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6 mars 2010 6 06 /03 /mars /2010 23:56

Elle nous accable partout, l’omission de la négation ne. Dans certains livres, l’absence de cet adverbe se constate dans tel paragraphe et pas dans tel autre, au petit bonheur, ce qui renforce l’impression d’incohérence syntaxique que procure si uniformément notre littérature de vaches maigres. Exemples :

« – Ma première maîtresse, je te dis… Après elle, on a plus besoin de personne… », déclare un personnage du roman d’Olivier Maulin En attendant le Roi du Monde (l’Esprit des péninsules, 2006, p. 116). « – Tu sais, il faut que tu comprennes une chose, c’est qu’on est pas des hippies pourris qui pensons que les esprits sont tous gentils. […] On est pas des rescapés de Findhorn [= communauté New Age qui s’est créée en Écosse au début des années 1960]. On n’adore pas l’esprit des petits pois. C’est clair ? » (Olivier Maulin, Les Évangiles du lac, l’Esprit des péninsules, 2008, p. 244.)

Dans le roman Des hommes de Laurent Mauvignier, nous lisons (Minuit, 2009, p. 142) : « [E]t bientôt on entend rien que les larmes et la plainte infinie de la femme qui se jette sur l’enfant. » Cette fois, il ne s’agit pas de paroles tirées d’un dialogue, mais du discours attribuable au narrateur lui-même, déployé sous la forme d’un monologue intérieur, au cœur d’un roman encensé par la critique.

« Heureusement on a pas mis le feu au train ! », lit-on dans Le train des dragons, album pour les petits, écrit et illustré par Lucie Phan (l’École des loisirs, 2010).

Il faut admettre que cette omission du ne à l’écrit ne fait qu’entériner un usage de plus en plus répandu à l’oral, depuis un bon siècle, et qu’elle risque de nous paraître bénigne et insignifiante, sous prétexte que, dans nombre de cas, le ne reste audible même s’il n’est pas écrit. Contrairement à tant d’autres liaisons qui ont récemment disparu, la liaison du on au mot suivant s’il commence par une voyelle semble se maintenir : « on a pas » et « on n’a pas » se prononcent de la même façon – mais pour combien de temps encore ?

Cela ne suffit pas à légitimer l’omission du ne dans la prose soignée ou qui veut passer pour telle. Cette omission est particulièrement malencontreuse si elle introduit de l’équivoque, ce qui se produit dès lors qu’est employé l’adverbe de négation plus. En effet, comme il n’existe plus aucun moyen de distinguer J’ai plus mal (= je souffre davantage) de J’ai plus mal (= je n’ai plus mal), la première de ces phrases en est venue à se prononcer ainsi : « J’ai plusse mal. » À l’oral, l’omission du ne aura donc suscité son remède.

Hélas, pauvre remède !

« Plusse que jamais, les réformes sont nécessaires » (ce qui se disait auparavant : plu’ que jamais), « Futurama est beaucoup plusse subversif que les Simpson », « Je vais employer un terme un peu plusse parlant », « Vous trouverez peut-être plusse facilement », « C’est devenu plusse important », et même : « Moi, j’ai plusse préféré l’autre »… Nous entendons cela tous les jours, dans la bouche de nos voisins et de nos amis, tout autant que sur France Culture.

Non seulement les règles qui avaient cours depuis des siècles, soit la non-prononciation du s devant une consonne (comme dans plus subversif) et l’ancienne liaison (en z) devant une voyelle (comme dans plus important), ont été déprogrammées dans les esprits, mais on constate en outre la présence d’une micro-coupure entre « plusse » et tout adjectif commençant par une voyelle. Plus important se prononce : « plusse himportant » (comme si l’adjectif commençait par un h aspiré). Comment avons-nous pu en arriver à cette manière d’achopper sur tous les mots ? La langue a perdu son lié. Ses locuteurs natifs la parlent à peine mieux qu’une langue étrangère apprise au collège. Les mots français sont devenus des galets tout lisses, ils ne s’emboîtent plus les uns dans les autres.

En 1968 ou 1969, quand fut doublé en français le sublime Il était une fois dans l’Ouest, la consonne s de l’adverbe plus ne se prononçait pas encore, ni lorsque ce dernier était combiné avec ne, pour exprimer la négation, ni lorsqu’il voulait dire « davantage », sans ne. On peut le vérifier en consultant le DVD du film de Sergio Leone, à une heure et cinquante et une minutes du début : le shérif de Flagstone annonce au « Cheyenne » (Jason Robards), de nouveau menotté, qu’on va le conduire à la prison de Yuma (fine allusion…), dans laquelle il trouvera d’exceptionnelles conditions de sécurité. « Tu vas à la gare de chemin de fer, lui dit le shérif. Tu prendras le train pour Yuma. Ils ont une prison moderne là-bas, avec plus de murs, plus de barreaux, plus de gardiens. Tu commenceras à l’apprécier… dans vingt ans ! Tu verras ! »

Les plus de la phrase située au centre de cette réplique ont beau être synonymes de l’adverbe davantage, ils sont tous prononcés « plu ».

La tendance à l’omission du ne et à la mauvaise prononciation du plus ne sera pas combattue. Prendrons-nous l’habitude de distinguer « plus » et « plusse » dans l’écriture ? Ce serait alors un moindre mal.

Mais pour l’heure, comme la prononciation « plusse », généralement grotesque devant une consonne, n’a pas été avalisée par la langue écrite, voici un exemple de ce qu’on peut lire sur Internet : « Ensuite, s’ils sont rejetés par les autres, c’est parce qu’ils maîtrisent plus les codes de la francitude légitime. » Parce qu’ils ne maîtrisent plus ou parce qu’ils maîtrisent plusse ? Nous parle-t-on de cancres endurcis ou de bons élèves ? Sans le contexte, nous ne pouvons plus en décider.

 

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commentaires

M
Et pourquoi pass ??? / BIEN PLUS DE MURES etc.
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