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10 mai 2019 5 10 /05 /mai /2019 09:58

Vous résistez à l’hiatus partout où celui-ci est admis par la langue mais vous l’imposez dans des expressions et des constructions où il était resté inconcevable pendant plusieurs siècles.

Vous êtes généralement soucieux de mettre un l’ dans « si on… » et dans « pourquoi on… ». Cela peut s’avérer lourd (« Si l’on savait vraiment pourquoi l’on est aimé ! »), mais c’est correct.

Malheureusement, toujours pour esquiver l’hiatus, vous dites : « un norjeu », pour : un hors-jeu. Ne vous a-t-on jamais appris que ce h est aspiré, comme dans hasard ? De même, vous dites « les z-andicapés », au lieu de dire : « lé handicapés ». Vous savez pourtant qu’on dit : le handicap. S’il fallait dire « les z-andicapés », on dirait aussi « l’handicap » ! Soyez un peu cohérents…

La plupart d’entre vous arrivent encore à prononcer correctement Nous hurlons (sans liaison), mais on entend très souvent Ils hurlent prononcé « ils z-urlent ». Chez les jeunes (et chez les vieux qui les imitent), le harcèlement est devenu « l’harcèlement »…

Vous parlez maintenant de « pseudo-z-intellectuels ». Enfin, introduisant une consonne épenthétique là où il n’en faut pas, vous êtes de plus en plus nombreux à dire : « Il faudra-t-alors », « On devra-t-alors », « On sera-t-alors », « Il sera-t-également », « Rien ne sera-t-épargné », « La mesure va-t-être effective », « Le film dont il va-t-être question », « Cette décision vise-t-à créer » ; et même : « X était devenu-t-un fardeau », « Ce qui aurait pu-t-être un simple intermède », « Il s’est-avéré-t-être un adversaire redoutable » (ou encore : « Il s’è avéré-t-être… »).

Il existe un groupe d’amateurs de cinéma qui, sous le nom de « Monsieur Bobine », publie de passionnantes analyses de films sur YouTube. Un petit personnage animé, qui a la forme d’une boîte de bobine de film, dotée d’une paire d’yeux et d’une bouche, commente un film particulier ou toute l’œuvre d’un réalisateur, d’un scénariste, d’un producteur, tandis que de brefs extraits des œuvres mentionnées sont diffusés à l’arrière-plan. Dans une vidéo intitulée Quentin Tarantino le mercenaire, M. Bobine évoque les différents scénaristes qui ont collaboré à l’écriture du film The Rock de Michael Bay (1996), film qui est sorti en France sous un titre que je me permets de juger absurde (Rock, au lieu de Roc). Au milieu de son commentaire, M. Bobine dit ceci : « On pourrait s’attendre à ce que Sorkin ai [sic] été-t-engagé pour donner de l’épaisseur au personnage du général rénégat [sic, pour renégat] campé par Ed Harris. Manque de pot, Simpson et Bruckheimer [producteurs du film] lui ont seulement demandé d’écrire des scènes de comédie, ce qui n’est pas spécialement son point fort [sic, pour : n’est pas spécialement son fort]. » Aaron Sorkin, alors dramaturge et scénariste débutant.

Comme presque tous nos contemporains omettent la liaison du t final de « est » ou de « ait » avec tout participe passé commençant par une voyelle, on a l’impression que c’est ce t omis ici qui ressurgit là. On constate ce phénomène dans l’exemple précédent, où j’en ai signalé l’amorce par un sic, mais aussi dans une construction pléonastique citée plus haut, Il s’est avéré être…, dont la prononciation fautive est désormais : « Il s’è avéré-t-être… »

Autre exemple [ajout de 2023] : « La légende raconte qu’il [Tim Berners-Lee] travaillait depuis le bureau n° 404, et qu’il n’était pas souvent présent. D’où la blague du “404”, “Not found”, pour indiquer qu’une page ne peut pas-t-être trouvée. » (Vidéo courte signée V2F, intitulée « D’où vient le 404 de l’erreur 404 ? », publiée en 2023 sur Youtube. Tim Berners-Lee, informatricien britannique, est le principal inventeur du Web.) Je suppose que c’est le t final de « peut » que le dénommé V2F a rendu audible devant la première initiale vocalique disponible, au détriment du s de « pas » qui aurait dû donner lieu à une liaison en z.

Croyez-vous ainsi faire preuve d’élégance dans l’élocution ?

Et contradictoirement à ce système, ô modernes, en ne faisant plus aucune des liaisons utiles de l’oral, vous créez des hiatus à tort et à travers : « le premié enfant » (pour : le premier enfant) ; « donner le mauvè exemple » (pour : donner le mauvais exemple) ; « le secon hintervenant » (pour : le second intervenant) ; « nos cen hinvités » (pour : nos cent invités) ; « accueillir quelqu’un à bra ouverts » ; « un gran harbre » ; « ils son hen train de manger » ; « on è arrivés »… Vous en inventez tous les jours.

Pour prononcer un gros album, vous direz : « un gro album », alors que parallèlement vous continuerez à parler, comme il se doit, du « gro-z-orteil ». Le gros intestin n’a pas eu la même chance que le gros orteil, puisqu’on vous entend de plus en plus souvent parler du « gro intestin ».

Avoir l’impression de ne plus exister ; un abus qui est censé ne plus exister… Cela se prononce (sans hiatus) : « ne plu-z-exister », mais vous avez tendance à le prononcer (avec hiatus) : « ne plu exister ».

Après avoir évoqué telle question, cela se disait : « Aprè-z-avoir… », c’est devenu : « Aprè avoir… »

Sans aller jusque-là… La prononciation, qui devrait être : « sans z-aller », est devenue : « s’en hallé ».

Sans aucun doute : on entend parfois cette expression prononcée « s’en haucun doute » !

Joyeux anniversaire ! est un anglicisme qui s’est substitué à la formule traditionnelle Bon anniversaire ! (dont la prononciation correcte est : « bonn’anniversaire »). Je me demande combien de temps il faudra pour que ce joyeux anniversaire qu’on souhaite à quelqu’un, et qui se dit encore : « joyeu-z-anniversaire », devienne : « joyeu anniversaire ».

N’ai-je pas entendu parler à la radio d’un enfant mort « en bahage » ? Or l’expression en bas âge ne peut se prononcer autrement que : « en bazage ».

À l’écrit, vous en venez à croire que le trait d’union sert à indiquer une liaison à faire (comme dans peut-être, dont la prononciation est maintenant différente de celle de « peut être »). Le principe de la liaison s’est perdu, au point que les rares liaisons persistantes vous semblent devoir être transcrites soit par l’ajout d’un trait d’union intempestif, soit par la mise au féminin de tel adjectif qualificatif précédant un nom masculin, comme dans cette phrase (lue sur http://www.prejuges.com/) : « Construites dans les années 60, ces cités périphériques étaient plutôt bienvenues. Elles accueillaient une population cosmopolite dans une ambiance bonne enfant. »

Certes, vous ne tarderez pas à prononcer cette même locution ainsi : « une ambiance bon henfant »…

Franchement, je ne vous comprends plus. Ces nouvelles manières de prononcer, qui consistent à créer de faux hiatus par refus des liaisons, ou à empêcher l’hiatus véritable en l’encombrant d’une consonne superflue, caractérisent l’enfant qui acquiert le langage, l’étranger qui apprend notre langue, mais sont indignes de gens qui ont été scolarisés, qui ont obtenu des diplômes, des légions d’honneur, des prix littéraires.

N’inventons pas des liaisons inexistantes ; n’omettons pas les liaisons utiles ou nécessaires. Bref, sachons prononcer clairement, mais sans affectation : « il devra alors » et « un mystérieuzaccident ».

 

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commentaires

B
J'ai le souvenir d'une femme dont l'élégance du langage s'étendait justement à toutes les liaisons, outre qu'elle n'employait "on" que pour l'impersonnel, jamais pour le "nous" : son discours était d'une grande clarté. Il est étonnant de constater que les cuirs se multiplient à mesure que les liaisons légitimes disparaissent !
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F
Baronne, c’est toujours une joie de recevoir votre visite. L’obligation de faire les liaisons était liée à la connaissance de l’orthographe. Elle en favorisait même l’apprentissage dans la population, et aidait à resserrer le lien entre l’écrit et l’oral, car chacun vérifiait mentalement, de temps en temps, s’il avait bien prononcé les lettres qui s’écrivent. À la fin des années 1960, certains ont dû voir dans cet entraînement un esclavage, comme on a vu un esclavage dans les manières de table…
D
J'ai viens de découvrir votre site et j'apprécie beaucoup les quelques billets que j'ai lus. Je vous félicite pour la ténacité dont vous faites preuve et vous encourage à continuer cette oeuvre salutaire et courageuse, d'autant plus courageuse que notre époque n'est pas friande de grammaire. Au plaisir de vous lire très bientôt.
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