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9 avril 2016 6 09 /04 /avril /2016 23:57

Le verbe susceptible de combler cette lacune entre un groupe nominal et un groupe prépositionnel n’est pas toujours être. Il peut s’agir d’un autre verbe exprimant la notion d’existence ou de présence :

« [Jean Daragane] fit demi-tour et entra dans le café au bas de l’un des blocs d’immeubles. Il s’assit, sortit la lettre de sa poche, demanda un jus d’orange, et, si c’était possible, un couteau. » (Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Gallimard, 2014, collection Folio, p. 73.) Dans le café qui se trouvait au bas (ou au pied) de l’un des blocs d’immeubles.

« Je sortis de la clinique un 26 mai ; je me souviens du soleil, de la chaleur, de l’ambiance de liberté dans les rues. C’était insupportable. » (Michel Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, éditions Maurice Nadeau, 1994 ; réédité dans la collection J’ai lu, p. 150.) De l’ambiance de liberté qui régnait dans les rues.

« Le téléphone avait sonné vers quatre heures de l’après-midi chez Jean Daragane, dans la chambre qu’il appelait le “bureau”. Il s’était assoupi sur le canapé du fond, à l’abri du soleil. Et ces sonneries […] ne s’interrompaient pas. […] Enfin, il se leva et se dirigea vers la partie de la pièce près des fenêtres, là où le soleil tapait trop fort. »  (Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier, Folio, p. 11.) On pourrait dire : « vers la partie de la pièce qui se trouvait près des fenêtres… ». Mais cette formulation reste maladroite, parce qu’elle donne à croire que les fenêtres n’appartiennent pas à la pièce.

Proposons plutôt : « Enfin, il se leva et se dirigea vers l’autre partie de la pièce, là où se trouvaient les fenêtres et où le soleil tapait trop fort. » La phrase serait non seulement irréprochable du point de vue de la syntaxe, mais aussi plus claire.

Supprimer se trouver, supprimer régner, cela vous apparaît-il comme le louable refus d’un cliché ? Faudrait-il préférer une incorrection à un cliché ? Les Français du XXIe siècle sont bien capables de préférer une incorrection agressive à un cliché inoffensif.

 

L’exemple suivant, que j’emprunte à Vincent Nouzille, nous montre qu’une lacune ne se comble pas nécessairement à l’aide de la subordination relative.

À partir de 1991 et durant les années qui suivent : « Le centre d’écoutes près d’Arles ne fonctionnant pas, c’est à partir de bases militaires situées sur la Côte d’Azur que les communications des forces de sécurité algériennes sont surveillées. » (Vincent Nouzille, Les tueurs de la République : Assassinats et opérations spéciales des services secrets ; Fayard, 2015, p. 214.)

Certes, il est possible de recourir à une relative : « Le centre d’écoutes qui se trouve près d’Arles ne fonctionnant pas… » ; mais on peut aussi ajouter à la phrase un simple participe passé, devant lequel la séquence « qui est » ou « qui était » ne semble pas nécessaire : « Le centre d’écoutes installé près d’Arles ne fonctionnant pas » (« installé », plutôt que « situé », parce que ce dernier apparaît une ligne plus bas au sein de la même phrase et que la répétition serait fâcheuse).

C’est ainsi qu’une phrase qui, dans les trains des années 1980 et 90, était couramment prononcée au micro par le contrôleur : « Lors de votre descente du train, prenez garde à l’intervalle existant entre le marchepied et le quai », est devenue : « … prenez garde à l’intervalle entre le marchepied et le quai. » La distance qui sépare le marchepied des voitures et le bord du quai de la gare n’est plus seulement de nature concrète : une lacune de nature syntaxique est venue s’y ajouter.

 

Il peut manquer d’autres verbes, qui n’ont rien d’emphatique.

Durant les années 1990, la DGSE s’est montrée peu active en Algérie : « Elle y déploie épisodiquement quelques agents clandestins, pour sécuriser l’ambassade et la communauté française, ou encore pour en savoir plus sur le programme nucléaire algérien, notamment sur les travaux autour du réacteur de recherche d’Aïn Oussara, construit avec l’aide des Chinois à deux cents kilomètres au sud d’Alger et mis en service en 1993. » (Vincent Nouzille, Les tueurs de la République : Assassinats et opérations spéciales des services secrets ; Fayard, 2015, p. 215.) Il aurait fallu écrire : « les travaux qui sont en cours (ou qui s’effectuent) autour du réacteur de recherche… ».

Mais que signifient au juste les mots : « autour du réacteur » ? Quels travaux peut-on bien faire « autour » d’un réacteur ? Des travaux de terrassement, de construction, d’installation ? À moins qu’il ne faille voir dans cet « autour de » une occurrence supplémentaire du funeste anglicisme né de la traduction littérale d’about, ce qui nous amènerait à interpréter ces « travaux autour du réacteur de recherche d’Aïn Oussara » comme étant des travaux (de nature scientifique ?) concernant le réacteur… Bref, la phrase se révèle encore plus bancale qu’on ne l’avait pensé à première vue.

 

Parfois, il manque simplement la tournure impersonnelle il y a, comme dans ce texte de 1942 :

« J’ai souvent amèrement ricané en songeant à l’étroit, au minuscule des drames que j’ai soumis au microscope dans Gilles, en comparaison avec l’ampleur des thèmes chez Malraux, chez Giono, ampleur pour laquelle il me semblait que j’étais né. » (Pierre Drieu la Rochelle, préface de Gilles ; éditions Gallimard, 1942 ; collection Folio, 1973, p. 18 ; dans Romans, récits, nouvelles, Bibliothèque de la Pléiade, 2012, p. 826.)

Avec l’ampleur des thèmes qu’il y a chez Malraux, chez Giono.

 

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