Qu’arrive-t-il lorsque le nom (ou le groupe nominal) est suivi de toute une subordonnée relative ?
Le héros-narrateur d’Extension du domaine de la lutte (encore lui) fait un cauchemar dans lequel il se voit planant au-dessus de la cathédrale de Chartres. Il s’approche des tours de l’édifice : « Ces tours sont immenses, noires, maléfiques, elles sont faites de marbre noir qui renvoie des éclats durs, le marbre est incrusté de figurines violemment coloriées […]. » (M. Houellebecq, Extension du domaine de la lutte, J’ai lu, p. 141-142.) Il paraît nécessaire d’ajouter un déterminant à gauche du groupe nominal : « faites d’un marbre noir qui renvoie des éclats durs ».
Il y a des phrases confuses, dont la construction suggère que le pronom relatif (avec lequel se fait l’accord du verbe subordonné) renvoie au nom principal alors qu’en réalité l’auteur a voulu que le relatif renvoie au complément de ce nom. Pour que la relative se lie au bon antécédent, celui-ci doit être précédé de l’article qui le détermine clairement :
« Le tissu de relations qu’il [= Aleksandre Psar] avait patiemment nouées au cours des années disparaîtrait comme une toile d’araignée sous un coup de balai ; il devrait en nouer d’autres, avec des hommes d’une espèce différente, qu’il n’aurait plus l’agréable mission de berner. » (Vladimir Volkoff, Le montage, roman, éditions Julliard et l’Âge d’Homme, 1982, p. 89.) Le tissu des relations qu’il avait patiemment nouées disparaîtrait…
« Mais aussi bien [Antoine Peluchet] a pu disparaître dans la solitude vulgaire d’un indicible emploi de boutique ou d’écritures, en chambre d’hôtel déteinte que la lumière oublie, dans la banlieue de Lille ou d’El Paso ; sa morgue inemployée ne l’aura pas quitté. » (Pierre Michon, « Vie d’Antoine Peluchet », dans Vies minuscules, Gallimard, 1984 ; collection Folio, p. 61.) Il y avait déjà plusieurs dans : l’auteur en a donc remplacé un par en !…
« Mais je rêvais que j’écrivais : m’aidaient en cette fiction des festins d’amphétamines, auxquelles m’avait sans mal converti une amie moins sage de Claudette. » (Pierre Michon, « Vie de Claudette », dans Vies minuscules, éditions Gallimard, 1984 ; collection Folio, p. 217-218.) Cette fois, il y a contradiction entre l’absence d’article que nous constatons devant « amphétamines » et le relatif « auxquelles », qui n’est destiné qu’à l’œil, et qu’un auditeur perçoit comme un « auxquels » renvoyant à « festins »… On n’échappera pas à une répétition : « m’aidaient en cette fiction des festins d’amphétamines, – (ces) amphétamines auxquelles m’avait sans mal converti une amie moins sage de Claudette ».
Parfois, l’auteur essaie de renvoyer par le pronom relatif au second nom d’un syntagme à forte cohésion interne :
« Bloquée par la foule, Nelly Marchadeau s’était réfugiée dans le confessionnal. Dans la confusion, la petite Soubise, qui ne pouvait pas la piffer, l’y enferma d’un tour de clef qu’elle mit dans sa poche. » (L’ange et le réservoir de liquide à freins, Folio policier, p. 106.) On ne met pas un « tour de clef » dans sa poche : c’est un syntagme figé. Donc il faut écrire : « la petite Soubise […] l’y enferma d’un tour de clef et mit la clef dans sa poche ».
La faute est manifeste dans l’extrait que voici : « Une vieille table en planches était mise pour deux avec des verres, des fourchettes, des assiettes et des cuillers, mais pas de couteaux, dont beaucoup de Philippins se servent rarement, préférant couper ce qui a besoin d’être coupé avec le bord de la cuiller. » (Jean-Patrick Manchette traduisant Les faisans des îles, du romancier américain Ross Thomas, éditions Rivages, 1991 ; réédition dans la collection Rivages/Noir, p. 246-247.) L’addition de « beaucoup » et de « rarement » fait une affirmation assez molle. Mais le grand défaut syntaxique de cette phrase est celui-ci : comment peut-on faire dépendre d’une absence de couteaux (« mais pas de couteaux ») toute une proposition relative introduite par dont et énonçant une vérité générale sur l’usage des couteaux aux Philippines ?
Il arrive à Simenon lui-même de se montrer négligent : « Maigret sortit et, près du métro Solférino, entra dans un café. Il ne commanda pas de cognac, dont il était dégoûté pour longtemps, mais un grand demi bien frais. » (Georges Simenon, Maigret et M. Charles, éditions Presses de la Cité, 1972, p. 46.)
Certes la syntaxe de Simenon est généralement irréprochable.
Betty reprend possession d’un manteau de vison que son mari, dont elle s’est séparée, vient de lui faire renvoyer : « [S]ans la présence de Laure, elle l’aurait passé sans attendre, pour le plaisir d’en être enveloppée, pour la sensation rassurante de luxe qu’il lui donnait. » (Georges Simenon, Betty, éditions Presses de la Cité, 1961 ; réédition dans la collection Presses Pocket, p. 87.) Phrase parfaite : l’antécédent du pronom relatif est le syntagme nominal avec déterminant (« la sensation rassurante ») et non pas le nom sans déterminant (« luxe »). Les poids sont bien répartis, rien ne manque au parfait équilibre de la construction.
Mauvais style :
« Sur les marais, l’aube remplaçait l’épais manteau nocturne par ses voiles gris tissés de brouillard qui s’amoncelait en nappes à la surface des étangs et des marigots ; […]. » (Henri Vernes, L’empreinte du Crapaud, éditions Gérard et Co, 1968, collection Pocket Marabout, p. 117.) Si l’on n’écrit pas : « tissés d’un brouillard qui s’amoncelait… », l’auditeur entend : « par ses voiles gris (tissés de brouillard) qui s’amoncelaient en nappes », ce qui ne veut rien dire (des voiles verticaux devenant des nappes plus ou moins horizontales…). On voit mal comment « de brouillard », simple complément du participe passé, pourrait fournir au pronom relatif qui un antécédent, alors que le groupe nominal « ses voiles gris » est déjà fermement campé dans la structure de la phrase. Cela dit, nous avons affaire à un style particulièrement maladroit, l’auteur accumulant les métaphores sans parvenir à les harmoniser.