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15 septembre 2014 1 15 /09 /septembre /2014 18:40

Un certain Charles vient de raconter à un autre personnage, surnommé Caliban, une anecdote qu’il a lue dans les Souvenirs de Khrouchtchev : Staline aurait un jour réussi à tuer à la chasse, en prenant tout son temps, vingt-quatre perdrix qui étaient perchées sur un arbre. Il faut imaginer Staline expliquant à ses collaborateurs, à la fin d’une longue réunion de travail, qu’il a d’abord tué douze perdrix, avec les douze cartouches dont il s’était muni, qu’il est ensuite rentré chez lui pour chercher de nouvelles cartouches, et qu’il est retourné abattre tranquillement les douze qui restaient.

« “Cela t’a plu ?” demande Charles à Caliban qui rit : “Si c’était vraiment Staline qui m’avait raconté cela, je l’applaudirais ! Mais d’où tiens-tu cette histoire ? / – Notre maître m’a apporté en cadeau ce livre-ci, les Souvenirs de Khrouchtchev édité en France il y a déjà très très longtemps. Khrouchtchev y rapporte l’histoire des perdrix telle que Staline l’avait racontée à leur petite assemblée. Mais d’après ce qu’écrit Khrouchtchev, personne n’a réagi comme toi. Personne n’a ri. […]” (Milan Kundera, La fête de l’insignifiance, éditions Gallimard, collection NRF, 2014, p. 32. L’auteur devrait ajouter une virgule après « de Khrouchtchev ».)

La phrase : « Notre maître m’a apporté… » est prononcée par Charles. C’est évident, bien que le texte ne le précise pas. Par conséquent, le passage qui commence par : « Si c’était vraiment Staline qui m’avait raconté cela… » n’est pas la suite des propos de Charles, mais la réponse que lui fait Caliban. Il faut en déduire que « rit » sert ici à annoncer un changement d’interlocuteur. Ce n’est pas clair.

Kundera emploie le verbe « rit » même en incise (c’est d’abord Ramon qui parle) :

« – Jusqu’à cet instant, je ne savais pas quelle raison déraisonnable m’avait conduit à cette fête sinistre. Enfin, je le sais. / – Et d’un coup, la fête sinistre n’est plus sinistre, rit Julie. » (La fête de l’insignifiance, Gallimard, collection NRF, p. 87.)

Mais Kundera ne recourt qu’exceptionnellement à ces verbes introducteurs qui alourdissent le texte d’une redondance. C’est le cas dans la restitution d’une conversation entre Charles et un autre personnage, lui aussi désigné par son seul prénom (Alain) :

« – C’est vrai. Il ne faut pas s’excuser. Et pourtant, je préférerais un monde où les gens s’excuseraient tous, sans exception, inutilement, exagérément, pour rien, où ils s’encombreraient d’excuses… / – Tu le dis d’une voix si triste, s’étonna Alain. » (La fête de l’insignifiance, p. 59.)

Pourtant, il est une page qui en comporte une quantité particulièrement importante (La fête de l’insignifiance, p. 116-117) :

Brejnev regarde vers la fenêtre et ne peut se dominer. Ce qu’il voit n’est pas croyable : un ange est suspendu au-dessus des toits, les ailes déployées. Il se lève de sa chaise : « Un ange, un ange ! »

Les autres se lèvent aussi : « Un ange ? Je ne vois pas !

– Mais oui ! Là-haut !

– Mon Dieu, encore un autre ! Il tombe ! soupire Beria.

– Idiots, il y en aura encore beaucoup que vous verrez tomber, souffle Staline.

– Un ange, c’est un signe ! proclame Khrouchtchev.

– Un signe ? Mais de quoi est-ce le signe ? » soupire Brejnev, paralysé de peur.

Admettons le choix de « souffle », à la place duquel on aurait pu trouver « murmure »… Mais pourquoi deux fois le verbe « soupire » ? Et le pesant « proclame » ?

Venant d’un écrivain aussi fin et aussi ironique, ces lourdeurs étonnent.

 

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