Chacun de nous peut entendre prononcer, de plus en plus souvent : « La preuve en est, c’est que… » ; « Le fait est, c’est que… » ; « À cette différence près, c’est que… » ; « Toujours est-il c’est que… » ; « Force est de constater, c’est que… » ; « Pour la bonne et simple raison c’est que… » ; « Il faut savoir aussi c’est que… » ; « Je pars du principe c’est que… ».
L’incorrection est patente dans chacun de ces énoncés. Explicitons la construction d’origine : la preuve en est = la preuve de cela (de tel fait) est… Puis la conjonction que introduit une proposition complétive, attribut du sujet « la preuve ». De la même manière, il faudrait toujours dire : « Le fait est que… » ; « Toujours est-il que… » ; « à cette différence près que… » ; « pour la bonne et simple raison que… ». La complétive est tantôt attribut du sujet, tantôt liée à un nom dont elle explicite le contenu : l’espoir que, la preuve que, la pensée que, la crainte que…, etc.
Exemple de phrase correcte : « Vous devez reconnaître que toute théorie, qu’elle soit scientifique ou philosophique, est probable. La preuve en est que les thèses scientifiques, historiques, varient et qu’elles se font sous forme d’hypothèses. » (Jean-Paul Sartre, L’existentialisme est un humanisme, éditions Nagel, 1946, p. 133.)
Or l’oral affectionne le tour « c’est que… ».
À l’oral, il est devenu courant que « Le problème est que… » soit machinalement remplacé par : « Le problème, c’est que… ». Les universitaires parlent de dislocation. Le procédé est machinal : d’abord on prend son élan, en faisant peser sur le mot problème un accent d’insistance, témoignage de notre agacement ou de notre indignation, puis, après un détour par le pronom ce, on développe l’idée. La formule est lourde mais, grammaticalement, ne contient aucune incorrection.
Les tours suivants sont également corrects : « La preuve, c’est que… » ; « La preuve de ce que j’affirme, c’est que… » ; « Notre seule crainte, c’est que… ». Mais n’emmêlons pas deux formules incompatibles. On ne peut pas cumuler deux « est », ni un démonstratif et un « est », car l’adjectif démonstratif ou l’article défini préparent l’apparition du que : « à cette différence près que… » ; « pour la bonne et simple raison que… » ; « Je pars du principe que… ».
En revanche, on peut dire : « à une différence près, c’est que… », qui s’écrit aussi : « à une différence près : c’est que… ». Au contraire de l’article défini et de l’adjectif démonstratif, l’article indéfini est compatible avec « c’est que… ». Exemple : « Enfin l’on peut dire que la misantropie est naturalisée en Angleterre, aussi bien que la coquetterie en France, à une différence près, c’est que la misantropie Angloise est une suite [= un effet] de tempérament, et que la coquetterie Françoise est un résultat de légèreté. » (Essai sur l’origine et l’antiquité des langues, 1767, de Jean-Baptiste Perrin, qui était maître de français à Londres.)
Correct également : On part d’un principe, qui est que… Ou encore : On part d’un principe, c’est que… Mais non pas : « On part du principe, c’est que… » (« Moi je pars du principe c’est que s’il a besoin d’une autre femme que moi c’est que je ne lui suffis pas »).
« La preuve en est… » joue le rôle d’une élégance littéraire d’autrefois, qui laisse attendre une affirmation empreinte d’une certaine solennité. Quand vous renoncez brusquement à cette construction et que vous faites redémarrer la phrase par « c’est que », introduisant une inutile répétition du verbe être, vous sabotez l’effet recherché.
À propos de Fantin-Latour (qu’il appelle étrangement « Fantin » tout au long de son récit) et du tableau de ce dernier où sont représentés Verlaine, Rimbaud et six autres poètes, Guy Walter écrit : « En plus, avec sa toile d’Orsay, il n’avait pas triché. La preuve en est, c’est qu’il avait décidé de l’appeler Un coin de table. » (Guy Walter, Outre mesure, « histoires », éditions Verdier, 2014, p. 13.)
Curieusement, cette faute très actuelle a été commise en son temps par Nathalie Sarraute, dans un développement consacré à l’art d’Ivy Compton-Burnett : « Mais ses livres ont ceci d’absolument neuf, c’est qu’ils ne sont qu’une longue suite de dialogues. » (L’ère du soupçon, « Conversation et sous-conversation » ; Gallimard, 1956, collection Les Essais, n° LXXX, p. 120 ; et au format de poche dans la collection Idées, p. 142.) Il faut supprimer le c’est, ou écrire par exemple, en utilisant le double point : « Mais ses livres ont ceci d’absolument neuf : ils ne sont qu’une longue suite de dialogues. »
À peine moins maladroite, cette phrase extraite d’un billet du Blog d’un odieux connard (daté du 16 novembre 2009) : « Preuve en est, nous trouvons sur le site cette affirmation bien mystérieuse […]. » L’odieux mais sympathique auteur aurait pu écrire : J’en veux pour preuve le fait que…
J’ai trouvé la plus ancienne attestation de cette tournure dans une page de Drieu la Rochelle : « Il lui semblait [= à Alice] que tout s’en allait avec Gilles. Elle eut dans les os un de ces frémissements terribles qui annoncent la mort dans la vie d’un être. / Et Gilles ressentit par contre-coup ce frémissement. Bien plus fortement qu’avec Myriam, il entrevit cet aspect tragique de la destinée, c’est que nous nous apportons la mort les uns aux autres. » (Pierre Drieu la Rochelle, Gilles ; éditions Gallimard, 1939, texte complété en 1942 ; collection Folio, p. 241.)
Autre formulation pléonastique : « Le phénomène s’explique parce que… », au lieu de : par le fait que.