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12 juin 2010 6 12 /06 /juin /2010 21:27

Lisant le crayon à la main, je ne suis jamais à court de ces phrases que leurs auteurs n’ont pas suffisamment méditées avant de les remettre à leur éditeur. Nombre d’entre elles témoignent de la prodigalité avec laquelle nous employons la proposition subordonnée relative.

Le phénomène est-il récent ? Pas sûr. Les passages qu’on va lire ont été écrits sur une période de près d’un siècle.

 

Nous avons vu que Michel Déon prend rarement la peine de signaler par la ponctuation la différence qui existe entre les deux types de subordonnée relative, mais il lui arrive aussi de commettre une sorte d’abus de la subordination relative :

« Ben ne fit aucune difficulté pour accepter l’argent qu’il tendit à Maureen. Sans les compter elle jeta négligemment les billets dans un tiroir et prépara une nouvelle théière. » (Michel Déon, Les poneys sauvages, « Édition revue et corrigée avec une note de l’auteur », Gallimard, collection NRF, 2010, p. 435. La phrase était identique dans la première édition, Gallimard, 1970, p. 372.) Ben, c’est un certain Benjamin Ango ; lui et sa femme Maureen naviguent à bord d’un voilier le long des côtes du Yémen. Un ancien légionnaire, nommé Caulaincourt, vient de tendre à Ben Ango une liasse de billets de cent dollars.

Le narrateur choisit de fondre les deux actions en une seule phrase par le recours à la subordonnée relative. Mais, en omettant la virgule avant la relative, il suggère que les deux actions – recevoir l’argent des mains de Caulaincourt, le tendre à Maureen – sont simultanées.

On aurait pu dire : « Ben ne fit aucune difficulté pour accepter l’argent et le tendit à Maureen » (la virgule cessant d’être nécessaire). Un dédoublement aurait alourdi le texte : « Ben ne fit aucune difficulté pour accepter l’argent. Il le tendit à Maureen » (ou : « Il tendit les billets à Maureen »). Peut-être aurait-on pu dire : « Ben, qui ne fit aucune difficulté pour accepter l’argent, tendit les billets à Maureen. Sans les compter elle les jeta négligemment dans un tiroir »… Mais ce choix laisse subsister l’impression que les actions sont simultanées, alors qu’elles devraient apparaître comme successives.

Si l’on tient absolument à faire de la relative une sorte de clausule, censée renforcer l’euphonie ou la musicalité de la phrase (et comme on en trouve dans la prose latine), il faut ponctuer : « Ben ne fit aucune difficulté pour accepter l’argent, qu’il tendit à Maureen. » Ajoutons peut-être un adverbe dans cette relative : ensuite ou aussitôt.

La relative n’est pas de nature déterminative… sans que nous puissions pour autant la décréter explicative. Toutefois, la virgule est nécessaire comme si cette relative était indubitablement explicative (ou circonstancielle).

Pour tenter une caractérisation, je dirai que les relatives de ce type ont une valeur narrative.

 

Généralement ces relatives à valeur narrative me paraissent maladroites :

« Trois cavaliers en manteaux noirs remontaient la rue du Faubourg-Saint-Antoine. […] Les voici à l’arrière d’un immeuble décrépi [sic]. Barras et Buonaparte descendirent de leurs chevaux qu’ils confièrent au troisième homme. » (Patrick Rambaud, Le chat botté, roman, éditions Grasset, 2006, p. 184.) Mettons la virgule qui manque, ou écrivons simplement : « et les confièrent… ».

« Nounours s’est rué sur la porte vitrée qu’il a ouverte en grand pour aérer. » (Olivier Maulin, Petit monarque et catacombes, l’Esprit des péninsules, 2009, p. 241 ; Nounours est le surnom d’un garde républicain affecté au palais de l’Élysée.) Certes, il aurait fallu mettre une virgule avant la subordonnée relative. Mais que peut bien apporter l’emploi d’une relative ici ? Il serait tellement plus naturel d’écrire : « Nounours s’est rué sur la porte vitrée et l’a ouverte en grand pour aérer. »

« Elle me débarrassa de mon chapeau qu’elle déposa sur le coin de la table qui supportait déjà, au centre d’un napperon, un verre à pied et une bouteille de vermouth encore pucelle, manifestement achetée à mon intention, puis elle m’avança une chaise : […] ». (Léo Malet, Les eaux troubles de Javel, éditions Robert Laffont, 1957, chapitre premier ; texte consulté dans l’édition au format poche de la collection 10/18, p. 15. Burma est accueilli par sa cliente au domicile de celle-ci.) Préférons : « Elle me débarrassa de mon chapeau et le déposa sur le coin de la table qui supportait déjà », etc. On évite ainsi d’accumuler lourdement les pronoms relatifs, et on privilégie le rôle descriptif de la subordination relative.

Dans l’avant-dernier chapitre d’Un taxi mauve, roman de 1973, le narrateur et son ami Jerry Kean se trouvent devant un hôpital. La fiancée de Jerry Kean y est soignée après avoir tenté de se suicider : « On ne laissa pas monter Jerry avec qui je restai assis sur un banc au bord de la pelouse : / – […]. » (Un taxi mauve, Gallimard, NRF, p. 286, et en Folio, p. 404.) Écrivons : « On ne laissa pas monter Jerry et je restai assis avec lui sur un banc », ou plutôt : « et je m’assis avec lui sur un banc » (car jusqu’à ce moment les personnages se tenaient debout).

Cyrille Galant est venu retrouver le jeune Paul Morel, fils du président de la République, dans une chambre d’hôtel : « L’autre [= Paul Morel] alla vers la table de nuit qu’il entr’ouvrit. À l’étage du dessus, à côté du pot de chambre, était posé un revolver. » (Pierre Drieu la Rochelle, Gilles ; éditions Gallimard, 1939, texte complété en 1942 ; collection Folio, p. 444-445.) Écrire plutôt : « L’autre alla vers la table de nuit et l’entr’ouvrit. »

Autre chambre, autre revolver. Un espion qui a travaillé au service des communistes et, simultanément, au service de l’Église orthodoxe russe, est sur le point d’être exécuté par d’autres agents communistes. En entrant dans la chambre où s’est réfugié leur ex-camarade, les tueurs ont posé un revolver sur la table de nuit. Voici la conclusion de la nouvelle : « Les hommes dans la chambre s’ébrouèrent. Celui qui était leur chef se leva et prit le revolver qu’il porta vers le ventre de ce terrible brouillon : / “Tu es un chien.” » (Drieu la Rochelle, « L’agent double » [1935], nouvelle incluse dans Histoires déplaisantes, Gallimard, 1963, p. 122. Ces deux paragraphes sont en italique dans le texte.)

On aurait préféré : « Celui qui était leur chef se leva et prit le revolver et le porta vers le ventre de ce terrible brouillon » ; ou, plus classiquement : « Celui qui était leur chef se leva. Il prit le revolver et le porta… »

 

J’ai trouvé quelques échantillons de cette subordonnée relative à valeur narrative dans la prose de Patrick Modiano.

Un certain Jean Murraille, directeur d’un journal collaborationniste, a proposé au narrateur du roman une cigarette, puis : « Il a sorti de sa poche un briquet en platine qu’il a ouvert d’un geste sec. » (Patrick Modiano, Les boulevards de ceinture, éditions Gallimard, 1972, collection Folio, p. 39.) On pourrait se contenter d’introduire une virgule, mais il me semble préférable d’écrire : « et l’a ouvert d’un geste sec ».

Un samedi soir d’octobre 1973, le narrateur de Livret de famille est interrogé par des policiers pour avoir été témoin, dans un café de l’avenue de Messine, du décès d’un client qui était installé à une table peu éloignée de la sienne. Un sac de plastique était posé à côté de cet homme. « Ils [= les policiers] ont fouillé dans le sac en plastique noir d’où ils ont sorti un petit magnétophone d’un modèle perfectionné et le paquet de forme pyramidale et de couleur bleu ciel que j’avais déjà remarqué. » (Patrick Modiano, Livret de famille, chapitre VI, éditions Gallimard, 1977 ; Folio, p. 90.)

Mieux vaut écrire ceci : « Ils ont fouillé dans le sac en plastique noir. Ils en ont sorti un petit magnétophone… et le paquet de forme pyramidale… »

Certes, la relative peut se justifier, à condition qu’elle soit précédée d’une virgule : « Ils ont fouillé dans le sac en plastique noir, d’où ils ont sorti un petit magnétophone », etc. Néanmoins, je persiste à penser que les détails sur lesquels un auteur veut attirer notre attention ne devraient pas être relégués au fond d’une subordonnée relative.

Une jeune femme, Chantal Grippay, a invité chez elle un homme qu’elle connaît à peine, Jean Daragane, pour lui montrer divers documents : « De nouveau, elle se renversa sur le lit et prit au bas de la table de nuit une chemise en carton bleu ciel qu’elle ouvrit. Elle contenait des pages dactylographiées et un livre qu’elle lui tendit : Le Noir de l’été. » (Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Gallimard, 2014, Folio, p. 31.)

Plusieurs maladresses dans ce passage. Chantal Grippay s’était une première fois renversée sur le lit, à la page précédente, dans le but d’attraper « un volume à couverture verte sur la table de nuit ». Par conséquent, dans la phrase qui nous occupe, la locution « de nouveau » s’applique au seul verbe « se renversa » et non pas au verbe « prit », qui lui est pourtant coordonné. Corrigeons cette erreur : « Elle se renversa de nouveau sur le lit et prit… ». Puis faisons en sorte qu’il n’y ait pas de subordonnée relative à valeur narrative : « Elle se renversa de nouveau sur le lit, prit au bas de la table de nuit une chemise en carton bleu ciel et l’ouvrit. »

Dans la deuxième phrase, en revanche, le choix de la subordination relative est parfaitement justifié (« qu’elle lui tendit ») : le passé simple se détache par rapport à l’imparfait employé dans la proposition principale (« contenait »). En outre, grâce à la présence du titre cité en italique après le double point, le lecteur comprend sans difficulté qu’on tend à Jean Daragane le livre seul, et non pas les pages dactylographiées et le livre.

 

« [Goebbels] réduisit si bien [les journalistes] au silence qu’en l’espace de quelques semaines plus personne en Allemagne ne mentionna le nom juif de Magda qui disparut des registres pour des décennies. » (Tobie Nathan, Qui a tué Arlozoroff ?, Grasset, 2010, p. 376.) Rappelons que le nom de jeune fille de Magda Goebbels était Friedländer.

On peut se contenter de mettre une virgule avant la subordonnée relative, parce que cette relative n’est pas déterminative, et parce que le lecteur ne doit pas être tenté de faire de Magda l’antécédent du qui.

On peut aussi écrire : « et que celui-ci disparut des registres » ; voire : « et celui-ci disparut des registres ». Ces deux dernières solutions sont préférables à la première, car en règle générale il vaut mieux éviter de reléguer l’information la plus importante dans une proposition subordonnée relative.

(Noter que la relative est ici de nature pleinement circonstancielle, car elle équivaut à une subordonnée conjonctive exprimant la conséquence : « de sorte qu’il disparut des registres pour des décennies ».)

 

Il arrive que l’écrivain situe le pronom relatif beaucoup trop loin de son antécédent. C’est ce qu’on peut observer dans le passage suivant, que je tire d’un roman pour adolescents :

« Graymes se coiffa de son chapeau à larges bords. Il saisit au passage une amulette blottie au fond d’un coffret ouvragé qu’il enroula autour de sa main gauche avant de redescendre à pas de loup… » (Michel Honaker, Chasseur Noir III : L’Enchanteur de Sable ; Flammarion, collection Tribal, 2010, p. 129. Les points de suspension sont dans le texte.) Bien sûr, un coffret ouvragé ne saurait être enroulé autour d’une main : le véritable antécédent du pronom relatif est donc le nom amulette (il en existe de flexibles…). Pour clarifier la syntaxe, on pourrait déjà mettre entre virgules le syntagme qui sépare le relatif et son antécédent (« blottie au fond d’un coffret ouvragé »).

Mais le mieux serait d’écrire, en modifiant la phrase : « Il saisit au passage une amulette blottie au fond d’un coffret ouvragé et l’enroula autour de sa main gauche avant de redescendre à pas de loup… » J’y ajouterais même une relative à verbe être : « Il saisit au passage une amulette qui était blottie au fond d’un coffret ouvragé et l’enroula », etc. Cette fois, la phrase se comprend au premier coup d’œil.

 

Il n’est pas rare que la subordonnée relative soit placée après un groupe nominal comportant un nom complété et un nom complément (reliés l’un à l’autre par une préposition).

L’antécédent du pronom relatif est l’un des noms qui forment ce groupe nominal… mais lequel ? Parfois, le contexte permet seul de le deviner.

Au début de son essai De quoi Badiou est-il le nom ? (éditions l’Harmattan, collection Théôria, 2009, p. 5), Kostas Mavrakis écrit ceci : « En 1993, il [= Alain Badiou] présida le jury de ma thèse qu’il défendit admirablement. » La relative devrait être précédée d’une virgule. Pourtant, même pourvue de la fameuse virgule, la phrase reste floue : « il présida le jury de ma thèse, qu’il défendit admirablement ». Le lecteur a l’impression que l’homme auquel se réfère le pronom il a défendu non pas la thèse mais le jury. Or le véritable antécédent du pronom relatif est le groupe « ma thèse ». Pour faire disparaître l’amphibologie, il suffirait d’écrire : « En 1993, il présida le jury de ma thèse et défendit celle-ci admirablement » ; ou plus simplement (car cela ne crée pas d’amphibologie) : « et la défendit admirablement ».

 

Mais ne généralisons pas :

« À Naples il [= un jeune homme du nom de Francesco Brigante] alla chez l’ami du juge, qui le reçut avec bienveillance et qui fut favorablement impres­sionné par son silence et sa placidité, si étrangers aux habitudes napolitaines. » (Roger Vailland, La loi, roman, éditions Gallimard, 1957 ; Folio, p. 149.)

La construction équivaut à : « il alla chez l’ami du juge et l’ami du juge le reçut avec bienveillance et fut favorablement impressionné… » ; on ne peut éviter la répétition du groupe « l’ami du juge », car recourir au démonstratif celui-ci ferait naître un soupçon d’amphibologie. Disons-le tout net : le choix qu’a fait Vailland du pronom relatif est excellent. Ce mot allège la phrase parce qu’il renvoie à son antécédent de manière limpide, et ce d’autant mieux que l’auteur s’est bien gardé d’omettre la virgule qui devait le précéder.

Pourquoi ce choix fonctionne-t-il si bien dans cette phrase de Roger Vailland ? Je pense que le phénomène s’explique par la présence, entre l’antécédent et le pronom relatif, d’un complément du nom (« du juge »). Dans ce cas de figure, le choix du pronom relatif précédé d’une virgule s’avèrera toujours plus efficace que la répétition de tout le groupe nominal.

Le phénomène s’explique aussi par le fait que le nom complété et le nom complément sont du même genre grammatical : pour faire comprendre au lecteur que l’antécédent du relatif est le premier nom du groupe, il est plus facile de recourir à une virgule que de tenter une manœuvre de coordination (avec substitution pronominale).

Autre démonstration de l’utilité de cette forme de subordination relative : « L’homme tourna la clé dans la serrure qui grinça ; […]. » (Émile Moselly, Fils de gueux, 1912 ; réédition par Albin Michel en 1929, p. 53.) Si nous y introduisons la virgule qui manque avant le pronom relatif, nous obtenons une phrase assez brève pour être facilement mémorisée : « L’homme tourna la clé dans la serrure, qui grinça. »

Personne ne voudrait ici répéter le mot serrure : « L’homme tourna la clé dans la serrure et la serrure grinça » ; ni éviter cette répétition par le recours à un démonstratif : « et celle-ci grinça ». Probablement est-ce pour une raison sémantique. On constate que la proposition relative énonce un fait qui est d’une importance secondaire par rapport à l’action exprimée par la principale. Cette relative est en quelque sorte facultative et, bien qu’elle soit au passé simple, son rôle est plus descriptif que narratif.

 

Il est temps de conclure.

Toutes les phrases précédemment citées ont un point commun. Le verbe principal et le verbe subordonné y sont mis au même temps grammatical et ils expriment tous les deux une action limitée et achevée, dite action de premier plan. Les temps qui sont affectés à l’expression des actions de premier plan, on les qualifie de temps de base : ils font avancer le récit. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de parler de subordonnées relatives à valeur narrative.

Pour des raisons d’élégance et de clarté syntaxique, il vaut mieux éviter d’employer la subordination relative lorsque les deux actions qu’on veut lier dans la phrase sont des actions de premier plan, donc énoncées l’une et l’autre au moyen du même temps de base (passé simple, passé composé ou présent de l’indicatif).

La connaissance de ce principe vous aidera à bien écrire, mais gardez-vous de l’appliquer à des cas semblables à ceux qu’illustre l’extrait de Moselly ou la phrase de Roger Vailland.

 

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