il faut entre quatre et vingt.

Cela dit, Dutourd ignorait-il vraiment la bonne graphie et la bonne prononciation de ce nom propre ? La version primitive de sa phrase (publiée dans un quotidien : on peut lire sur Internet la page où figure le petit encadré signé Dutourd, mais ni le nom du journal ni la date de parution n’apparaissent) ne comportait aucune des deux fautes sus-signalées.

Halte au massacre.

 

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commentaires

G
Bonjour.<br /> Alors qu'au Moyen Âge il était stable et systématiquement prononcé, il semble en effet qu'on rechigne de plus en plus à prononcer tel quel le "e" "muet".<br /> Je crois qu'en milieu de mot on ne le prononce plus obligatoirement qu'à la suite de deux sons consonnes différents (deux consonnes qui se prononcent séparément) : "justement", "risquera", " (De même dans une suite de mots : "os de poulet", "il reste là").<br /> Cet emploi du "e" anaptyxe (pardon) destiné à faciliter la prononciation, appelé : l’épenthèse, ou, plus précisément ici : la svarabhakti (pardon), se rencontre aussi dans certaines prononciations fautives : "arc-bouter" prononcé *"arc-e-bouter" (sinon : [Rkb]*), *"Ouest-e-France" (sinon : [stf]*), *"disc-e-jockey" (sinon : [skj]*), un train *"direct-e-Lyon" (sinon : [ktl]*), *mon ex-e-femme (sinon [ksf]*), voire : *peneu (au lieu de pneu*).<br /> Bref, il semble qu'on tend à se passer du "e" muet quand il n'est pas nécessaire pour prononcer les consonnes environnantes !
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L
A signaler aussi le mot récent « ingénierie » prononcé [ingéniérie], entre autres par Bernard Cerquiglini* lui-même lors d'une interview.<br /> <br /> * Dit le repentant du circonflexe. Voir son « Je pense que nous avons eu tort » à<br /> http://www.ledevoir.com/non-classe/462685/france-une-reforme-a-contretemps
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