Comme l’ont montré certaines des corrections que j’ai proposées précédemment, il y a des cas où la solution la plus élégante consiste à introduire au sein de la phrase non pas la subordination relative, mais un participe passé, devant lequel la séquence « qui est » ou « qui était » n’apparaît pas nécessaire. Certes, il vaut mieux que la proposition dans laquelle on se propose d’en insérer un ne comporte pas déjà un participe passé.
En effet, le simple ajout d’un participe passé se révélerait peu satisfaisant dans la phrase suivante :
« Berthet a déjà lu ces journaux plus tôt dans la journée, sur la plage de Cascais, pendant qu’Amina resplendissait au soleil et attirait le regard des hommes et des femmes, fascinés par son corps au point parfait, miraculeux, de la maturité, de la plénitude. Et c’est vrai qu’Amina était plastiquement sublime dans son bikini rose quand elle sortait de l’eau et ramenait ses cheveux en arrière. » (Jérôme Leroy, L’ange gardien, éditions Gallimard, Série noire, 2014, p. 80.)
Il manque un élément verbal. Plutôt que le simple ajout d’un participe passé (puisque la phrase comporte déjà « fascinés »), je propose de recourir à la subordination relative : « fascinés par son corps qui était parvenu au point parfait, miraculeux, de la maturité, de la plénitude » (ou : « qui avait atteint le point parfait… »).
En revanche, l’ajout d’un participe passé complète idéalement les extraits suivants :
« Louis entre le dernier dans le théâtre, quand tout le public est installé, déjà conquis, prêt à l’ovation. Quelque chose l’a toujours agacé dans cette étrange unanimité, avant même le lever de rideau. Il se demande si le public ne vient au théâtre que pour voir les acteurs de près et se persuader qu’ils sont magiques. » (Tonino Benacquista, Saga, éditions Gallimard, 1997, collection Folio, p. 294.) Quelque chose l’a toujours agacé dans cette étrange unanimité, obtenue avant même le lever de rideau.
« Le texte essentiel pour la théorie de la décadence de l’Europe de la fin du [XIXe] siècle, est les Essais de psychologie contemporaine, de Paul Bourget, en 1883. » (Pierre Jourde, Géographie intérieure, abécédaire, à l’entrée « Mastroianni (et glam rock) » ; éditions Grasset, collection Vingt-six, 2015, p. 142.) Esprit lucide et généreux, Pierre Jourde fait partie des très bons écrivains de notre temps. Pourtant, cette phrase est maladroite, ne fût-ce qu’à cause de l’absence de l’élément verbal qu’aurait dû appeler la présence du complément circonstanciel de temps (« en 1883 »).
Cet élément verbal qui manque, la forme « est » ne saurait la suppléer. Donc écrivons : « les Essais de psychologie contemporaine, de Paul Bourget, livre paru en 1883 ».
À propos de Gustave Glotz (1862-1935) : « Le souvenir de la défaite face aux troupes impériales prussiennes fut à n’en point douter un clément constitutif de sa personnalité et de ses analyses historiques. » (Patrice Brun, Démosthène : Rhétorique, pouvoir et corruption ; éditions Armand Colin, collection Nouvelles Biographies historiques, 2015, p. 55.) Le souvenir de la défaite subie face aux troupes impériales prussiennes…
« Dans un autre monde à une autre époque, c’est-à-dire la France jusqu’aux années 1960-1970, Fatima, Leïla et Samira se seraient prénommées Catherine, Nathalie et Françoise. Le préfet y aurait veillé, refusant tout prénom en dehors du calendrier ; la pression sociale des voisins, des proches, de la famille même parfois, aurait contraint les parents récalcitrants. » (Éric Zemmour, Le suicide français, éditions Albin Michel, 2014, p. 324.) Refusant tout prénom choisi en dehors du calendrier.
Début 2013, au Mali, est déclenchée l’opération Serval : « [Le 11 janvier], des commandos des forces spéciales arrivés du Burkina Faso commencent à freiner l’avancée djihadiste à Sévaré, Konna et Diabali. Un accrochage a lieu le jour même entre deux hélicoptères Gazelle des forces spéciales et un convoi de rebelles : un des pilotes français, le lieutenant Damien Boiteux, est tué par un tir hostile [sic ! anglicisme grossier]. La France rend aussitôt hommage à cette première victime dans ses rangs. » (Vincent Nouzille, Les tueurs de la République : Assassinats et opérations spéciales des services secrets ; éditions Fayard, 2015, p. 320.)
« À cette première victime faite dans ses rangs » ? Plutôt : « victime tombée dans ses rangs ». Au fait, parle-t-on des « rangs » de la France ? Non, bien sûr, il faut dire : « dans les rangs de son armée ». Que de maladresses !
Nos contemporains omettent presque systématiquement le participe « compris(e) » lorsqu’ils indiquent le début et la fin d’un certain laps de temps, dans les énoncés de ce type : « Pour la période entre 2001 et 2005, un système de contingentement des importations a été instauré. » (Voir : On mutile la syntaxe (3) : la question des fourchettes – suite et fin.)
C’est le même problème.
Dans l’introduction de son Suicide français, Éric Zemmour nous explique qu’à l’issue de la crise de mai 68 « [l]’État fut sauvé, mais pas la Société » : « Car la France sortie de 1789 avait consacré la victoire du peuple contre les aristocrates, de la Nation contre les rois, de la Loi contre les juges (les parlements), de l’État contre les féodaux, des jacobins contre les girondins, de la raison contre la superstition, des hommes retrempés dans une virile vertu spartiate contre la domination émolliente des femmes dans les salons et à la cour. » (Le suicide français, Albin Michel, 2014, p. 12.)
Là aussi, il manque quelque chose : « contre la domination émolliente exercée par les femmes dans les salons et à la cour ». Il vaut mieux ne pas tenter d’insérer ici une subordonnée relative : cela nous contraindrait à de laborieuses contorsions syntaxiques dans le but de lui faire exprimer l’antériorité par rapport au verbe principal, lequel est déjà au plus-que-parfait (« avait consacré »). Mais la meilleure façon d’améliorer cette phrase serait de rendre le dernier parallélisme un peu plus explicite : « des hommes, retrempés dans une virile vertu spartiate, contre les femmes, accusées d’avoir exercé dans les salons et à la cour une domination émolliente. »
Drieu la Rochelle, précurseur du français d’aujourd’hui ?… « [Gilles] arriva à Marseille, se coucha et soudain une grande douceur de mort descendit en lui. Son état d’âme était fort différent de celui qu’il avait connu lors de sa première blessure pendant la guerre quand il avait cru être tué ; il n’éprouvait plus cette ardente et forte curiosité métaphysique qui le faisait entrer comme tout armé dans la mort. » (Pierre Drieu la Rochelle, Gilles ; éditions Gallimard, 1939, texte complété en 1942 ; collection Folio, p. 393-394, et dans Romans, récits, nouvelles, Bibliothèque de la Pléiade, 2012, p. 1099.)
Il aurait fallu enrichir ce passage d’un élément essentiel, par exemple au moyen du gérondif : « celui qu’il avait connu en recevant sa première blessure, pendant la guerre, quand il avait cru être tué » (l’ajout d’une ou de deux virgules contribue aussi à rendre plus claire la séparation des diverses strates temporelles). De plus, il faudrait modifier le temps d’un verbe : « qui l’avait fait entrer comme tout armé… ».