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10 octobre 2011 1 10 /10 /octobre /2011 13:43

Celui-ci, celle-ci, sont des pronoms difficiles à apprendre. Comme on n’exige plus des enfants qu’ils sachent les choses, on les laisse parler comme ils veulent. Un enfant dira aujourd’hui, en parlant des jouets ou des livres qu’il voit exposés dans un magasin : « Lui, je l’ai déjà », ou : « Je veux lui », sans faire tiquer le moins du monde le parent ou l’adulte qui l’accompagne. Du reste, nous entendons de plus en plus d’adultes dire, toujours à propos d’un objet, par exemple un livre ou un film en DVD : « Il est bien, lui ? » « Et lui, tu l’as lu (ou vu, ou écouté) ? »

« [Monsieur Léon, le libraire,] ne me répond pas et continue à tripoter les tranches [sic] des livres en marmonnant des “Non, pas lui…”, “Ah ! Voyons voir… Non. Non, non, non…”. » (Claire Loup, Lycée out, Plon Jeunesse, 2010, p. 81.) Tripoter semble avoir été mis pour tapoter, et nous retrouvons la confusion très actuelle entre le dos et la tranche des livres. Enfin nous observons dans la même phrase la confusion entre les pronoms celui-ci et lui, que je n’avais encore constatée que dans les propos d’enfants et d’adolescents. Or ce « monsieur Léon » (sic) est âgé de soixante ans, c’est un libraire « cultivé » et même « un vieil intello » (p. 98). Le narrateur de ce chapitre du roman est un élève de terminale, prénommé Benjamin. Il semble placer dans la bouche d’un homme qui n’a aucune raison d’employer lui à la place de celui-ci des traits de sa propre langue d’adolescent. C’est dommage.

À moins que nous ne devions analyser ce « Pas lui » comme signifiant : « Pas cet auteur-ci » ? Ce ne serait pas la manière la plus naturelle de s’exprimer.

Il n’est pas inutile de rappeler les propos d’un président de la République française en exercice, qui ont été tenus publiquement en juillet 2008. Le président parle de ceux qui se présentent aux concours de la fonction publique : « Pourquoi on n’en tiendrait pas compte [du fait qu’un candidat a fait du bénévolat] ? Ça vaut autant que de savoir par cœur La princesse de Clèves. Enfin… j’ai rien contre, mais enfin, bon, bon, enfin… c’est… je… parce que j’avais beaucoup souffert sur elle. »

Je présume que « sur elle » veut dire ici : sur cette œuvre.

 

Parfois, nous assistons au remplacement de la construction « de lui » par le pronom en (plusieurs exemples illustrant ce phénomène ont déjà été donnés dans Remarques sur les pronoms « y » et « en ») :

« Un jeune Bédouin Hadhrami aux cheveux longs descendit du trottoir et passa devant eux. D’un camion un soldat [anglais] lui ôta son turban et le brandit en riant comme un fou avant de le jeter dans le ruisseau. […] / – Voilà ce qu’on appelle la connerie majeure ! Ces Bédouins Hadhrami sont des amis de l’Angleterre depuis toujours. L’imbécile qui vient de lui faire sauter son turban en a fait un ennemi irréductible de son pays [= l’Angleterre]. » (Michel Déon, Les poneys sauvages, « Édition revue et corrigée avec une note de l’auteur », Gallimard, 2010, p. 378-379.) En toute logique, le pronom en renvoie au nom turban, alors que le personnage veut dire : « L’imbécile qui vient de lui faire sauter son turban a fait de lui [= du jeune Bédouin] un ennemi irréductible de son pays. »

Inversement, le pronom en est parfois nécessaire à l’endroit où est utilisé un le ou un la.

J’ai souvent cité Quelqu’un d’autre de Benacquista, roman fondé sur deux intrigues entrelacées. L’un de ses héros, Thierry Blin, apprend son futur métier de détective privé. Il lui arrive d’avoir des doutes : « [F]allait-il tirer une crapule des griffes d’une autre crapule ? La question le perturba le reste de la journée jusque tard dans la nuit. Au petit matin, il n’y avait pas trouvé de réponse, mais se promit d’éviter ce genre d’affaires si on le lui proposait, davantage pour sa tranquillité d’esprit que par sens moral. » (Tonino Benacquista, Quelqu’un d’autre, éditions Gallimard, collection NRF, 2002 ; collection Folio, p. 166.) L’auteur croit-il pouvoir se servir du pronom le pour représenter le groupe « ce genre d’affaires » ? Il faudrait dire : « si on lui en proposait une », le pronom une représentant le nom affaire (cette fois au singulier) et le pronom en étant mis pour : « de ce genre ».

L’autre héros du roman, Nicolas Gredzinski, a sombré dans l’alcoolisme. « [I]l buvait de la bière parce que son corps la réclamait et que sa bonne [sic] conscience n’y voyait aucun inconvénient. » (Quelqu’un d’autre, p. 310.) Pour renvoyer à un nom indénombrable (« de la bière »), le pronom de la troisième personne ne convient pas. Il faut dire ici : « parce que son corps (lui) en réclamait ». On peut aussi recourir au pronom le, en sachant que celui-ci représente alors l’ensemble du syntagme « buvait de la bière » : « Il buvait de la bière parce que son corps le réclamait ».

 

Pour finir, voici une construction que j’ai souvent entendue : « S’ils ne sont pas déjà en vacances !… Moi, en tout cas, j’y suis ! » Le pronom y remplace « en vacances ». On devrait plutôt dire : « Moi, en tout cas, je le suis ! »

Nos contemporains se sont mis à intervertir allègrement les pronoms lui, elle, celui-ci ou celle-ci, en et y. Le système de la langue française perd encore quelques-uns de ses repères fondamentaux.

 

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commentaires

N
Merci pour votre article duquel l'époque actuelle fait toujours l'écho. Cela fait quelques temps que je m'en aperçoit autour de moi tandis que tous semblent ignorer cet incongruité.<br /> Ce qui me choque particulièrement est cette "personnification" des objets inanimés, à l'aube d'une ère que certains fantasment en tant que "trans-humaniste" (limite floue entre hommes et machines).<br /> P.S.: bafouille sans doute truffée d'erreurs grammaticales; toutes remarques vivement appréciées :)
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B
<br /> Il faut venir à Lyon pour apprécier à sa juste mesure la débauche d'"y" :-)<br /> <br /> <br />
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