Maintenir dans l’écrit la différence entre subordonnée relative explicative et subordonnée relative déterminative (ou restrictive) est essentiel pour la survie du sens. Aujourd’hui, cette différence est profondément méconnue.
Dans le cas d’une proposition subordonnée relative déterminative, il n’y a entre l’antécédent et la proposition ni pause à l’oral ni virgule à l’écrit. En revanche, lorsque la proposition subordonnée relative est explicative, cette pause et cette virgule sont nécessaires à l’intelligibilité de la phrase.
Si j’écris : Élise a eu des amants qui sont venus chez ses parents, la subordonnée relative est déterminative (= certains des amants d’Élise sont venus chez ses parents). Mais si j’écris : Élise a eu des amants, qui sont venus chez ses parents, la subordonnée relative est explicative (= les amants qu’Élise a eus sont tous venus chez ses parents).
Quand on lit la première phrase, on s’intéresse principalement au contenu sémantique du nom amants, puisqu’il dépend du contenu de la relative qui suit ce nom. La relative située en aval vient restreindre après coup le champ de signification de son antécédent. La phrase laisse entendre qu’Élise a eu toutes sortes d’amants, mais notre curiosité n’est aiguillée que vers une certaine catégorie d’entre eux. Dans la seconde phrase, la subordonnée relative apporte une simple précision, une indication facultative : l’affirmation importante, c’est qu’Élise a eu des amants ; l’affirmation accessoire est que ceux-ci sont venus chez ses parents.
Avec une négation, les choses sont un peu plus subtiles. Dans la phrase : Les professeurs qui étaient en grève n’ont pas déjeuné à la cantine, la subordonnée relative est déterminative. Mais si j’écris : Les professeurs, qui étaient en grève, n’ont pas déjeuné à la cantine, la subordonnée relative est explicative. Dans le premier cas, il y a quelques professeurs à la cantine. Dans le second cas, il n’y en a aucun. Sur le plan formel, les deux phrases ne se distinguent que par une paire de virgules, présente dans un cas et absente dans l’autre, alors que ces phrases ont un sens très différent.
Remarque : on qualifie généralement d’explicative la relative encadrée par deux virgules, mais le rapport logique qu’exprime cette relative n’est pas nécessairement causal. Observez maintenant cet énoncé un peu étrange : Les professeurs, qui étaient en grève, ont déjeuné à la cantine. La phrase laisse entendre qu’on ne s’attendait pas à voir les professeurs déjeuner à la cantine. La relative exprime alors l’idée d’opposition. Elle équivaut à : qui pourtant étaient en grève. La relative explicative peut donc aussi être appelée relative circonstancielle.
« C’était donc ça : à la fin des fins, le peuple s’est révélé pour ce qu’il est – docile. Pour les maos qui ont tout misé sur lui, la leçon fut rude. Certains ne s’en remettront pas. D’autres jetteront aux orties leur ancienne idole. » (Jean Birnbaum, Les Maoccidents, Stock, sept. 2009, p. 98.) Je n’épiloguerai pas sur la brusque transition du passé composé au passé simple, puis au futur, qui est fort maladroite. Constatons simplement que, dans la deuxième phrase, il manque une virgule entre le nom maos et le pronom relatif qui. La proposition subordonnée relative devrait être ici explicative (ou circonstancielle) et non pas déterminative, car c’est l’ensemble des maos, et non une partie d’entre eux, qui ont tout misé sur le peuple. La preuve : les deux phrases qui suivent, également incluses dans la citation que j’ai faite, nous expliquent comment s’est divisée en deux courants distincts la totalité « maos ».
« On est entré<s> directement dans la salle du restaurant qui n’était même pas fermée à clé ! » (Olivier Maulin, Les Évangiles du lac, l’Esprit des péninsules, 2008, p. 71.) Une virgule est absolument nécessaire devant la proposition relative, cette dernière ayant une valeur circonstancielle et non déterminative. Sans la virgule, et bien que soit présent à l’intérieur de la relative l’adverbe même, qui singularise, le lecteur s’imagine que le restaurant comporte plusieurs salles, ce que dément le reste du roman.
Dans le bandeau de la une du Figaro littéraire du jeudi 25 mars 2010, on peut lire ceci : « Juliette Binoche : L’actrice évoque les livres qui l’ont marquée, parmi lesquels le dernier ouvrage de Christiane Singer qu’elle a enregistré. Entretien. »
Or, en l’absence de l’indispensable virgule, on comprend que Juliette Binoche a enregistré sa lecture de plusieurs livres de Christiane Singer, et qu’elle évoque le dernier d’entre eux dans l’entretien accordé à ce journal. L’article, qui figure à la page 7, dissipe le malentendu en faisant apparaître la virgule qui avait été omise à la une.
J’ai souvent constaté que Jean Anouilh ne tenait pas compte de la distinction entre relative déterminative et relative circonstancielle, écrivant par exemple que Julien « va frapper à la porte du cabinet de toilette qui est fermée » (Colombe, acte I). On doit un peu se forcer pour voir ici une équivoque, puisque le lecteur de la pièce, connaissant le contexte, la remarque à peine. En d’autres endroits, l’équivoque est plus grave.
Michel Déon, lui non plus, ne se souciait guère de distinguer les deux types de relative : « En fin d’après-midi, nous arrivâmes à Paris. […] M. et Mme Dudelé prirent le métro qui convenait à leurs modestes moyens. » (Michel Déon, Les trompeuses espérances, Plon, 1956 ; réédition de 1990, Gallimard, collection Folio, p. 117.) Or il n’existe pas plusieurs sortes de métros, dont une seule eût convenu aux moyens des époux Dudelé… Cette subordonnée relative ne peut être que circonstancielle. Il faudrait qu’elle soit précédée de la virgule.
Même problème dans certains passages de Malraux : « J’appelle ce livre Antimémoires, parce qu’il répond à une question que les Mémoires ne posent pas, et ne répond pas à celles qu’ils posent ; et aussi parce qu’on y trouve, souvent liée au tragique, une présence irréfutable et glissante comme celle du chat qui passe dans l’ombre : celle du farfelu dont j’ai sans le savoir ressuscité le nom. » (Antimémoires, collection NRF, 1967, p. 20, et dans Œuvres complètes, volume III, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1996, p. 16.) Une virgule est nécessaire entre farfelu et dont.
Notez, par parenthèse, qu’il y a devant chat l’article défini : Malraux ne parle pas de la présence d’un chat qui passe dans l’ombre, mais de celle du chat ; passer dans l’ombre est comme sa définition. Ces détails me plaisent. Quant à la « question que les Mémoires ne posent pas », il s’agit sans doute de celle-ci : quel est le fonctionnement authentique d’une mémoire d’homme ? Malraux y a répondu en composant un récit qui entrelace les époques, parfois au sein d’une même page, et où se confondent, de manière inextricable, le souvenir et l’imaginaire, le vécu et la fiction…
Analysant Sauve qui peut (la vie), le critique Marc Cerisuelo évoque le moment où ce film de Godard fait entendre plusieurs phrases de Marguerite Duras : « Son écriture [= l’écriture de Marguerite Duras] porte [?] le film et sa propre voix guide plusieurs séries d’images. Rien que de très normal pour cet auteur auquel Godard rend ici un hommage appuyé : Duras est un cinéaste de la parole que Godard rattache à la lignée de Guitry et de Pagnol (le propos est souligné par l’image de Paul lisant la monographie de Claude Beylie consacrée à l’auteur d’Angèle). » (Marc Cerisuelo, Jean-Luc Godard, éditions des Quatre-Vents, collection Spectacle/poche 1989, p. 203.)
La ponctuation servirait mieux le sens si une virgule était ajoutée entre le nom parole et le relatif que. D’une part, nous comprendrions plus vite que l’antécédent de ce pronom relatif n’est pas parole mais cinéaste ; et d’autre part les idées seraient ainsi mieux séparées : premièrement, « Duras est un cinéaste de la parole », et deuxièmement elle est un cinéaste « que Godard rattache à la lignée de Guitry et de Pagnol » ; le nom cinéaste ayant deux compléments.
Johnny Knocks, un Américain qui vient de commettre un meurtre, est en fuite. Une jeune Anglaise prénommée Samantha voyage avec lui : « Ils [= Johnny et Samantha] n’avaient pas dormi depuis trente-six heures et le crépuscule tombait lorsque Johnny, roulant sur une petite route, en plein bois, trouva une maison isolée couverte de bardeaux qui lui plut. » (Vladimir Volkoff, « Le cochon et le chevalier », dans Nouvelles américaines, éditions Julliard et l’Âge d’Homme, 1986, p. 180-181.)
Du fait de la présence d’un second adjectif (« couverte »), la relative qui suit ne peut pas être considérée comme déterminative. L’auteur n’a pas voulu dire que Johnny, parmi plusieurs maisons isolées et toutes couvertes de bardeaux, en trouva une qui lui plut. Donc la virgule s’impose : « trouva une maison isolée couverte de bardeaux, qui lui plut ». Autrement dit : « Johnny […] trouva une maison isolée couverte de bardeaux. Elle lui plut. » Ou mieux encore : « Johnny […] trouva une maison isolée qui lui plut. Elle était couverte de bardeaux. »
Mais déjà en 1972…
Trois hommes se sont réunis dans une auberge : un dénommé Murraille, un dénommé Marcheret et le père du narrateur. « Ils ont commandé des cocktails d’une écœurante et inutile complication que Maud Gallas a confectionnés, aidée par Marcheret qui lui lançait des plaisanteries douteuses l’appelant “ma grosse Maud” ou “ma Tonkinoise”. » (Patrick Modiano, Les boulevards de ceinture, éditions Gallimard, 1972, collection Folio, p. 15.)
Tout d’abord je préconise ici l’ajout de deux tirets : « Ils ont commandé des cocktails – d’une écœurante et inutile complication – que Maud Gallas a confectionnés »… Mais il manque aussi quelque chose entre « douteuses » et « l’appelant ». Ajoutons-y au moins une virgule, ou bien la préposition en (qui fera du participe présent un gérondif : « en l’appelant »), afin que le lecteur sache qu’« appelant » se rapporte au pronom sujet qui (dont l’antécédent est le nom Marcheret) et non pas au syntagme « plaisanteries douteuses ».
Pourquoi des tirets ? Parce qu’une virgule placée avant « que Maud Gallas a confectionnés » rendrait la phrase encore moins claire qu’elle n’est actuellement. Mais si l’on veut gagner en fluidité syntaxique, on agencera les actions sous la forme de deux phrases distinctes : « Ils ont commandé des cocktails d’une écœurante et inutile complication. Maud Gallas les a confectionnés, aidée par Marcheret », etc.
Il est rare que le contraire se produise et qu’une subordonnée relative déterminative soit prise pour une circonstancielle. Pourtant, voyez ces virgules intempestives : « Quand [Duteurtre] obtient, l’automne dernier, le prix Médicis pour son Voyage en France, la minorité du jury, qui n’avait pas voté pour lui, quitte ostensiblement l’assemblée en protestant haut et fort. » (Jean-Pierre George, postface d’un livre de Benoît Duteurtre, À propos des vaches, nouvelle édition, la Table Ronde, Petite Vermillon, 2003, p. 182-183.) Ce Jean-Pierre George se révèle ici piètre syntaxier.
Dans certains cas, le problème ne se réduit pas à l’absence de la virgule (ou à la présence d’une virgule intempestive) : « Le 15 janvier 1919, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg qui venait de sortir de prison, furent assassinés par la cavalerie de la Garde, appelée à la rescousse par le Président Ebert, pourtant social-démocrate. » (Tobie Nathan, Qui a tué Arlozoroff ?, Grasset, 2010, p. 91.) Il faudrait mettre une virgule à l’orée de la relative et remplacer qui par laquelle, afin que cette phrase ait la même signification pour qui la lit et pour qui l’entend. Celui qui entend lire cette phrase et ne l’a pas sous les yeux est incité à croire que Karl Liebknecht est lui aussi sorti de prison en 1915, comme si le verbe « venait » avait été au pluriel.
Autre passage où manque la virgule qui aurait dû précéder une relative explicative : « Devant l’abondance de cette production [= la production de livres et d’articles consacrés à Napoléon], le lecteur peut, à juste titre, être pris de vertige. Le présent ouvrage n’a d’autres prétentions que de lui apporter les éclaircissements nécessaires sur le grand homme auquel il sera souvent donné la parole. » (Éric Anceau, Napoléon, « Préambule », éditions J’ai lu, collection Librio, 2004, p. 11.)
Mais ajouter cette virgule me semble moins intéressant que de remplacer la relative par un infinitif coordonné : « Le présent ouvrage n’a d’autres prétentions que de lui apporter les éclaircissements nécessaires sur le grand homme et de donner la parole à ce dernier aussi souvent que possible. » (L’adverbe souvent ne pouvait, dans la phrase modifiée, être maintenu tel quel. D’autre part, j’ajouterais volontiers l’adjectif tous devant « les éclaircissements nécessaires ».)
Comme le montre cet exemple, un nouvel usage de la proposition subordonnée relative est en train de se développer, où celle-ci vient se substituer à la coordination. Mon prochain article fournira d’autres illustrations de ce curieux phénomène.