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22 mars 2012 4 22 /03 /mars /2012 13:31

Un précédent billet (« Eh bien », « eh oui » : vont-ils disparaître ?) a déjà été consacré au phénomène du remplacement de l’interjection eh par la conjonction et.

Je publie ce bref supplément pour en citer de plus récentes illustrations, mais aussi pour parler d’un roman qui m’a plu.

Celui qui parle est professeur dans une académie de peinture et, accessoirement, créateur d’« installations » :

« – […] [J]e cite toute la liste des artistes qu’admirent – ou prétendent admirer – les bourgeois : en fait, ils font semblant d’admirer parce qu’ils savent que ça vaut cher… et tous ces artistes, je les dénonce comme autant de “menteurs”. Et bien figure-toi que je vais conclure cette liste en posant un acte de rupture, qui sera en même temps une proposition artistique. » (Bernard Buci, Les huiles, éditions Michel de Maule, 2011, p. 139.)

Une jeune femme demande au peintre Nitchevo, dont elle est amoureuse, de lui révéler son véritable prénom : « – […] [J]e ne connais même pas ton vrai prénom, dis-le moi [sic] dans l’oreille, je suis sûre que je l’aime déjà… Si, je t’en prie… Gilles ? Et bien voilà, Gilles. » (Les huiles, p. 228.)

Bien qu’il n’ait pas fait parler de lui, et cette indifférence des critiques littéraires patentés me paraît inquiétante, Les huiles est très remarquable, très original, et pas simplement parce qu’il s’agit d’un premier roman. Son auteur, Bernard Buci, sait évoquer la touche et la couleur. Il décrit les matières et les volumes à la manière dont en parlent les peintres, ce qui donne à ses descriptions de lieux et de personnages une densité matérielle ou charnelle qu’on n’avait plus sentie en littérature depuis la fin du Nouveau Roman. En outre, un siècle de débats sur la peinture y est résumé en une série de dialogues étincelants, qui se nouent au fil des chapitres entre des personnages variés et complexes. C’est, sur les années 1980, le roman français que j’attendais.

Ce que l’auteur laisse entendre à propos de l’histoire de l’art vaut aussi pour la langue française : nous allons vers l’oubli de ses ressources héritées, et nous tirons de cet amoindrissement, subi autant que volontaire, une sorte de fierté.

Le livre contient, hélas, d’invraisemblables fautes d’orthographe et aussi quelques impropriétés lexicales (à la page 93, l’auteur confond les voix qu’espère recueillir un homme politique avec les soutiens dont il dispose avant une élection ; un parquet en point de Hongrie est dit parquet « au » point de Hongrie, p. 175 ; à la page 197, le verbe hoqueter est mis pour claudiquer ; page 258, à propos d’une voix, graveleuse est mis pour gouailleuse ; page 265, « précautionneux de » est mis pour « précautionneux avec » ou pour « ménager de »), et certaines phrases contiennent plusieurs fois l’adverbe bien ou l’adverbe même. Souhaitons que les éditions Michel de Maule nous en offrent un jour une réimpression corrigée.

 

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commentaires

A
Votre remarque, cher Forator, quant à la communauté de destin de la langue française et de l'histoire de l'art semble d'autant plus pertinente que le nom « Nitchevo » est la transcription du mot<br /> russe ничего signifiant « rien ».<br /> Bien à vous,<br /> A. M.
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