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15 septembre 2014 1 15 /09 /septembre /2014 09:40

Les dialogues sont généralement très bons chez Houellebecq, mais cet écrivain, comme la plupart de ses contemporains, commet l’erreur de révéler des intentions ou un processus intellectuel à travers le verbe introducteur de parole.

« Les employés le relevèrent avec précaution. “Pleurez ! Il faut pleurer !…” le conjura le plus âgé d’une voix pressante. » (Assistant à la mise en bière de son amie Christiane, Bruno s’est évanoui sous les yeux des employés du funérarium ; nous sommes dans Les particules élémentaires, collection J’ai lu, p. 249.) Rappelons au passage qu’il n’est jamais superflu d’ajouter une virgule après les points de suspension et avant le verbe introducteur. Cette virgule est encore plus nécessaire lorsque l’écrivain utilise des guillemets ouvrants et fermants pour encadrer chaque réplique isolée et chaque groupe de répliques.

« Hippie-le-Gris était maintenant seul, occupé à éplucher des carottes biologiques. […] “C’était une femme lumineuse… souligna-t-il, sa carotte à la main. Nous pensons qu’elle est prête à mourir, car elle a atteint un niveau de réalisation spirituelle suffisamment avancé.” Qu’est-ce qu’il voulait dire par là ? » (Bruno et Michel se sont rendus dans un village du sud de la France, où leur mère est en train de mourir, au milieu d’une communauté hippie ; Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 257.)

« Un rapace – probablement une buse – planait lentement, à mi-hauteur, dans l’atmosphère. “Ça doit être un coin a serpents…” inféra Bruno. » (Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 262.)

« – En somme, interjeta Bruno, pensif, il n’y a jamais eu de communisme sexuel, mais simplement un système de séduction élargi. / – Ça oui… en convint la vieille croûte [= un soixante-huitard breton], de la séduction, y en a toujours eu. » (Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 137.)

« Je réagis vivement à l’information : il y avait donc certains domaines, certains secteurs de l’intelligence humaine où il [= Robert (agrégé de mathématiques)] avait été le premier à percevoir nettement la vérité, à en acquérir une certitude absolue, démontrable. “Oui… en convint-il presque à regret. Naturellement, tout cela a été redémontré dans un cadre plus général.” » (Plateforme, J’ai lu, p. 111.)

« – On n’est pas seuls sur le créneau. / – Non… convint-il avec découragement. » (Plateforme, J’ai lu, p. 198.)

« “Je ne vous dérangerai pas dans votre travail… promis-je. / – […] Tu ne vas pas nous déranger ; tu peux nous être très utile, au contraire.” » (Plateforme, J’ai lu, p. 203-204.)

« “Vous avez prévu quelque chose en Thaïlande ? m’informai-je. / – Oui, on a un hôtel en construction à Krabi. C’est la nouvelle destination à la mode, après Phuket. […]” » (Plateforme, J’ai lu, p. 247.)

« Kim parlait un peu français. Elle était déjà venue une fois à Paris, s’émerveilla Lionel ; sa sœur avait épousé un Français. “Ah bon ? m’enquis-je. Et qu’est-ce qu’il fait ? / – Médecin… Il se rembrunit un peu. Évidemment, avec moi, ça ne serait pas le même mode de vie. / – T’as la sécurité de l’emploi… fis-je avec optimisme. Tous les Thaïs rêvent de devenir fonctionnaires.” » (Plateforme, J’ai lu, p. 303.)

Pour suggérer que les paroles sont hésitantes ou que le personnage tente de plaisanter, Houellebecq emploie dans l’incise le verbe émettre, comme si celui-ci était le plus propre à suggérer la neutralité de ton adoptée par le locuteur :

« “Ça manque juste un peu de pinard…” émit René avec mélancolie. Josiane crispa les lèvres avec mépris. » (Plateforme, J’ai lu, p. 73.)

« “Un peu comme à Goa… émis-je. – Bien mieux qu’à Goa”, trancha-t-elle. » (Plateforme, J’ai lu, p. 89.)

« Bruno s’abattit lourdement sur une chaise à côté de son lit [= à côté du lit de sa mère âgée et agonisante]. “Tu n’es qu’une vieille pute… émit-il sur un ton didactique. Tu mérites de crever.” » (Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 256.)

Le verbe dire aurait été bien plus approprié dans chacun de ces passages !

« “Je…” émit-il d’une voix croassante, méconnaissable. Olga se retourna et s’aperçut que c’était sérieux, elle reconnut immédiatement ce regard aveuglé, panique de l’homme qui n’en peut plus de désir, elle vint vers lui [= Jed Martin] en quelques pas, l’enveloppa de son corps voluptueux et l’embrassa à pleine bouche. » (La carte et le territoire, J’ai lu, p. 68.) Ici, on aurait pu mettre : fit-il.

 

Et que signifie au juste le verbe indiquer lorsqu’il est employé en tant que verbe introducteur de parole ?

« Ce même soir, lors d’un dîner entre amis, Laurent évoqua avec enthousiasme le cas d’Annabelle. C’était pour des filles comme elle qu’ils avaient lutté, indiqua-t-il ; pour éviter qu’une fille d’à peine dix-sept ans (“et en plus jolie”, faillit-il ajouter) ne voie sa vie gâchée par une aventure de vacances. » (Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 87. À défaut de deux virgules qui auraient encadré la locution « en plus », il aurait fallu au moins placer une virgule entre plus et jolie.)

« D’un mouvement souple et efficace, qui ne dura que quelques secondes, les employés soulevèrent le cercueil et le firent glisser dans l’alvéole. À l’aide d’un pistolet pneumatique, ils vaporisèrent un peu de béton à séchage ultra-rapide dans l’interstice ; puis l’employé le plus âgé fit signer le registre à Bruno. Il pouvait, lui indiqua-t-il en partant, se recueillir sur place s’il le désirait. » (Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 249.)

Ce verbe ne figure pas toujours en incise :

« Le lendemain matin, la tente de Michel était vide. Toutes ses affaires avaient disparu, mais il avait laissé un mot qui indiquait simplement : “NE VOUS INQUIÉTEZ PAS.” » (Les particules élémentaires, J’ai lu, p. 86.)

« Après réflexion j’ai laissé un second papier indiquant, en caractères d’imprimerie : “JE SUIS MALADE.” » (Extension du domaine de la lutte, J’ai lu, p. 129.)

Utilisé pour introduire des propos ou un message écrit, ce verbe n’offre qu’un sens confus. Exprime-t-il l’idée de montrer une direction, donc de désigner quelque chose de manière approximative, ou est-ce l’idée d’expliquer quelque chose en détail, de manière docte ou érudite, comme un professeur qui tient son index dressé ? On n’en sait rien. Ce verbe brouille la compréhension des répliques auxquelles il est associé.

 

Il y a d’autres négligences. Des phrases narratives ou descriptives peuvent occuper la place des incises du dialogue, sans majuscule ni retour à la ligne :

« Valérie se tourna brusquement pour regarder de l’autre côté. / “Je n’aime pas ce type… souffla-t-elle avec agacement. / – Il n’est pas bête… j’eus un geste assez indifférent. / – Il n’est pas bête, mais je ne l’aime pas. Il fait son possible pour choquer les autres, pour se rendre antipathique ; je n’aime pas ça. Vous, au moins, vous essayez de vous adapter. / – Ah bon ? je lui jetai un regard surpris. / – Oui. Évidemment on sent que vous avez du mal, vous n’êtes pas fait pour ce type de vacances ; mais au moins vous faites un effort. Au fond, je crois que vous êtes un garçon plutôt gentil.” » (Plateforme, J’ai lu, p. 124-125.)

« “J’essaie de choisir un collier… dis-je avec hésitation. / – Pour une brune ou une blonde ? dans sa voix, il y avait une pointe d’amertume. / – Une blonde aux yeux bleus. / – Alors, il vaut mieux choisir un corail clair.” » (Plateforme, J’ai lu, p. 129.)

Les bizarreries qu’on observe dans les lignes précédentes peuvent être considérées comme des erreurs typographiques. Mais je ne peux m’empêcher de voir un lien entre ce curieux phénomène et la tendance qui pousse les écrivains à refuser la postposition du sujet par rapport au verbe en incise, tendance que j’avais décrite dans Les maladies du dialogue de roman (2).

Voici un dialogue entre Jean-Yves Frochot, jeune cadre dynamique, et la baby-sitter chargée de garder ses enfants :

« Ses soucis retombèrent sur lui d’un seul coup, dès qu’il eut franchi la porte de l’appartement. Johanna, la baby-sitter, vautrée dans le canapé, regardait MTV. […] / “Ça va ?” hurla-t-il. Elle acquiesça nonchalamment. “Tu peux baisser le son ?” Elle chercha des yeux la télécommande. Exaspéré, il éteignit le téléviseur ; elle lui jeta un regard offensé. / “Et les enfants, ça s’est bien passé ? il continuait à hurler, bien qu’il n’y ait [sic] plus aucun bruit dans l’appartement. / – Ouais, je crois qu’ils dorment.” Elle se recroquevilla sur elle-même, un peu effrayée. » (Plateforme, J’ai lu, p. 252-253.)

Pourrait-on remplacer la proposition « il continuait à hurler » par : « continuait-il à hurler » ? Non, car on n’a pas affaire à une véritable incise de dialogue. Pour qu’elle en soit une, l’auteur aurait dû écrire : « demanda-t-il en continuant à hurler » (notez le changement de temps qu’exige cette correction). En réalité, la proposition « il continuait à hurler » est un énoncé descriptif, qui aurait dû commencer par une majuscule. Les guillemets auraient donc dû être refermés après le point d’interrogation, puis rouverts avant « Ouais », en lieu et place du tiret. Mettons encore à l’imparfait du subjonctif le verbe de la subordonnée introduite par bien que, et nous obtenons un texte irréprochable :

« Et les enfants, ça s’est bien passé ? » Il continuait à hurler, bien qu’il n’y eût plus aucun bruit dans l’appartement.

« Ouais, je crois qu’ils dorment. » Elle se recroquevilla sur elle-même, un peu effrayée.

Évidemment, le personnage pourrait avoir dit : « Et avec les enfants, ça s’est bien passé ? » Mais personne n’irait reprocher à l’auteur d’avoir reproduit dans des propos rapportés au discours direct les tournures défectueuses de l’oral d’aujourd’hui, que chacun peut entendre autour de soi.

C’est parce qu’ils sonnent juste que nous aimons les dialogues des romans de Houellebecq.

 

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