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26 octobre 2020 1 26 /10 /octobre /2020 14:48

Commençons par observer les phrases qui correspondent aux différents extraits ayant été cités jusqu’ici.

« Oggi è domenica e io e Viktor siamo andati al Museo. » (Davide Morosinotto, La sfolgorante luce di due stelle rosse : Il caso dei quaderni di Viktor e Nadya ; éditions Mondadori, 2017, collection Oscar Bestsellers, p. 17.) On sait qu’en italien « io e tu », « io e lui », etc., est la façon naturelle de s’exprimer et correspond à notre « toi et moi », « lui et moi », etc. Il ne faudrait pas vouloir traduire cela par : moi et Viktor.

« Ieri, 21 giugno, infatti era la festa del solstizio d’estate […], e io e Viktor abbiamo passato la giornata al parco con i nostri amici dei Giovani Pionieri, abbiamo mangiato seduti sull’erba e abbiamo giocato a pallone e al tiro alla fune […] » (La sfolgorante luce di due stelle rosse, p. 17-18.) Le paragraphe italien est formé d’une seule phrase, contrairement à sa traduction française : d’où les points de suspension que j’ai dû introduire à la fin du présent extrait, pour le faire correspondre à sa traduction citée plus haut. D’autre part, cette phrase est dépourvue de point final, car Nadia s’est laissée interrompre dans son élan par Viktor. On notera qu’une modification que j’ai proposé de faire subir au texte français, consistant à déplacer le complément prépositionnel « avec nos amis des Jeunes Pionniers », pour qu’il fût commun à tous les verbes de la phrase, ne correspondrait pas à la volonté de l’auteur italien.

Pour l’ensemble des extraits que je cite en français, le texte italien porte : « io e… ».

Là où le texte original, à la manière de certains romans des années 1960, fait entendre une spontanéité d’expression proche de la volubilité de l’oral au moyen de phrases très longues dont les segments sont fréquemment reliés par « et », la traduction supprime ces « et », sépare les segments et présente des phrases brèves ou de longueur moyenne. En revanche, la traduction abaisse le niveau de langue général et met à mal la correction syntaxique dont les deux narrateurs semblent avoir le souci. Ces choix en disent long sur l’idée qu’on se fait aujourd’hui des capacités de lecture des jeunes Français.

 

Faut-il que les adultes parlent aussi mal que leurs enfants ? Le traducteur ne devrait pas oublier que l’histoire se situe en 1941 et non pas de nos jours : « – Le directeur a donné l’ordre d’évacuer l’Ermitage. […] Avec ton père, nous devons prendre toutes les œuvres, les étiqueter, les emballer, les placer dans des caisses… » (L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, l’École des loisirs, 2019, p. 33.) En langage correct : « Ton père et moi, nous… » Le texte italien porte ici : « io e tuo padre dobbiamo prendere tutte le opere » (La sfolgorante luce di due stelle rosse, p. 31).

« Papa va aller combattre, maman va rester dans son musée, Leningrad va être attaquée, et avec mon frère, nous serons seuls. / Seuls. / SEULS ! » (L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, p. 61.) Le choix de cette construction s’avère ici particulièrement absurde. Les personnages qui doivent se retrouver seuls, ce sont uniquement Viktor et Nadia, parce qu’ils seront séparés de leurs parents. La réitération de l’adjectif « seuls » (lourde insistance) est rendue dérisoire par la maladresse de la construction adoptée juste avant. Texte italien : « io e mio fratello saremo soli » (La sfolgorante luce, p. 53).

« Ils [= nos parents] avaient promis de rentrer à sept heures, mais ça n’a pas été le cas. Du coup, avec Viktor, nous avons dîné des restes du petit déjeuner puis nous avons attendu, dans cet appartement aussi vide et froid qu’une coquille d’œuf. » (L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, p. 62.) Texte italien : « io e Viktor » (La sfolgorante luce, p. 54). L’atroce « du coup » de la version française correspond généralement à così.

Tous les enfants de Léningrad sont sur le point de prendre des trains qui les emmèneront dans l’est du pays, loin du front qui ne cesse de se rapprocher. Nadia et Viktor reçoivent de leur père un lot de cahiers à spirale, venus du musée de l’Ermitage, qu’ils pourront se partager :

« – […] Vous pourrez nous écrire ce qui vous arrive [sic] lorsque nous serons éloignés. Et quand nous nous retrouverons, avec maman, nous vous lirons et nous saurons tout ce qui s’est [sic] passé de votre côté. Ce sera comme si on ne s’était jamais quittés. » (L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, p. 63.) Et quand nous nous retrouverons, nous vous lirons, maman et moi, et nous saurons tout ce qui se sera passé de votre côté. (Oui, le traducteur n’est pas très ferré sur la concordance des temps du français…) Texte italien : « “[…] Potrete scriverci tutto quello che vi succede mentre saremo lontani. E quando ci incontreremo di nuovo, io e la mamma leggeremo e sapremo cosa vi è successo. Sarà come non esserci lasciati mai.” » (La sfolgorante luce, p. 54.)

« – On ne se verra pas pendant un moment, mais avec Nadia, vous serez ensemble. Ne vous séparez jamais, sous aucun prétexte. » (L’éblouissante lumière des deux étoiles rouges, p. 84-85.) C’est le père qui parle à Viktor. Le lecteur doit se résoudre à voir cette construction maladroite et enfantine employée par un adulte cultivé (le père, comme la mère, travaille au musée de l’Ermitage). Sans surprise, nous lisons dans le texte italien : « “Noi dobbiamo salutarci per un po’, ma tu e Nadya sarete insieme. Non separatevi mai per nessun motivo.” » (La sfolgorante luce, p. 74.).

  

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commentaires

G
Bonjour.<br /> Il est vrai que la tournure « avec X, nous… » (dans le sens de “X et moi”) est choquante : il me semble qu’on attend de la construction en apposition une équivalence de sens (de “référent”) de part et d’autre de la virgule, comme dans : « X et moi, nous… ».<br /> “Avec” (on n'a pas droit aux italiques dans les commentaires) doit être la préposition rêvée pour donner des apparences de style relâché ou “enfantin”, se prêtant elle-même à champ sémantique élastique et (donc) à des emplois lâches !<br /> Si un enfant a tendance à parler d’abord de lui, l’emploi de cette la tournure fautive peut avoir comme prétexte la volonté de mettre en avant le locuteur : « X » devient secondaire (comme s’il ne faisait qu’accompagner), et en conséquence « nous » tend à prendre le sens d’un “je”…
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F
Merci pour votre lecture attentive de cette série d’articles, cher Gildas.
G
À UN* champ sémantique.